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Peut-on se mentir à soi-même ?

Étude de cas : Peut-on se mentir à soi-même ?. Recherche parmi 297 000+ dissertations

Par   •  3 Avril 2019  •  Étude de cas  •  2 356 Mots (10 Pages)  •  561 Vues

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Peut-on se mentir à soi-même ?

Le mensonge est une attitude qui consiste délibérément, intentionnellement, volontairement à taire ou travestir la réalité, la vérité que l’on connait dans le but de tromper autrui. Le mensonge implique donc manque de sincérité, de franchise, d’honnêteté. Il ne saurait y avoir un droit de mentir puisqu’il s’oppose à la confiance, fondement de la relation à autrui. Il est donc contraire à la morale. On dit souvent que certains hommes sont de mauvaise foi ou qu’ils se mentent à eux-mêmes. En effet, il apparaît clairement qu’ils ne peuvent pas ignorer que ce qu’ils disent ou font est contraire avec ce qu’on peut estimer qu’ils doivent savoir. Cependant, se mentir à soi-même semble une contradiction dans les termes car il faudrait que le menteur sache qu’il trompe pour qu’il y ait mensonge et ne sache pas qu’il est trompé. Dès lors, on peut se demander s’il est possible de se mentir à soi-même et comment. Nous aborderons dans un premier temps ‘impossibilité logique et moral de se mentir à soi-même puis nous traiterons de l’illusion et de la mauvaise pour ensuite terminer sur les biens fait de se mentir à soi-même.

L’être humain se définit par la conscience de soi : nous sommes conscients des contenus de notre esprit, nous savons ce que nous percevons, sentons, pensons, imaginons. L’essence même de l’être humain se définit par cette caractéristique nécessaire qui est d’être présent à soi, présence qui ne se réduit pas à la simple conscience immédiate de mes perceptions et idées mais capacité de se saisir sentant et pensant. Ainsi Descartes définit-il la conscience comme transparence à soi, dans les Sixièmes réponses aux objections, il affirme en effet qu’ « il n’y a aucune pensée de laquelle dans le moment qu’elle est en nous, nous n’ayons une actuelle connaissance ». Or se mentir impliquerait que je sache et ne sache pas en même temps la vérité, ce qui est par définition impossible. Le mensonge ne peut concerner strictement parlant qu’une situation d’échange linguistique entre deux personnes au moins, il faut de la séparation physique et psychique pour que l’autre ne puisse pas voir la vérité que je lui cache. Nous sommes auteurs de nos choix, nous ne pouvons choisir volontairement de nous mentir sans savoir que nous faisons ce choix puisque le mensonge est par définition un acte délibéré de cacher la vérité. Or nous décidons de ce que nous faisons, nos actes nous sont imputables, nous en sommes responsables, précisément parce que ce sont les nôtres, nous en sommes la cause consciente et volontaire. Le mensonge étant le résultat d’un choix volontaire d’un sujet libre et conscient, on ne peut se mentir à soi-même parce que l’on ne peut agir délibérément sans le savoir. Ainsi quand bien même je voudrais essayer de me mentir à moi-même, ma conscience viendrait en permanence me harceler pour me remettre face à la vérité. Je suis une seule et même personne, ma conscience assure l’unité de mon être dans le temps, je suis celui que j’ai été et que je serai, identique par le changement et les différences, ma mémoire m’assure cette continuité dans l’espace et le temps. Ainsi Kant affirme dans Anthropologie d’un point de vue pragmatique : « posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur terre. Par-là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne ». Ainsi la dualité que présuppose le mensonge entre un menteur et un menti n’est structurellement pas possible car l’être humain est un, nulle séparation en son sein en deux êtres différents, et une telle séparation si elle était possible signerait ipso facto la disparition du sujet sain. Le schizophrène, s’il est, en un certain sens, double est par là même malade, dans l’impossibilité de mener une vie consciente normale, il est susceptible, de ce fait, d’être interné dans un asile d’aliéné, l’aliéné étant celui qui ne s’appartient plus et en tant que tel ne sait même pas qu’il est double. Il a perdu la raison, la capacité d’être pleinement conscient de soi et de choisir librement ce qu’il fait au sens où il ne peut agir en connaissance de cause.
Il s’agit donc d’envisager ce que l’on a coutume de désigner comme un mensonge à soi-même et de dégager les raisons qui nous poussent à ne pas être dans le vrai.

Il est de fait possible d’être de mauvaise foi, de soutenir un discours dont on sait qu’il est faux. Lors d’une discussion par exemple, je sais que j’ai tort mais je refuse de l’admettre, persévérant dans le faux en toute conscience par refus de perdre, crois-je, mon honneur, ma fierté, l’image de moi. Cette mauvaise foi est le signe d’une angoisse face à la liberté de penser, d’agir inhérente à l’homme. La peur de l’échec, du jugement, pousse certains individus à se trouver des excuses, à jouer un rôle, à justifier leurs situations par un fatalisme, déterminisme, et celles des autres par ce même déterminisme, ôtant d’un revers de manche leurs propres responsabilités et le mérite des autres. On pourrait également évoquer l’acrasie, de « faiblesse de la volonté » se manifestant quand nous nous engageons dans des résolutions que nous n’arrivons pas à tenir. ex : arrêter de fumer, gourmandise, amour, travailler… Quelqu’un qui passe son temps à vouloir paraître riche, confiant, intelligent, sait précisément ce qui lui manque. Ce mensonge n’en est donc pas un puisque le simple fait qu’il cherche à être quelqu’un d’autre prouve qu’il se connaît et ne s’aime pas. Il semble donc que la conscience dans la mesure où elle est au service par exemple de l’image de moi, de l’amour propre, dirait Rousseau, du narcissisme, peut, du fait même de cette allégeance au moi idéal, refuser de reconnaître la vérité non seulement du discours de l’autre mais aussi de son propre discours. Je peux être de mauvaise foi avec moi-même en me parlant comme à un autre, en me répétant des phrases auxquelles je me mets à croire parce qu’elles m’arrangent. La vérité, si elle n’est pas reconnue comme telle et dans la mesure où elle relève en son fond du simple discours, peut ne pas être reconnue, on peut faire comme si on avait raison alors même que tout nous prouve que l’on a tort. Ainsi Sartre dans L’Existentialisme est un humanisme affirme que « les gens veulent croire que l’on naît lâche ou héros », signifiant par là qu’ils prennent leurs désirs pour la réalité, cela étant possible parce que le vrai n’est que langage, je peux dès lors construire un discours qui s’accorde avec mes désirs plutôt que chercher à reconnaître un discours qui s’accorderait avec le réel. Ainsi je me voile la face, je cherche à me persuader que ce que je dis est vrai alors même que pourtant cela est faux et que par ailleurs je le sais au moins intuitivement souvent par l’expérience subjective d’un malaise physique intérieur. Freud, dans L’Avenir d’une illusion, distingue l’illusion de l’idée délirante : « l'idée délirante est essentiellement — nous soulignons ce caractère — en contradiction avec la réalité ; l'illusion n'est pas nécessairement fausse, c'est-à-dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité (...) Ainsi nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d'un désir est prévalent, et nous ne tenons pas compte des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l'illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel. ». Prendre ses désirs pour la réalité ce n’est pas, au sens du mythomane, être dupe de son désir inconscient, ce qui ne serait pas un mensonge à soi faute d’un choix conscient de mentir, mais c’est adhérer avec toute la force de son désir, de cette pulsion qui me pousse à trouver ce qui me satisfait afin d’être heureux, à un discours qui même si je me doute qu’il est faux n’en est pas moins suffisamment compatible avec le réel pour que je puisse le maintenir à titre de certitude. Le besoin de consolation, de rassurement, est tel que, pour continuer à vivre, l’instinct de conservation anime et transfère toute sa puissance dans cette idée-illusion qui est comme transfusée et me permet de supporter la dure réalité : « la détresse humaine demeure, précise Freud, et avec elle la nostalgie du père et des dieux. Les dieux gardent leur triple tâche à accomplir : exorciser les forces de la nature, nous réconcilier avec la cruauté du destin, telle qu'elle se manifeste en particulier dans la mort, et nous dédommager des souffrances et des privations que la vie en commun des civilisés impose à l'homme ». Si je peux me raconter des histoires au sens où, pour Freud, la croyance religieuse est une illusion consolatrice, c’est parce que je peux vouloir adhérer consciemment à un discours dont je fais comme s’il était sûr et certain même si un doute persiste puisque la croyance subjective se définit par l’absence de preuve objective. Mais si de telles preuves objectives sont impossibles à obtenir, le sujet peut trouver là une faille et s’y engouffrer par besoin de consolation, sans que cela ne soit rigoureusement un mensonge puisque l’on ne dispose pas de la preuve de la fausseté. Mais pour autant on ne peut dire qu’on est là en présence d’un véritable mensonge à soi parce que l’on sait que croire n’est pas savoir. Si le sujet ignore une partie de la réalité, ce ne peut être volontairement, on parlera alors de déni ou dénégation inconscients. Un mécanisme de censure du surmoi entraînera un refoulement de souvenirs ou éléments de la réalité insurmontables par la conscience, consistant à les maintenir dans l’inconscient. On ne peut pas parler ici de mensonge à soi-même si on entend le soi comme une personne caractérisée par son unité. Si on conçoit comme Freud que « le moi n’est pas maître dans sa propre maison », qu’il y a une altérité fondamentale au cœur du sujet (« Je est un autre » Rimbaud), si on peut ne pas être soi-même, si on peut être hors de soi, alors pourrait-on admettre l’idée qu’une partie de soi mente à une partie… Mais peut-on encore parler de « soi-même » ? Comment pourrions-nous même disqualifier moralement l’acte de quelqu’un qui serait en même temps actif et passif de son mensonge, qui ne pourrait assumer et pâtir en même temps ? Le fondement même de la morale semble être mis en abîme par la possibilité que le sujet puisse être plusieurs… Nous venons de voir ce que l’on a coutume de considérer à tort comme du mensonge à soi-même et les raisons de chaque phénomène. Mais n’y a-t-il pas une raison plus radicale, fondamentale de se mentir à soi-même ?

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