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L'amour

Étude de cas : L'amour. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  17 Février 2014  •  Étude de cas  •  4 518 Mots (19 Pages)  •  636 Vues

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Introduction

« Parlez-moi d’amour/ Redites-moi des choses tendres/ Votre beau discours/ Mon cœur n’est pas las de l’entendre/ Pourvu que toujours/ Vous répétiez ces mots suprêmes/ Je vous aime / Vous savez bien que dans le fond je n’en crois rien/ Mais cependant je veux encore écouter ces mots que j’adore » : la voix, anonyme ou célèbre, qui reprend cette chanson populaire, cette « romance » du début du XXème siècle, dit tout à la fois le besoin, le désir, le plaisir que nous éprouvons tous d’être séduit par un discours amoureux, fût-il chimérique, et la conscience qu’il ne s’agit peut-être là que d’un badinage.

La formulation du 1er vers (« parlez-moi d’amour »), qui rime avec l’ambivalent « beau discours », traduit en effet le paradoxe de l’injonction, demande moins de s’entendre adresser une déclaration d’amour personnalisée que d’entendre « parler d’amour » en général, , demande moins d’amour donc que d’ombre de l’amour à travers l’efficace intrinsèque au charme, à la volupté, à la séduction d’une rhétorique chimérique. Le discours amoureux n’est-il donc, comme la rhétorique, qu’un « piège exquis », une illusion par quoi l’homme se console de la fatale insincérité du dire pourtant a priori performatif ?

Après avoir vu que désirer s’entendre adresser un discours amoureux, c’est souhaiter s’entendre magnifier par un discours séduisant, nous nous interrogerons sur la faillite du discours amoureux. Nous nous demanderons enfin comment pallier cette clôture de l’amour par une rhétorique authentiquement érotique.

« Parlez-moi d’amour » : l’adresse d’une demande, par la voix féminine ou masculine du sujet désirant de la « romance » composée par Jean Lenoir, nous rappelle, par-delà la relation privilégiée que le thème de l’amour entretient avec l’interaction verbale des sujets dialoguant, l’ambiguïté de cette demande. En effet la demande, pour adressée qu’elle soit – et la suite de la chanson insiste sur le plaisir que peut éprouver le sujet às’entendre magnifier dans une topique amoureuse séduisante - n’en reste pas moins générale. Il s’agirait alors moins, pour le sujet désirant, d’entendre l’autre lui déclarer sa flamme que d’écouter un discours sur l’amour, substitut d’un amour su impossible.

Si la parole d’amour, mêmemensongère, est le + puissant des philtres aphrodisiaques, c’est d’abord parce que parler, c’est parler d’amour. En effet, la structure dialogique de la parole proférée est la condition de la relation à l’autre sur le mode d’une sortie de soi qui, tout en satisfaisant le désir, sinon d’être aimé, du moins de connaître l’ombre de l’amour en entendant les « fragments d’un discours amoureux », est une relance perpétuel du désir en ce qu’il ne se conclut pas nécessairement sur l’enlacement fusionnel. C’est ainsi que dans le Phèdre de Platon, le dialogue qui s’engage entre Socrate et Phèdre porte tout de suite sur l’amour, car se demander comment parler, c’est se demander comment parler de l’amour, comment faire de la parole une parole de l’amour[1]. Réagir contre la détérioration de la relation entre éraste et éromène, ce n’est pas seulement réagir contre une conception du « logos » qui est celle d’une souveraineté subjective se protégeant contre le risque de basculer du côté de l’affolement du sens[2] ; c’est aussi refuser de transformer la relation érotique en contrat. Nouer un lien entre Eros et Logos [3], c’est « purifier [l]es oreilles de la salure » du « sot » discours, « fâcheux » et « impie », pour faire entendre la voix, la parole enthousiaste, inspirée, possédée par l’appel d’un ailleurs qui porte l’âme des amants vers une hauteur de vie inaccessible à l’existence des hommes dans la cité : contre la « sagesse mortelle » de l’homme sans amour ni logos, qui « n’enfante dans l’âme de l’aimé que cette bassesse que la foule décore du nom de vertu », Socrate, entend « démontrer que c’est pour notre + grande félicité que cette espèce de délire nous a été donnée ».

Car il y a une véritable volupté à s’entendre parler d’amour, à s’entendre magnifier dans la topique d’un discours amoureux qui, pour badin, éphémère, ludique et potentiellement non sérieux qu’il soit, n’en exerce pas moins un pouvoir de séduction, un charme irrésistible, le pouvoir de faire naître l’amour ou, à défaut, d’en tenir lieu. C’est ainsi qu’après Marton, dont le rire indique qu’elle se laisse prendre au jeu du badinage amoureux inventé par Monsieur Rémy à l’acte I, scène 4 des Fausses Confidences[4], Araminte tombe amoureuse de l’image que la topique de l’amant courtois lui renvoie d’elle-même comme objet d’adoration du héros de roman : « Être aimé, moi! Non, madame. Son état est au-dessus du mien […] Dispensez-moi de la louer, Madame: je m’égarerais en la peignant. On ne connaît rien de si beau et de si aimable qu’elle! Et jamais elle ne me parle ou ne me regarde que mon amour n’en augmente […] Le plaisir de la voir quelquefois, et d’être avec elle, est tout ce que je me propose […] Je veux dire, avec son portrait, quand je ne la vois point ». La surprise de l’amour procède, dans Les Fausses confidences , d’une surprise de s’entendre parler de l’amour d’un tiers pour vous[5].De même, le poète de Birds in the night reconnaît s’être laissé prendre au « piège exquis » de la déclaration, de la protestation d’amour de la fiancée de la Bonne chanson : « vous juriez alors que c’était mensonge […]/ Et de votre voix vous disiez :’je t’aime !’/ Hélas ! on se prend toujours au désir/ Qu’on a d’être heureux malgré la saison ». Car c’est par la parole que se fait l’amour, dans la France du XVIIIème siècle dont Marivaux et le poète des Fêtes galantes se font l’écho: « Trompeurs exquis et coquettes charmantes,/ Cœurs tendres, mais affranchis du serment,/ Nous devisons délicieusement », écrit Verlaine dans « La Mandoline »[6], tandis que la « vague de désir » que Socrate compare à l’enlèvement de Ganymède par Zeus[7], dans son 2ème discours, naît de la fréquentation et de la conversation avec l’âme amoureuse, métamorphosée par son ravissement dans l’immortel : « or une fois qu’il l’a admis et que sa conversation et sa fréquentation ont été acceptées, du fait de la proximité, la

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