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Nathalie Sarraute

Commentaire de texte : Nathalie Sarraute. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  4 Mai 2019  •  Commentaire de texte  •  1 698 Mots (7 Pages)  •  2 574 Vues

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L’autobiographie : l’écriture

Nathalie Sarraute, Enfance, 1983

Les souvenirs sont la matière du récit d’enfance, que l’on doit souvent inventer en partie pour créer une continuité. Pourtant, même si l’on respecte les faits, les problèmes ne sont pas réglés pour autant. Au moment d’écrire, des clichés littéraires peuvent se combiner à la réalité et la modifier.

En biologie végétale, le mot « tropisme » désigne des mouvements invisibles à l'œil nu en temps réel. Le « photo-tropisme », par exemple, est le mouvement qu’accomplit une plante vers la lumière. Nathalie Sarraute appelle « tropismes » des sensations, des émotions, des pulsions, des mouvements intérieurs, ultrarapides et infinitésimaux, provoqués par des stimulations extérieures. Sarraute parle à ce sujet de « bouillonnement confus ». Pour les explorer, elle a inventé une forme de roman, où elle décrit en ralentissant et grossissant ces forces à l’origine de nos actes et de nos paroles,. Le travail d’écriture est long. Une page peut prendre des semaines.

Dans Enfance, son autobiographie écrite après 80 ans, Nathalie Sarraute évoque ses premiers souvenirs, de la petite enfance à l’entrée en sixième. L’extrait suivant fait revenir un moment vécu dans sa sixième année au Jardin du Luxembourg à Paris .

EXTRAIT D'ENFANCE DE NATHALIE SARRAUTE

Pourquoi vouloir faire revivre cela, sans mots qui puissent parvenir à capter, à retenir ne serait-ce qu’encore quelques instants ce qui m’est arrivé… comme viennent aux petites bergères les visions célestes… mais ici aucune sainte apparition, pas de pieuse enfant…

J’étais assise, encore au Luxembourg, sur un banc du jardin anglais, entre mon père et la jeune femme qui m’avait fait danser dans la grande chambre claire de la rue Boissonnade. Il y avait, posé entre nous ou sur les genoux de l’un d’eux, un gros livre relié… il me semble que c’étaient les Contes d’Andersen.

Je venais d’en écouter un passage… je regardais les espaliers en fleurs le long du petit mur de briques roses, les arbres fleuris, la pelouse d’un vert étincelant jonchée de pâquerettes, de pétales blancs et roses, le ciel, bien sûr, était bleu, et l’air semblait vibrer légèrement… et à ce moment–là, c’est venu… quelque chose d’unique… qui ne reviendra plus jamais de cette façon, une sensation d’une telle violence qu’encore maintenant, après tant de temps écoulé, quand, amoindrie, en partie effacée elle me revient, j’éprouve… mais quoi ? quel mot peut s’en saisir ? pas le mot à tout dire : « bonheur », qui se présente le premier, non, pas lui… « félicité », « exaltation », sont trop laids, qu’ils n’y touchent pas… et « extase »… comme devant ce mot ce qui est là se rétracte… « Joie », oui, peut-être… ce petit mot modeste, tout simple, peut effleurer sans grand danger… mais il n’est pas capable de recueillir ce qui m’emplit, me déborde, s’épand, va se perdre, se fondre dans les briques roses, les espaliers en fleurs, la pelouse, les pétales roses et blancs, l’air qui vibre parcouru de tremblements à peine perceptibles, d’ondes… des ondes de vie, de vie tout court, quel autre mot ?… de vie à l’état pur, aucune menace sur elle, aucun mélange, elle atteint tout à coup l’intensité la plus grande qu’elle puisse jamais atteindre… jamais plus cette sorte d’intensité-là, pour rien, parce que c’est là, parce que je suis dans cela, dans le petit mur rose, les fleurs des espaliers, des arbres, la pelouse, l’air qui vibre… je suis en eux sans rien de plus, rien qui ne soit à eux, rien à moi.

COMMENTAIRE

1. – LE PROBLEME

Vers 80 ans, Nathalie Sarraute retrouve une sensation éprouvée dans son enfance : « une sensation d’une telle violence, écrit-elle, qu’encore maintenant, après tant de temps écoulé, quand, amoindrie, en partie effacée elle me revient ». Mais elle n’arrive pas à en parler. La première raison tient au fait qu’il est difficile de définir une sensation sans équivalent dans la réalité ; Sarraute signale en effet que c’est « quelque chose d’unique… qui ne reviendra plus jamais de cette façon ». La deuxième est liée à un problème de langage. Sarraute ne trouve pas les mots capables d’exprimer ce qu’elle a ressenti : « Pourquoi vouloir faire revivre cela, sans mots qui puissent parvenir à capter, à retenir ne serait-ce qu’encore quelques instants ce qui m’est arrivé… » Pour recréer ce qu’enfant elle a vécu au Jardin du Luxembourg, Nathalie Sarraute doit trouver une façon d’écrire qui puisse compenser les défauts du langage.

2. – LES SOLUTIONS

a. – Raconter l’événement

L’écrivain commence par raconter l’événement. Le récit débute par une situation initiale qui met en place le monde des personnages. Sarraute nous installe au Jardin du Luxembourg, évoque le domicile de son père : « la grande chambre claire de la rue Boissonnade », signale la présence d’une amie de celui-ci : « la jeune femme qui m’avait fait danser ». L’enfance est mentionnée par un objet : « un gros livre relié […] les Contes d’Andersen ». La description se fait à partir du point de vue de l’enfant : « je regardais […] l’air semblait vibrer légèrement ». Sarraute rédige ce passage

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