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Religion Et Athéisme Dans L'aventure Ambigue De Cheikh Amidou Kane

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Par   •  21 Janvier 2014  •  4 106 Mots (17 Pages)  •  8 085 Vues

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L’ « hybridité »

La première partie de L’Aventure ambiguë décrit donc les réactions conflictuelles déclenchées par une crise spécifique et montre leurs effets négatifs sur les Diallobé en général et sur la vie de Samba Diallo en particulier. La deuxième partie de la narration suit l’appauvrissement de sa vie spirituelle à Paris. Elle montre son désespoir grandissant de trouver une solution à ses deux buts contradictoires : abolir la misère dans le monde et y conserver une place à Dieu. Ce désespoir provient de ses buts spirituels ; pour s’y tenir, il décide de conserver sa conduite religieuse traditionnelle. L’idée d’adaptation, d’état hybride, lui fait horreur. Il exprime au père d’une camarade de classe - dont la foi lui rappelle celle de son propre père le chevalier mais dont les idéaux frustrés et le surnom ironique (Martial) suggèrent plutôt Samba Diallo lui-même - la crainte que son expérience de l’Occident le sépare de son peuple :

« Il arrive que nous soyons capturés au bout de notre itinéraire, vaincus par notre aventure même. Il nous apparaît soudain que tout au long de notre cheminement, nous n’avons pas cessé de nous métamorphoser, et que nous voilà devenus autres. Quelquefois la métamorphose ne s’achève pas, elle nous installe dans l’hybride et nous y laisse. Alors, nous nous cachons,remplisde honte » (pp. 124 125). L’hybridité lui paraît plutôtêtre une aliénation dégradante par rapport à son peuple qu’un moyen de le servir. Au cours de cette même année, il confirme que l’état d’hybride où il se trouve est un obstacle à la solution qu’il cherche pour son peuple puisque son doute est trop grand pour qu’il puisse choisir dans le seul intérêt des Diallobé :

« Je ne suis pas un pays des Diallobé distinct, face à un Occident distinct, et appréciant d’une tête froide ce que je puis lui prendre et qu’il faut que lui laisse en contrepartie. Je suis devenu les deux. Il n’y a pas une tête lucide entre deux termes d’un choix. Il y a une nature étrange, en détresse de ne pas être deux » (p. 164)

L’influence de l’Occident se retrouve effectivement dans sa conduite. Sa réaction à la lettre décourageante du chef à propos de la rupture de l’unité entre le peuple et lui, et entre le peuple et son ancien guide spirituel, le maître, par exemple :

« Et puis non, pensa (Samba Diallo). Que me font leurs problèmes ? (...) Après tout, je ne suis que moi-même. Je n’ai que moi (p. 138).

Et, alors que dans le passé il avait fidèlement respecté la loi que lui dictait sa religion, au point de la faire éclater en public en refusant de boire de l’alcool, il oublie à présent de faire sa prière du soir. Quand il se rend finalement compte de son oubli, tard le soir après -s’être couché, il accuse Dieu de soutenir les courants d’incroyance dans le monde. Il est aussi sujet aux sentiments de déshumanisation décrits par le fou, son prédécesseur malchanceux dans l’aventure occidentale. Ce sentiment de solitude qu’il ressent à présent l’empêche d’aider Adèle, l’exilée en même temps de son pays et de sa foi, à découvrir cette communion qu’il avait connue enfant et qu’elle rêve de vivre.

Par contre, d’autres aspects de sa conduite montrent également sa formation. La mission de révéler à l’Occidental sa propre humanité, une humanité qui a faim de Dieu et qui est celle de tous les hommes, est toujours vivace en lui. C’est pourquoi il conseille à Adèle de ne pas détester les Blancs qui l’ont dépourvue de sa plénitude spirituelle. Il admire aussi la façon dont Lucienne se départ de son passé pour vivre pleinement le présent en tant que communiste, bien qu’il ne puisse, personnellement, la suivre quand elle admet l’inexistence d’une loi divine, d’une justice absolue. Il croit toujours à la sagesse de son père et suit le conseil que lui donne le chevalier de rentrer chez lui, là où se trouve la source de sa foi, dans l’espoir qu’il la retrouvera.

Dans l’avant-dernier chapitre de la deuxième moitié du roman, le sentiment de frustration chez Samba Diallo, qui est le produit de toute cette ambivalence, atteint une intensité extrême, ce qui l’oblige à chercher une solution. Le dernier chapitre de la deuxième moitié du roman, et qui lui sert également de conclusion, précise le dénouement de cette crise, l’émotion qu’il ressent devant la solution qu’il a trouvée. Ainsi, afin de comprendre avec justesse cette conclusion, et le roman dans son ensemble, il nous faut examiner la nature de cette solution. Elle a été conçue sous tension. Samba Diallo est rentré dans son foyer dans l’espoir de soulager son sentiment de frustration, mais sa foi n’a pas reçu un nouveau souffle de vie. Il est irrité à la fois par l’insistance avec laquelle le fou le pousse à prier et par son inaptitude à satisfaire les besoins qu’a son peuple d’un chef autant scientifique que spirituel. Une visite imprévue à la tombe du maître accroît encore, et cette fois au point de le faire pleurer, le sentiment de sa perte, qui grandit depuis la première partie du roman, et son besoin de croire :

« Je ne crois plus grand-chose, de ce que tu m’avais appris. Je ne sais pas ce que je crois. Mais l’étendue est tellement immense de ce que je ne sais pas, et qu’il faut bien que je croie... (pp. 185-186).

La description du décor - l’impressionnant coucher du soleil « le ciel de pourpre sanglante », p. 184), le fleuve « [les] berges vertigineuses », « cette immense crevasse » à propos de laquelle » il se souvient qu’en son enfance, il avait longtemps cru [...] [qu’elle] partageait l’univers en deux parties que soudait le fleuve », p. 185), (j’ai moi-même souligné) et le cimetière (le mausolée rénové de la Vieille Rella, p. 202, (j’ai moi-même souligné) elle aussi souligne la gravité de sa perte : la perte et de son ancien respect de Dieu et de son ancienne foi en en Dieu. La crise que cette description révèle finit par modifier le caractère de son refus. C’est avec une résistance non plus passive mais active qu’il refuse d’accepter sa situation ambiguë. Alors qu’il médite silencieusement sur la tombe du maître, nous voyons Samba Diallo lui adresser son regret d’avoir perdu sa foi. Mais quand il parvient à trouver une formule toute neuve et personnelle pour manifester sa foi, il se tourne directement vers Dieu :

« Comme je voudrais encore que tu fusses ici, pour m’obliger à croire et me dire quoi ! Tes bûches ardentes sur mon corps... je me souviens et je comprends. Ton Ami, Celui qui t’a appelé à Lui, ne s’offre pas. Il se conquiert. Au prix de la douleur. C’est peut-être

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