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Rôle de l’utopie dans la pensée philosophique?

Dissertation : Rôle de l’utopie dans la pensée philosophique?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  24 Septembre 2014  •  7 093 Mots (29 Pages)  •  1 031 Vues

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Introduction

1. Thème

Le thème de ce séminaire est la question du rôle de l’utopie dans la pensée philosophique. Car, même si l’utopie peut paraître d’abord représenter un genre littéraire plutôt qu’une des branches de la philosophie, il est difficile de nier les liens qui rattachent ce genre littéraire à la réflexion philosophique, aussi bien historiquement — vu que la République de Platon est le modèle original avoué de l’Utopie de More, l’œuvre fondatrice qui donne son nom et son modèle au genre — que selon la nature de la chose, étant donné que les utopies sont généralement des réflexions d’ordre philosophique sur la condition de l’homme dans son rapport à la société et à la politique, dont plusieurs sont d’ailleurs le fait de philosophes qui ont choisi ce moyen d’exposer leurs idées, comme les utopies classiques de Bacon ou de Campanella. Or, comme l’indique l’usage le plus fréquent des termes d’utopie ou d’utopique dans la langue commune, il y a une grande différence, voire une opposition, entre la connaissance vraie de la réalité et les fictions peu réalistes que constituent les utopies. Plus encore, contrairement au projet raisonnable, qui doit diriger l’action en lui proposant un chemin praticable, l’utopie nous projette souvent dans un lieu impossible ou irréalisable concrètement. Par conséquent, l’utopie ne nous fait ni connaître ce qui est, ni trouver la voie sur laquelle avancer en pratique. Mais si la philosophie est recherche de la sagesse — de la science et du comportement avisé —, ne devrait-elle pas éviter l’utopie ? Que signifie donc le fait qu’elle puisse y avoir recours ? L’utopie pourrait-elle donc servir à la connaissance ou à la pratique, malgré les apparences ? Ou au contraire, la philosophie se révélerait-elle moins soucieuse de la science du réel et de la pratique concrète qu’on ne le suppose ? Ou encore une telle opposition n’est-elle pas juste et doit-elle être remise en question ?

S’il est vrai que l’utopie ne se soucie guère du possible au sens fort, c’est-à-dire de ce qui peut être réel, mais qu’elle se contente de la vraisemblance de la fiction, alors elle paraît devoir relever d’un autre mode de discours que la philosophie, puisque son discours n’a plus la vérité pour but. Par conséquent, la question de la nature des utopies est l’une de celles où la philosophie se trouve amenée à réfléchir à ses implications dans un mode de discours qui paraît contredire sa propre activité discursive en tant qu’orientée par une intention d’ordre scientifique en général. Car, en tant qu’elle vise la vérité, la philosophie est tournée vers la réalité, aussi bien en théorie qu’en pratique, et le domaine des fictions doit lui rester étranger ; ou du moins, si elle peut le reconnaître comme tel, c’est, semble-t-il, pour en mesurer aussi la distance par rapport à la réalité, et non pour se tourner vers lui et le prendre pour modèle, comme cela paraît arriver dans le cas de l’utopie. Or, son discours, la philosophie ne le trouve pas donné comme répondant aux simples règles d’un genre littéraire, qu’elle puisse accepter par convention, puisqu’elle y attribue une fonction précise, qui dépend de sa propre nature, en tant que recherche de la sagesse. Et dans la mesure où cette recherche est pour une bonne part de nature discursive, la philosophie elle-même ne peut pas être d’une nature différente de celle de son discours. Pour ne pas se dénaturer, elle doit par conséquent se dégager des modes de discours qui ne correspondent pas à son intention, vu que c’est précisément la nature de sa pensée qui se joue dans la pratique discursive adoptée. Mais pour cela, il faut résoudre la question de savoir en quoi le discours philosophique se distingue des autres, de ceux qu’elle refuse comme contraires à son intention. Et cela est d’autant plus important que, par certains aspects, ces autres types de discours tendent à se confondre avec elle, comme c’est le cas pour l’utopie, ainsi que le prouvent les faits. Ou du moins, dans la mesure où cette confusion est légitime, il faut comprendre comment le discours philosophique peut se confondre avec une manière de penser à première vue contraire à elle, ce qui ne va pas sans une redéfinition du rapport entre ces deux types de discours. C’est pourquoi la définition de la philosophie et celle de l’utopie doivent être liées de telle manière que ces deux pratiques discursives s’éclairent l’une par l’autre.

Par conséquent, dans l’effort pour établir le juste rapport entre l’utopie et le discours vrai, c’est ici encore la question de la définition de la philosophie elle-même qui se pose également.

2. Position du problème

Comme il s’agira dans ce séminaire de comprendre ce qu’est l’utopie et du même coup la philosophie, dans la mesure où il y a un lien entre elles, il n’est pas question de commencer par poser une définition vraie ni de l’utopie ni de la philosophie. Pourtant, l’utopie peut avoir des significations extrêmement diverses. Pour certains, c’est un genre littéraire précis, qui a ses règles spécifiques, de telle sorte qu’il est possible de disputer pour savoir quelles sont exactement les œuvres qui appartiennent ou non à ce genre. Pour d’autres, à l’autre extrémité, c’est plutôt un certain type d’idées qui se définissent par un rapport lâche avec la réalité, simplement, ou par leur caractère invraisemblable, voire par le seul fait qu’elles concernent le futur ou quelque chose de désirable. Je ne prétends naturellement pas légiférer ici, ne sachant pas d’avance où pourrait se trouver la norme ou la vérité en ces matières. Il me suffira donc, pour la clarté de mon exposé du problème philosophique que je vois se poser à propos de l’utopie, d’indiquer comment je l’entends à présent, sans préjuger de l’évolution que cette idée fera au cours de notre recherche. Puisque le terme d’utopie vient, comme je l’ai rappelé, du titre d’une œuvre précise d’un penseur du XVIe siècle, c’est à partir de ce modèle que je vous propose de le comprendre. Et c’est aussi la raison, relativement contingente, pour laquelle je vous proposerai d’envisager d’abord l’utopie en tant qu’elle est un phénomène de notre tradition philosophique moderne, comme si More avait véritablement inventé ce mode de réflexion philosophique, de même que, au même siècle, Montaigne inventait le genre ou la méthode des essais. Il est possible que, dans les faits, l’utopie corresponde à un procédé philosophique plus large, mais je ne préjuge rien à ce

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