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Unmerveilleuxmalheur

Analyse sectorielle : Unmerveilleuxmalheur. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  17 Juin 2013  •  Analyse sectorielle  •  3 007 Mots (13 Pages)  •  684 Vues

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On s'est toujours émerveillé devant ces enfants qui ont su triompher d'épreuves immenses et se faire une vie d'homme, malgré tout. Mais cette manière classique de poser le problème révèle déjà la façon dont il est interprété, avant même d'être étudié. On

"s'émerveille" parce qu'ils ont "triomphé" d'un immense "malheur". La merveille et le malheur sont déjà associés. Quant au sentiment de triomphe, pour qu'il vienne à l'esprit de l'observateur, il faut que l'enfant blessé ait eu le temps d'écrire plusieurs chapitres de son histoire afin que, se retournant sur son passé, il puisse se rendre compte qu'il en a triomphé.

Ce n'est que bien plus tard, en arrivant à l'âge du sens, que nous pouvons attribuer au fracas de l'enfance une signification de triomphe. Et pourtant, à l'instant même de l'agression, il y avait déjà un sentiment mêlé de souffrance et d'espoir. Au moment de la blessure, l'enfant abattu rêvait: "Un jour je m'en sortirai... un jour je me vengerai... je leur montrerai..." et le plaisir du rêve en se mélangeant à la douleur du réel permettait de le supporter. Peut-être même le tourment exaltait-il le besoin d'imaginer? "Les chemins bourbeux rendent plus désirable l'aube spirituelle et plus tenace l'exigence d'un idéal."

Le malheur n'est jamais pur, pas plus que le bonheur. Mais dès qu'on en fait un récit, on donne sens à nos souffrances, on comprend, longtemps après, comment on a pu changer un malheur en merveille, car tout homme blessé est contraint à la métamorphose:

"J'ai appris à transformer le malheur en épreuve. Si l'un fait baisser la tête, l'autre la relève."

Deux mots organiseront la manière d'observer et de comprendre le mystère de ceux qui s'en sont sortis et qui, devenus adultes, se retournent sur les cicatrices de leur passé. Ces deux mots étranges qui préparent notre regard sont "résilience" et "oxymoron".

Quand le mot "résilience" est né en physique, il désignait l'aptitude d'un corps à résister à un choc. Mais il attribuait trop d'importance à la substance. Quand il est passé dans les sciences sociales, il a signifié la capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d'une adversité qui comportent normalement le risque grave d'une issue négative.

Comment devenir humain malgré les coups du sort? Ce questionnement admiratif existe depuis qu'on cherche à découvrir le continent oublié de l'enfance. Le gentil Rémi, dans Sans famille, posait clairement le problème: "Je suis un enfant trouvé. Mais j'ai cru que, comme tous les autres enfants, j'avais une mère..." Deux tomes plus tard, après avoir connu l'enfance des rues, l'exploitation par le travail, les coups, le vol et la maladie, Rémi gagne son droit de mener une vie socialement acceptable à Londres, et la termine avec une chanson napolitaine qui évoque les "douces paroles" et le "droit d'aimer". [...]

La Seconde Guerre mondiale a constitué une véritable révolution culturelle pour l'observation des enfants. Anna Freud avait déjà remarqué que certains enfants très altérés quand elle les avait recueillis à la nursery d'Hampstead étaient devenus des adultes apparemment épanouis. Françoise Dolto a confirmé: "Et pourtant, il y a des êtres humains qui, de par leur destin ou des accidents arrivés au cours de leur enfance, sont privés de la présence de leur mère ou des deux parents. Leur développement peut se faire aussi sainement, avec des caractéristiques différentes, mais aussi solidement [...] que celui des enfants qui ont eu une structure familiale intègre."

A partir des années 1990, le problème de la résilience s'est orienté vers l'étude des facteurs de protection: dans le fracas de l'existence, un enfant met en place des moyens de défense interne, tels que le clivage, quand le moi se divise en une partie socialement acceptée et une autre, plus secrète, qui s'exprime par des détours et des surprises. "Vous avez raison, mais tout de même" ... dit la personne clivée. Le déni permet de ne pas voir une réalité dangereuse ou de banaliser une blessure douloureuse: "Mais non, ce n'est rien du tout une paraplégie." La rêverie est tellement belle quand le réel est désolé. Elle imagine des refuges merveilleux en sacrifiant les relations trop difficiles: "J'attendais le soir avec impatience pour me retrouver seule avec mes rêves." L'intellectualisation permet d'éviter l'affrontement qui nous impliquerait personnellement: "Calmez-vous, je ne parle pas de vous. Je parle des agresseurs qui..." L'abstraction nous contraint à trouver les lois générales qui nous permettent de maîtriser ou d'éviter l'adversaire, alors que l'absence de danger autorise l'engourdissement intellectuel.

Enfin l'humour d'un seul trait métamorphose une situation, transforme une pesante tragédie en légère euphorie: "Alors, aux abords de l'humour, je l'ai éprouvé, il y a de la mort, du mensonge, de l'humilité, de la solitude, une tendresse insupportable et tendue, un refus des apparences, la préservation d'un secret, le fait d'une distance infinie, un cri en contrecoup de l'injustice." François Billetdoux, au nom plein d'humour, de tendresse insupportable et de secret mortel, ne savait pas, en écrivant ces lignes, qu'elles auraient pu qualifier le film de Roberto Benigni La vie est belle (1998). Il ne s'agit pas du tout de la dérision d'Auschwitz, mais au contraire d'une mise en scène de la fonction protectrice de l'humour... et de son prix: Acte I - l'humour et la gaieté se mélangent encore, dans une ambiance de fête où l'agresseur est comique, à son insu. Acte II - heureusement que les victimes ont de l'humour. Ça leur permet de supporter l'insupportable. Acte III - les survivants ont gagné. "C'est à en mourir." Cette dernière phrase du film nous parle de l'ambivalence des mécanismes de défense: ils nous protègent, mais on les paie. [...] De plus, nous ne sommes jamais les mêmes puisque nous vieillissons sans cesse. Un même événement n'aura pas les mêmes effets puisque au moment de sa survenue nous aurons déjà changé. Perdre sa mère à l'âge de six mois, c'est tomber dans le vide, dans le

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