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Suicide littéraire français

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Par   •  13 Janvier 2015  •  Analyse sectorielle  •  5 581 Mots (23 Pages)  •  492 Vues

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Un suicide littéraire français

02 JANVIER 2015 | PAR SYLVAIN BOURMEAU

Critique de Soumission suivie d'un long entretien exclusif avec son auteur, Michel Houellebecq.

Nous sommes dans sept ans et la France a peur. Le pays est en proie à des troubles mystérieux, des épisodes réguliers de violences urbaines surviennent sur le territoire national, sciemment occultés par les médias. On nous cache tout, on nous dit rien et, dans quelques mois, l’élection présidentielle verra triompher le leader de Fraternité musulmane, un parti créé quelques années plus tôt. Au soir du 5 juin 2022, au terme d’un troisième tour, le « second » ayant été annulé du fait d’incidents dans de nombreux bureaux de vote, Mohammed Ben Abbes bat très nettement Marine Le Pen grâce au soutien du Parti socialiste et de l’UMP – tiens, ils n’ont pas changé de nom… – et nomme très vite François Bayrou premier ministre.

Du jour au lendemain, dans la rue, les femmes ne s’habillent plus pareil et optent, le plus souvent, pour de longues blouses de coton par dessus leurs pantalons ; fortement encouragées par des allocations familiales boostées, elles quittent massivement le marché du travail, faisant, du même coup, spectaculairement reculer le chômage ; dans les quartiers sensibles, la délinquance disparaît ou presque ; les universités deviennent islamiques et les enseignants non musulmans sont mis à la retraite d’office, sauf à se convertir, se résoudre à la soumission.

Voilà ce que se (com)plaît à imaginer Michel Houellebecq dans son sixième roman, qui paraît le 7 janvier, et relève d’un genre plutôt prisé des éditorialistes politiques de rang Z en mal de best-seller pré-électoral et, beaucoup plus rarement, des grands écrivains y trouvant à exercer, par la farce, leur talent de critique sociale. Avec Soumission (Éditions Flammarion), l’auteur de La Possibilité d’un île se met soudainement et atrocement à ressembler davantage aux premiers qu’aux seconds, accomplissant du même coup ce qu’il faut bien se résoudre à qualifier de véritable suicide littéraire français.

Car l’abjection politique et la faiblesse littéraire apparaissent, comme souvent, indissolublement liées. Roman sec et triste, approximatif, mal documenté, pas dialogique pour un sou et sans une once de poésie – si l’on l’excepte une farandole d’abominables dégoulinades monothéistes variées –, Soumissionsonne faux de bout en bout et n’est certainement pas digne de la bibliographie de celui qu’on peut sans doute encore, même après ce livre, considérer comme l’un des écrivains contemporains d’expression française les plus importants.

La littérature est d’abord un mode de connaissance – c’était le sujet central du précédent roman de Houellebecq, La Carte et le territoire, un grand texte sur l’épistémologie spécifique à l’art, sa capacité singulière, complémentaire des autres modes de connaissance, (les sciences sociales, le journalisme, le droit, la philosophie), à représenter le monde, et nous au milieu. Il est donc d’autant plus rageant de voir un écrivain parfaitement au fait, au plan théorique comme pratique, de la nécessité de se forger les bons outils et de formuler les bonnes hypothèses pour être en mesure d’appréhender le monde, sombrer sans retenue dans les délires paranoïdes qui saturent quotidiennement nos écrans de télévision.

(À titre d’illustration, la semaine précédant l’écriture de cet article, il a suffi à chaque fois de quelques heures pour que le prisme islam soit privilégié par les médias et les responsables politiques, lorsqu’il s’est agi d’informer à propos de trois événements survenus à Dijon, Joué-les-Tours et Nantes. Quelques jours plus tard, le prisme faits divers paraît s’imposer, et la coloration islam s’estomper radicalement.)

S’il s’agissait de prendre ces juteux fantasmes épouvantails comme objets, la littérature avait tout à y gagner et notre compréhension du monde avec. Las, de romans-diagnostics écrits au scalpel, Michel Houellebecq passe avec Soumission au roman-symptôme écrit à la cire et truffé d’italiques ridicules en guise depreuves. Il participe (bêtement ?) d’un air du temps rance et explosif qu’il préfère prendre pour argent comptant plutôt que d’en débusquer les enfumeurs et d’en traquer les artificiers.

Si Soumission n’est stricto sensu pas ce qu’on appelle un roman à thèse, il s’en approche lourdement en s’affichant comme un roman à (étrange) hypothèse. En choisissant de placer au cœur de sa fiction une hypothèse – la prise du pouvoir en France par un parti musulman en 2022 – qu’il sait lui-même proprement inimaginable, Michel Houellebecq dramatise. Mais il ne dramatise pas n’importe comment, il ne choisit pas, par exemple, d’imaginer une victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2022 (ou dès 2017) – ce qu’on peut, hélas, considérer comme imaginable –, il dramatise dans une direction précise, choisissant d’agiter lui-aussi l’épouvantail favori des médias : l’islam. Ce faisant, il accomplit un acte politique tout sauf neutre – n’en déplaise à Alain Finkielkraut en service pré-commandé de défense préventive de ce livre dans Le JDD du 28 décembre.

Soumission s’avère la fausse carte d’un territoire bien réel. Un mauvais plan tiré à partir des colonnes de Causeur ou de Valeurs Actuelles, illustré par les couvertures sordides d’Eléments et parfois celles du Point : une représentation volontairement biaisée du pays dans lequel nous vivons. Même lorsqu’il peint le quartier où il réside, le Chinatown du XIIIe arrondissement parisien, Michel Houellebecq ne parvient pas à s’arracher du cliché rebattu d’une communauté fermée, comme si, de retour d’Irlande, il n’était plus capable de regarder autour de lui, de s’aventurer, par exemple, dans la galerie marchande des Olympiades pour y découvrir ces boutiques qui vendent la crème de la hype des CD de K-pop, d’y observer les petits groupes de jeunes venus du lycée mélangé d’à côté et aussi joyeusement bigarrés et cosmopolites que la France de 2015.

Michel Houellebecq et ses défenseurs auront beau jeu d’affirmer que ce roman ne saurait aucunement être tenu pour islamophobe dès lors que son héros, aussi falot que collabo, finit probablement, suivant son petit confort personnel, par se convertir à l’Islam. Ce type de réponse, qu’on imagine aisément assortie d’un sourire en coin, suffira à mesurer le caractère tordu du dispositif romanesque imaginé. À l’instar

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