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Le Tps Qui Passe

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Par   •  3 Décembre 2012  •  2 927 Mots (12 Pages)  •  1 319 Vues

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Nous partirons de l’admirable tableau de Goya, qui se trouve au Prado, Saturne dévorant ses enfants. Qu’y voit-on ? Le vieux Cronos, fils d’Ouranos et père de Zeus, avalant de sa bouche d’ombre le corps ensanglanté d’un de ses fils, encore mal dégagé de la gangue, de la matière primitive… Et pourquoi ? Par crainte, bien sûr, par crainte qu’un de ses fils ne lui fasse ce qu’il a lui-même fait à son père : le déloger du trône où siège le dieu des dieux.

Oui, belle allégorie, qui nous dit en vérité ce qu’il en est du temps ! Car Chronos se conduit bien comme Cronos ! Tout se qu’il fait, il le défait ; tout ce qu’il construit, il le détruit ; tout ce qu’il fait apparaître dans l’être, il finit par l’en faire disparaître…

Puissance du temps

Cela s’appelle, en « patois » philosophique, l’efficacité du temps, terme qui indique que le passage du temps sur un être n’est jamais sans effets. Et certes, le temps altère (rend autre), aliène, corrompt, déforme, abîme, use, transforme tout ce sur quoi il passe : toute puissance du temps ! Toute puissance qui se marque certes plus vite sur ce visage-ci que sur ce visage-là, mais se marque cependant sur eux deux ; toute puissance qui se marque certes plus vite sur la rose que sur l’étoile, mais se marque cependant sur elles deux. Toute puissance dont témoigne également, et au combien, son irréductible irréversibilité[1]. Même un dieu ne peut pas faire que ce qui a eu lieu n’ait pas eu lieu, disaient les Grecs.

Oui, en vérité, toute puissance de Cronos, qui fait l’homme souffrir de sa triste impuissance ! D’où ce désir, sans doute l’un des plus anciens de l’homo sapiens, de trouver un être ou une chose qui échappent au temps, sur lesquels le temps achopperait, ne pouvant les altérer, corrompre ; de trouver dans l’Être un être à l’enviable per-manence, un être qui resterait (maneo) le même à travers (per) le temps.

L’infiniment petit

Cette recherche, l’homme l’a menée régulièrement dans l’infiniment petit. Et précisément, l’atome fut longtemps un candidat sérieux, au titre d’être permanent. Remarquant que c’est en décomposant un corps en ses diverses parties que le temps s’y prend généralement pour marquer son empire sur les choses, un Épicure va précisément faire de l’atome, un corps simple. Ultime composant de la matière, l’atome est en effet, et par définition même[2], un corps in-sécable, indivisible, l’équivalent physique du point mathématique, si l’on veut. Sa simplicité[3] signifierait l’échec du temps à l’altérer, le détruire, le corrompre. Exerçant souverainement sa puissance sur ces compositions d’éléments que sont en effet la rose, l’étoile, le visage ou le bibelot, le temps serait tristement réduit à l’impuissance face à leurs simples et éternels composants : les atomes.

Mais ces atomes d’Épicure, qui ont la sublime simplicité des principes, existent-ils cependant ? Non, si l’on en croit la science moderne, qui nous décrit ses atomes comme composés d’électrons, de protons..., et au-delà de quarks, la division semblant pouvoir être infiniment poursuivie. L’helléniste s’indignera d’ailleurs à bon droit, lorsqu’il entendra tel physicien ou tel militaire lui parler de l’énergie nucléaire comme obtenue par la scission de l’atome : formule évidemment contradictoire en elle-même ! Non, il faut bien s’y résoudre : il n’est point dans l’infiniment petit de corps assez simple pour échapper au pouvoir de Cronos.

L’infiniment grand

Faut-il donc chercher dans l’infiniment grand ? C’est bien ce que conseillait un ami à un poète abandonnée par sa belle, dans une légende romantique allemande. Elle lui avait promis d’être toujours là, le soir, à l’attendre, toujours à la même heure, toujours assise sur la même pierre, à côté de la même source. Et pendant des semaines et des mois, en effet… Jusqu’à ce qu’un funeste soir… Et le poète abandonné de maudire l’infidélité des femmes, leurs versatilité, leur inconstance. Ce à quoi l’ami s’empresse de répondre que lui ne risque certes pas pareille mésaventure : il est tombé amoureux d’une étoile ! Et les étoiles sont plus fidèles que les femmes[4], la mienne ne me manquera jamais, et si le brouillard ou le ciel bas et lourd m’en bouchent la vision, je sais qu’elle ne laisse cependant pas de brûler pour moi.

Et certes, mais là encore la science moderne est venue nous dire que cette constante étoile est un être de raison plutôt qu’une réalité. Les étoiles d’aujourd’hui ne sont plus celles dont les Grecs peuplaient le monde supra-lunaire[5], corps sphériques, au mouvement circulaire uniforme, mouvement qui comme chacun sait est celui qui se rapproche le plus de l’immobilité, comprise par les aristotéliciens comme perfection divine d’un être qui étant toujours déjà ce qu’il a à être, n’a point besoin de le devenir. Les étoiles s’éteignent, elles aussi ; leur mouvement est peut-être elliptique. Et puis nous savons maintenant l’univers infini, sans doute en expansion… Non, il faut bien s’y résoudre : il n’est pas non plus dans l’infiniment grand de corps pour échapper au pouvoir de Cronos.

Il est inutile d’ajouter que les diamants eux-mêmes ne sont pas éternels[6]. Si donc l’espoir de trouver dans le monde matériel des êtres échappant aux pouvoirs du temps semble comme voué à l’échec, alors faudra-t-il orienter notre recherche vers le monde des êtres immatériels ?

Les dieux

Les dieux sont-ils des êtres permanents ? Si la mythologie grecque ne les dit pas éternels[7], au moins les dit-elle immortels. Soit. Mais qu’en est-il de l’immortalité de Zeus, d’Eros, d’Aphrodite, et compagnie[8] ? Un dieu n’a peut-être pas plus de durée de vie que celle de la civilisation qui l’adore et croit en lui. Notre croyance nous poussera à dire qu’entre notre Dieu, le Dieu des fils d’Abraham, le Dieu des monothéistes, et les dieux grecs, la différence est infinie : et certes on ne saurait mettre sur le même plan ces derniers, souvent simples personnifications des puissances naturelles, et Ce Premier, omniscient, omnipotent, créateur ex nihilo de la nature et de toutes choses, juge suprême enfin. Mais croire, est-ce savoir ? Nous étions à la recherche d’un être qui fût indubitablement éternel. Or l’existence de Dieu est certes douteuse. Et elle l’est même pour le plus croyant d’entre nous ! Comme le disait saint Augustin, « Avoir

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