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La capabilité

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Par   •  17 Décembre 2012  •  2 738 Mots (11 Pages)  •  1 182 Vues

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Prix Nobel d’économie pour sa lutte contre la pauvreté, Amartya Sen est aussi philosophe dans la tradition de Condorcet. Il a inventé le concept de « capabilité », qui évalue les possibilités offertes aux individus d’exercer leur liberté. Sa réflexion sur la justice sociale, nourrie de son expérience de la colonisation, remet l’individu au centre de ses préoccupations, loin de tout dogmatisme.

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28/10/2010

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Justice, Pauvreté, Capabilité, Éthique

C’est l’un des plus grands réformateurs de notre temps ! Imaginez un Prix Nobel d’économie qui s’inspire d’Aristote et de Condorcet pour réintégrer l’économie dans l’éthique. Un combattant de la pauvreté qui démontre que la démocratie est l’arme la plus efficace contre les catastrophes alimentaires. Un philosophe indien et athée qui démonte le fantasme du « choc des civilisations » et appelle chacun à assumer le conflit des identités. Saint laïc ? Sage en action ? Entrepreneur des idées ? Amartya Sen est tout cela. Né en 1933 sur le campus de l’université Visva-Bharati dans la ville de Santiniketan, au Bengale, il fait des études d’économie et de philosophie à Calcutta et à Cambridge. Ses travaux s’inscrivent dans la théorie du « choix social », où il met en question le cadre utilitariste dominant, et propose d’intégrer des « biens » comme la liberté et la justice dans le calcul du développement. Une réflexion qu’il a poursuivie en France, l’an dernier, au sein de la commission « Stiglitz » pour la mesure des performances économiques. Pour réformer l’économie, Amartya Sen, aujourd’hui professeur à Harvard, propose une véritable révolution philosophique. Elle porte un nom : la « capabilité », ou la capacité de chacun de convertir ses droits en liberté réelle. Développée dans L’Idée de justice (Flammarion, 2010), ce concept vaut au Prix Nobel d’économie 1998 d’être considéré comme un grand philosophe.

Vous êtes né en 1933, à l’ouest du Bengale. Quel était le climat en Inde, sous la domination britannique ?

Amartya Sen : nous n’avions qu’une obsession en tête : comment nous libérer des Anglais ? Quand j’ai commencé à prendre conscience du monde, plusieurs membres de ma famille étaient en prison pour des raisons politiques. Il n’y avait aucun élément à charge contre eux, mais les Anglais avaient une loi de « détention préventive » permettant d’emprisonner ceux dont ils redoutaient qu’ils nuisent à l’Empire.

Vous étiez actif à cette époque ?

J’étais encore très jeune ; avec quelques années de plus, j’aurais été un activiste. Mais je lisais beaucoup, je suivais de près les débats politiques, la politique indienne, européenne, russe, africaine. J’éprouvais un réel plaisir à suivre les débats d’actualité, notamment ce qui concernait les révoltes qui étaient en train de se développer.

On ne perçoit pourtant aucun ressentiment chez vous ?

En période coloniale, le ressentiment est la règle. Ce sentiment a continué d’exister longtemps après l’indépendance. Aujourd’hui, les Anglais sont considérés à l’égal de tous les autres. Mais le fait marquant, c’est que, pendant l’histoire de l’Empire, il y a toujours eu de grandes voix qui se sont élevées contre le colonialisme. Adam Smith, dans La Richesse des nations, attaque la Compagnie des Indes, responsable, selon lui, de la famine.

La famine est l’une de vos grandes préoccupations. Vous racontez que votre conscience politique est née le jour où vous en avez été témoin, à Calcutta…

C’était en 1943, j’avais 9 ans. Les Japonais s’étaient emparés de la Birmanie voisine et bombardaient Calcutta. Les récoltes n’étaient pas mauvaises, mais les Britanniques, privés des réserves birmanes, avaient une énorme demande en nourriture. Comme ils craignaient les révoltes dans les centres urbains, ils achetaient à n’importe quel prix dans les campagnes. Résultat : les prix augmentaient et les pauvres des campagnes ne pouvaient plus se nourrir. Un désastre : de 2 à 3 millions de morts ! Alors que la famine avait commencé en juillet, les Britanniques n’ont apporté une aide organisée qu’à partir de novembre, quand la presse a bravé la censure pour révéler la catastrophe.

Quelle leçon en avez-vous tiré ?

Je n’ai pas compris pourquoi tant de gens étaient morts, alors qu’autour de moi, ma famille, les amis de ma famille, nous n’avions eu aucun problème pour nous nourrir. C’était donc une question de classe : seuls les pauvres étaient touchés. Ensuite, je n’ai pas compris comment un phénomène aussi massif pouvait être stoppé… dès lors que le gouvernement était mis en demeure de s’en occuper. J’en ai tiré une leçon sur l’absence de famine en démocratie : en Inde, elles ont d’ailleurs disparu avec l’instauration de la démocratie. Enfin, il m’a fallu des années pour comprendre le rôle fondamental d’un espace public dans la prévention des catastrophes de ce genre.

Dans L’Inde. Histoire, culture et identité, vous mentionnez un autre événement violent qui a marqué votre réflexion : un meurtre religieux…

C’était au moment où se multipliaient les affrontements entre hindous et musulmans, un peu avant la partition de l’Inde et du Pakistan. J’avais 11 ans, et je jouais seul dans le jardin de notre maison de Dhaka. Un journalier musulman qui avait été agressé devant le portail de notre maison est entré. Il saignait abondamment ; je lui ai donné de l’eau ; j’ai appelé mon père, et nous l’avons emmené à l’hôpital où il est mort. En chemin, il m’a expliqué qu’il était conscient d’avoir pris un risque en venant chercher du travail dans un quartier majoritairement hindou, que sa femme l’avait même supplié de ne pas y aller, mais qu’il ne supportait plus de voir sa famille mourir de faim. En zone hindoue, des musulmans étaient tués ; en zone musulmane, des hindous étaient tués. Les gens qui se voyaient comme

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