La signification sociale de l'argent - Zelizer

La signification sociale de l’argent, Viviana Zelizer, 1994

Traduction de l’américain par Christian Cler. Publication au Seuil dans la collection Liber en 2005.

Biographie de Viviana Zelizer :

Viviana Zelizer naît à Buenos Aires en 1946. Elle commence des études de sociologie à Rutgers University puis part à Columbia où elle obtient son master et son doctorat en 1977. Son tuteur de thèse est Bernard Barber, élève de Talcott Parsons. Ses maîtres sont donc ancrés dans la tradition fonctionnaliste qui est remise en question dans les années 1970 avec l’apparition d’une nouvelle sociologie économique.

Alors que la recherche américaine proposait d’étudier l’extension des modèles économiques aux phénomènes sociaux extérieurs à la sphère économique, et la dimension sociale des choix des agents économiques, une sociologie alternative de l’économie s’est établie cherchant à démontrer comment les processus sociaux agissent au sein même du marché. Viviana Zelizer refuse toute parenté avec les écoles sociologiques existantes mais elle reconnaît la proximité de ses travaux avec ceux de l’école alternative de sociologie économique aussi appelée nouvelle sociologie économique.

Considérée aujourd’hui comme la figure de proue de la sociologie économique, cette chercheuse de Princeton a publié des ouvrages sur le développement de l’assurance (Morals and Markets.The Development of Life Insurance in the United States, 1983) et sur l’évolution de la valeur des enfants (Pricing the Priceless Child. The Changing Social Value of Children, 1985) dans la société américaine. Son ouvrage phare est The Social Meaning of Money, publié en 1994, qui a été traduit dans de nombreuses langues et que nous étudierons ici.

Viviana Zelizer se distingue aussi de ses pairs par l’originalité de son travail qui est à la croisée de multiples disciplines telles que la sociologie économique, l’histoire économique, l’histoire sociale et l’ethnographie économique.

Tradition sociologique dans laquelle l’ouvrage s’inscrit :

La signification sociale de l’argent propose une étude de la nature de l’argent et plus particulièrement d’étudier la mesure dans laquelle l’argent est défini par les usages sociaux. La question de la nature de la monnaie et de la relation entre la société et le développement de la monétarisation a déjà fait l’objet de nombreuses publications tant parmi les économistes classiques que parmi les sociologues classiques. Zelizer bat en brèche ces théories dès l’ouverture de son ouvrage.

L’économie classique analyse la monnaie selon ses trois fonctions traditionnelles, c’est-à- dire réserve de valeur, unité de compte et intermédiaire des échanges. L’argent est défini en des termes purement économiques qui alimente sa neutralité : il est fongible, liquide et homogène. 1

Cette homogénéité de l’argent conduit à une rationalité pure de son utilisation et des échanges qui sont caractérisés par un aspect quantitatif et non qualitatif.

La sociologie classique considère que la monnaie, l’extension du marché sont les causes d’une uniformisation de la société. Les valeurs dites non pécuniaires sont tenues comme incompatibles avec l’argent ainsi que le souligne Max Weber. Simmel file une métaphore autour de la coloration des relations sociales qui seraient d’« un ton uniment plat et gris » avec la hausse de la monnaie « incolore ». Simmel va jusqu’à assimiler l’argent et la prostitution tandis que Marx insiste sur la perversion morale due à l’argent. Ainsi la sociologie classique adopte une vision pessimiste de l’extension du marché en parlant de « marchandisation du social ».

Originalité du travail de Zelizer / Thèse(s) :

Zelizer s’oppose à ces conceptions en postulant des transformations réciproques entre l’argent et les relations sociales ainsi que les valeurs. La sociologue estime que l’argent n’existe pas de manière uniforme mais qu’il fait l’objet d’un marquage qui le rend non fongible et très hétérogène. Le marquage de la monnaie est la signification que les individus donnent à un instrument d’échange en le caractérisant selon la relation sociale dans laquelle il s’inscrit, selon le lieu d’échange ou de stockage, selon des restrictions d’usage, selon des formes différenciées... Selon Zelizer, la monnaie sociale est n’importe quel objet étant reconnu comme valeur d’échange que ce soit des devises (monnaie légale) ou bien des objets ou des modes de paiement particuliers. Cette approche culturaliste est très novatrice en sociologie économique puisqu’elle rompt avec la déshumanisation du monde social par la rationalité en redonnant un dynamisme aux structures sociales et culturelles qui certes subissent l’influence du marché et de la monétarisation, mais qui la limite, la contrôle, la restreigne et la redéfinisse. Zelizer va plus loin en affirmant que plus l’uniformisation monétaire est poussée et semble accréditer les théories classiques, plus les agents économiques utilisent des stratégies subtiles de marquage afin de créer et de définir plus subtilement des relations sociales toujours plus complexes. La sociologue apporte les preuves de l’existence de ce processus mais elle en révèle une dimension oubliée qui est celle de la violence du marquage de l’argent, des antagonismes et des tensions qui l’entourent.

Comment les individus s’emparent-ils de la monnaie pour caractériser leurs relations et limiter la « marchandisation du social » ? En d’autres termes, quelle est la réalité historique du marquage de la monnaie ?

Méthodologie et critique de la méthodologie :

Viviana Zelizer met à l’épreuve ses thèses en les confrontant à des travaux historiques et ethnographiques. Elle utilise en effet une grande diversité de supports comme des procès, des instructions à des employés d’établissements de charité, des études des budgets des ménages américains, des périodiques, des courriers de lecteurs, des traités d’économie domestique, des publicités, des brochures éducatives et de manière plus étonnante des romans, des pièces de théâtre... Ces derniers supports permettent, outre un rendu agréable et divertissant, de montrer à quel point l’argent est déterminant et ancré dans les relations sociales mais aussi défini par celles- ci puisque la fiction estime que les spectateurs ou les lecteurs vont projeter des significations 2

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