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Intertextualité et humour dans le taureau blanc de Voltaire -

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Par   •  9 Novembre 2014  •  Analyse sectorielle  •  4 771 Mots (20 Pages)  •  1 211 Vues

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Cahiers de Narratologie

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13 | 2006 : Nouvelles approches de l'intertextualité

Intertextualité et humour dans Le taureau blanc de Voltaire

Marie-Hélène Cotoni

Résumé | Texte | Notes | Citation | Auteur

Résumé

Jugeant que l’intertextualité et l’humour impliquent l’un et l’autre une hétérogénéité discursive, nous avons choisi de les ana­lyser dans un conte où Voltaire a emprunté à l’Ancien Testament son bestiaire et une partie de ses personnages pour suggérer, en jouant avec le merveilleux, que la Bible n’est qu’une fable parmi d’autres.

Mais à côté de l’intention satirique et polémique, de la désacrali­sation par le travestissement burlesque, il y a place pour le dérègle­ment ludique et la féérie. A côté du message explicite de l’énoncé se fait jour le charme discret de l’énonciation.

La fantaisie du conteur s’exerce sur des réminiscences bibliques en produisant de constants décalages qui, pour un lecteur complice, sont source d’humour : situations inattendues, comportements surpre­nants, dérapages chronologiques, pastiches insolites, paralogismes, disparates stylistiques, jeu entre le dit et le non dit.

Quand le conteur brode sur le canevas d’un imaginaire ancien des aventures cocasses, quand il tient avec impassibilité un discours incongru, en mimant le plus grand naturel malgré la présence d’incompatibilités arbitraires et de décrochages, il crée, par l’alliance de la virtuosité et de la feinte naïveté dans l’usage des allusions inter­textuelles, un univers étrange, d’une poésie surréelle.

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Texte intégral

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1Si intertextualité et humour impliquent, l’un et l’autre, hétérogénéité discursive ou discontinuité, ils ont aussi en commun de recevoir, selon les critiques, des acceptions d’extension variable... Mon approche de l’intertextualité sera moins restrictive que celle de G. Genette, puisque je vais inclure ici ce qu’il analyse, dans Palimpsestes, sous le nom d’hypertextualité. Et dans les relations, de coprésence ou de dérivation, entre un conte voltairien et l’Ancien Testament, je tenterai de cerner avec précision ce qui relève de l’humour. C’est-à-dire d’un « esprit de la pensée »1, d’un jeu peu agressif, où des associations étranges, que le narrateur feint de nous présenter avec le même sérieux que s’il n’en voyait pas l’incongruité, aboutissent à une représentation surréelle.

2Un des livres le plus souvent lus et commentés par Voltaire est indiscutablement la Bible. Il a laissé des marques de lecture, en quantité inégale, il est vrai, dans chacun des vingt-quatre volumes du Commentaire littéral sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, du bénédictin dom Calmet2. Dans ses œuvres publiées, comme dans sa correspondance, les références à la Bible sont fréquentes, beaucoup plus que chez Montesquieu, Rousseau ou Diderot. On sait avec quelle véhémence, à travers ses « examens », « sermons », « homélies », « catéchismes », sans parler du Dictionnaire philosophique, ou de La Bible enfin expliquée, écrite deux ans avant sa mort, il a exprimé sa répugnance à l’égard de l’irrationalité et de l’immoralité qu’il voyait dans nombre de textes bibliques. Il résume alors l’Ecriture à sa manière, puis juxtapose interrogations, difficultés, hypothèses, commentaires, afin de dénoncer l’imposture qui fait du moindre verset, selon l’Eglise de son temps, la parole même de Dieu, ainsi que le fanatisme et le despotisme du clergé, qui découlent de cette certitude. Le Livre est donc l’objet, de la part du philosophe, d’un regard critique et d’un discours second, qui tend d’ailleurs, par les professions de foi déistes qui s’y ajoutent, à se substituer à la Révélation initiale.

3Mais le poids de ces polémiques ne doit pas nous faire négliger une autre approche de l’Ecriture, visible dans sa correspondance, et dans quelques-uns de ses récits. Quand il n’est pas horrifié par les innombrables massacres relatés dans l’Ancien Testament, et surtout par les atrocités modernes qu’on justifie en s’y référant, Voltaire aime lire la Bible. En septembre et octobre 1759, il en conseille la lecture à Madame du Deffand, pour « la singularité des mœurs antiques », « la foule des événements dont le moindre tient du prodige », la « naïveté ». Il tente de la persuader que chaque page fournit « des réflexions pour un jour entier », que ce livre « fait cent fois mieux connaître qu’Homère les mœurs de l’ancienne Asie. »3. Comme l’écrit René Pomeau, en même temps la Bible « le dégoûte et (...) l’enchante »4.

4Cette réaction, chez un lecteur qui se régale aussi des Mille et une nuits, explique que, devant les versets de l’Ecriture, la dimension ludique puisse parfois s’ajouter ou se substituer à la dimension polémique. C’est particulièrement fréquent dans la correspondance5, les destinataires étant assez imprégnés de culture biblique pour qu’une connivence s’établisse. C’est également le cas dans un conte tardif, publié en 1774, où domine le merveilleux et où l’écrivain, à quatre-vingts ans, retrouve une vivacité désinvolte pour broder sur des fables, le seul conte de critique biblique du XVIIIe siècle selon René Pomeau6, Le taureau blanc.

5Cette fantaisie orientale mêle tous les ingrédients d’un conte de fées : amours contrariées d’une jeune princesse, métamorphose d’un prince en bête, animaux qui parlent. Mais ce sont des réminiscences de la Bible qui inspirent le plus souvent Voltaire. C’est, d’abord, la malédiction prononcée à la fin du chapitre IV du Livre de Daniel7, citée partiellement au chapitre V du conte. Une voix venue du ciel a dit à Nabuchodonosor : « La royauté s’est retirée de toi, /d’entre les hommes tu seras chassé, /avec les bêtes des champs sera ta demeure, /d’herbe, comme les bœufs, tu te nourriras ». En présentant, comme le faisaient aussi certains apologistes8, ce prince littéralement métamorphosé en un taureau « blanc, fait au tour, potelé, léger même », doté de belles cornes d’ivoire9, et en le comparant aux taureaux

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