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Analyse Linéaire Aimé Césaire

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Par   •  4 Décembre 2022  •  Analyse sectorielle  •  2 278 Mots (10 Pages)  •  577 Vues

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EXPLICATION LINÉAIRE n°9 : 30 minutes de préparation

12 minutes de passage / 12 points

Construction de l’enjeu de la lecture

Aimé CESAIRE (1913-2008)

Cahier d’un retour au pays natal (1939 / 1947)

Au bout du petit matin, une autre petite maison qui sent très mauvais dans une rue très étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et sœurs, une petite maison cruelle dont l’intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d'une seule misère, je n'ai jamais su laquelle, qu'une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère ; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit par ces jambes inlassables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d'une Singer et que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit. 

Au bout du petit matin, au-delà de mon père, de ma mère, la case gerçant d'ampoules, comme un pêcher tourmenté de la cloque, et le toit aminci, rapiécé de morceaux de bidon de pétrole, et ça fait des marais de rouillure dans la pâte grise sordide empuantie de la paille, et quand le vent siffle, ces disparates font bizarre le bruit, comme un crépitement de friture d'abord, puis comme en tison que l'on plonge dans l'eau avec la fumée des brindilles qui s'envole... Et le lit de planches d'où s'est levée ma race, tout entière ma race de ce lit de planches, avec ses pattes de caisses de Kérosine, comme s'il avait l'éléphantiasis le lit, et sa peau de cabri, et ses feuilles de banane séchées, et ses haillons, une nostalgie de matelas le lit de ma grand-mère[…].

     Eléments de contexte présentés brièvement (auteur, œuvre, extrait) 1 minute max / 30 secondes

Aimé Césaire est un poète né à la Martinique qui vient à Paris pour faire ses études. Il participe à la création de la revue L’Etudiant noir qui refuse d’imiter les modèles culturels blancs et propose une nouvelle manière de considérer sa condition à travers le néologisme « négritude ». Il deviendra professeur de littérature, militera pour le parti communiste avant de rompre avec lui, sera élu député et défendra l’indépendance des colonies françaises d’Afrique.

Cahier d’un retour au pays natal est écrit en 1938-39 mais ne sera publié qu’en 1947 car il est refusé par les maisons d’éditions et seuls paraissent des fragments. Sous l’influence positive d’André Breton, l’écrivain surréaliste, ce texte sera enfin publié. Il s’agit d’un long poème en prose avec des passages en vers, se caractérisant par un ton violent et révolté contre le racisme, affirmant la volonté farouche de développer une culture autonome et de ne plus être avili en tant que personne de couleur.

L’extrait décrit la maison familiale sous le signe de la pauvreté, éléments du réel souvent répugnants, correspondant à la « boue » étudiée dans le parcours associé mais que le langage révolté d’Aimé Césaire parvient à transmuer en cri d’une beauté poétique saisissante.

LECTURE EXPRESSIVE /2 pts : 1 minute / 1’30 ( …..)

Mouvement du passage

Lignes 1 à 8 : Une famille minée par la faim et le travail

Lignes 9 à 17 : Une maison sordide

Enjeu de l’explication

Comment l’extrait met-il en scène des souvenirs d’enfance en transformant la réalité misérable par la force du texte poétique ?

Eléments d’explication linéaire / 8 points 7 minutes (3 / 3) (2/3/2)

Lignes 1 à 8 : Une famille minée par la faim et le travail

Au bout du petit matin, une autre petite maison qui sent très mauvais dans une rue très étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et sœurs, une petite maison cruelle dont l’intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d'une seule misère, je n'ai jamais su laquelle, qu'une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère ;

 La première phrase est très longue. Elle décrit un cadre de vie « une autre petite maison » et nous fait entrer sans ménagement dans l’intimité d’une famille, celle qui vit dans cette maison miséreuse. Nous pouvons y déceler une notion de pauvreté. Le fait que la phrase ne s’arrête jamais donne une impression de rythme sans fin, une activité qui ne s’arrête jamais, une absence de repos.

 Le complément circonstanciel de temps « Au bout du petit matin » constitue une anaphore (que l’on retrouve au paragraphe suivant) et insuffle un rythme, un souffle, une force au texte. Cette expression rituelle, emblématique et poétique mêle temps et lieu, elle devient symbolique en caractérisant une période longue. L’adjectif antéposé « petit » prend une valeur psychologique, il s’agit d’une image saisissante et poétique.

 L’adjectif « petite » est répété pour qualifier la « maison » cette fois-ci. Cette répétition insiste sur la pauvreté des personnes qui vivent dans cette maison à l’espace exigu. Les adverbes « très » « très mauvais » « très étroite » répétés insistent sur les conditions insalubres dans lesquels ils vivent. Tous ces phénomènes de répétition accentuent aussi l’effet poétique, par le retour des mêmes sonorités qui marquent fortement les esprits. D’ailleurs les notations mises en avant « mauvais », « étroite » sont péjoratives et insistent sur la pauvreté et la misère de cette famille.

 D’ailleurs, le nom « maison » est repris avec le synonyme de « petit » = « minuscule » placé derrière le nom, qui donne l’mpression que la maison rapetisse et que son espace ne peut pas contenir ses habitants, qui rappelle l’impression de pauvreté

 La maison est personnifiée « en ses entrailles » comme si on accédait à son intimité la plus profonde. Les notations sont dévalorisantes, dégradent le lieu : « bois pourri »n la référence aux rats, employés au pluriel « des dizaines de rats » provoque la répulsion et le dégoût du lecteur et rend palpable les conditions insalubres dans lesquelles vit cette famille en mettant sur le même plan les « rats » et les « frères et sœurs », le poète dégrade encore une fois la situation et la montre sous un aspect repoussant.

 Pour la 3ème fois, apparaît le groupe nominal « petite maison », personnifiée avec un terme négatif, « cruelle ». L’allitération en [f] va dans le même sens, « dont l’intransigeance affole nos fins de mois ». Cette maison se retourne contre la famille et lui fait subir de mauvais traitements dans lesquels s’inclue le narrateur puisque des mots marquent la présence de la première personne du singulier « mes » frères avec le déterminant possessif.

 La phrase négative révèle l’insouciance de l’enfance, « je n’ai jamais su laquelle ». Chaque membre de la famille est passé en revue et c’est au tour du père d’être évoqué. Le portrait le montre dans toute sa dimension mystérieuse avec les adjectifs « fantasque », « imprévisible ». L’enfant ne parvient pas à comprendre les réactions paternelles « imprévisible sorcellerie » qui réagit de manière contraire à la misère omniprésente, avec les antithèses « assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère ». 

 De nombreux procédés poétiques parviennent à transfigurer ce tableau repoussant de la misère comme les rimes intérieures avec « frères », « père », « misère », « colère », « mère », « Singer »

 C’est également un tableau pathétique qui dénonce la pauvreté en la faisant ressentir de manière aussi concrète : il continue après le point-virgule avec le portrait en mouvement de la mère couturière. Après une courte pause, la phrase reprend avec plus de force, ce que l’emploi de la conjonction de coordination « et » met en évidence « et ma mère ». La synecdoque « jambes » insiste sur l’aspect physique et éreintant de ce travail sans fin, à l’image de l’absence de nourriture présente dans l’hyperbole « faim inlassable », thème que l’on retrouve dans les mots « entrailles » et « grignote ».

 La répétition du verbe de mouvement « pédalent » traduit le travail harassant, indispensable pour nourrir la famille. Cette violence physique révèle une souffrance morale traduite par l’antithèse rassemblée dans le parallélisme « de jour, de nuit », faisant de ce travail un cycle sans fin

 La blessure physique « morsure âpre » « chair molle » est présente à travers la personnification de la machine à coudre qui prend vie, devient un monstre, un bourreau de travail obligeant la mère à travailler. La force des mots vient signifier l’absence de sommeil et par là-même de repos.

 

Lignes 9 à 17 : Une maison sordide

Au bout du petit matin, au-delà de mon père, de ma mère, la case gerçant d'ampoules, comme un pêcher tourmenté de la cloque, et le toit aminci, rapiécé de morceaux de bidon de pétrole, et ça fait des marais de rouillure dans la pâte grise sordide empuantie de la paille, et quand le vent siffle, ces disparates font bizarre le bruit, comme un crépitement de friture d'abord, puis comme en tison que l'on plonge dans l'eau avec la fumée des brindilles qui s'envole... Et le lit de planches d'où s'est levée ma race, tout entière ma race de ce lit de planches, avec ses pattes de caisses de Kérosine, comme s'il avait l'éléphantiasis le lit, et sa peau de cabri, et ses feuilles de banane séchées, et ses haillons, une nostalgie de matelas le lit de ma grand-mère […].

 Ce nouveau paragraphe commence par la même expression en anaphore, « Au bout du petit matin » qui scande, rythme tout le poème (employé 18 fois auparavant). Il s’enchaîne au précédent avec un alinéa mais sans saut de ligne comme pour dénoncer l’exiguïté.

 Ce poème particulièrement lyrique dénonce les conditions dans lesquelles vivait la population, d’autant plus qu’elle a été asservie pendant plusieurs siècles et qu’Aimé Césaire en revendiquant le néologisme « négritude » cherche à rappeler cette situation d’asservissement et d’esclavage pour mieux y échapper et former une nouvelle génération d’écrivains libres et fiers.

 Le parallélisme mis en place par la préposition « au-delà » « au-delà de mon père, de ma mère » va dans le sens d’un enchaînement en montrant à quel point les lieux et les personnes se ressemblent. Au portrait familial, succède la description du lieu miséreux d’habitation, « la case » qui est une habitation rudimentaire, en particulier en Afrique. Elle équivaut à « la petite maison » du paragraphe précédent et elle est également personnifiée, « gerçant d’ampoules ». La douleur vient la marquer, à l’image des jambes maternelles qui cousent.

 Une série d’images poétiques originales et concrètes frappent l’imagination et révèlent la souffrance subie par empathie : une première comparaison « comme un pêcher tourmenté de la cloque » va dans ce sens. On nous montre un corps déformé, « ampoules », « cloque », plus loin « elephantiasis ».

 La misère est palpable et provoque le dégoût grâce à la singularité des image poétiques, les termes sont tous péjoratifs et montrent un quotidien sordide (= d’une saleté repoussante, d’une misère extrême), adjectifs « aminci », « rapiécé », les objets visibles se caractérisent par une esthétique de la laideur « morceaux de bidon de pétrole ». L’allitération en [r] suggère encore la misère « marais de rouillure ».

 Ce sont surtout les sensations olfactives nauséabondes (« pâte grise sordide empuantie de la paille ») qui envahissent l’extrait associées aux sensations auditives désagréables pour dresser un tableau de cet espace misérable, « quand le vent siffle, ces disparates font bizarre le bruit, ». Pour mieux faire ressentir cet espace en le rendant concret, le narrateur multiplie les comparaisons originales issues du quotidien, « comme un crépitement de friture d'abord, puis comme en tison que l'on plonge dans l'eau avec la fumée des brindilles qui s'envole ».

 Les points de suspension et la reprise de la phrase (à nouveau) avec la conjonction de coordination « Et » (concaténation) montre qu’aucun répit n’est possible. Le chant poétique s’élève (lui non plus ne s’arrêtera pas) pour dénoncer cette situation mais également pour la transfigurer par la richesse poétique.

 La dernière partie de l’extrait : terme « race » très fort qui dénonce en utilisant un mot qui prête à la discussion, à la polémique. Chiasme : « lit-race-race-lit » révélant l’origine de ce peuple rabaissé (image du lit : point de départ, on se lève) mais conduisant surtout à en signifier l’élan, l’élévation, la fierté nouvelle pour les générations futures et modernes.

Mouvement sans fin, aucun répit n’est possible + force de la voix, du chant, du cri. Description hybride du lit composé de matériaux divers, de récupération : montre la misère mais se révèle presque un objet d’art (surréaliste) nouveau, avant-gardiste à l’image de ce que fait Césaire avec son long poème.

Bilan : Cet extrait rend palpable la misère passée du poète mais également celle de tout un peuple dont il devient le porte-parole. Le pouvoir de suggestion des mots met en valeur une réalité sordide, repoussante à travers les images poétiques, les sonorités, le rythme de la phrase mais il s’agit surtout de la transfigurer par le chant poétique, par le cri sans fin qui dénonce cette situation ancestrale.

Ouverture : Poèmes des « Tableaux parisiens » dans Les Fleurs du Mal de Baudelaire

OU Style influencé par la lecture des Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont (pseudonyme d’Isidore Ducasse), long poème en prose aux procédés nouveaux et aux images avant-gardistes.

Question de grammaire : 2 points

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