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« La Parole N'est Qu'un Bruit Et Les Livres Ne Sont Que Du Papier  »

Rapports de Stage : « La Parole N'est Qu'un Bruit Et Les Livres Ne Sont Que Du Papier  ». Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  17 Avril 2015  •  3 362 Mots (14 Pages)  •  1 544 Vues

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« La parole n’est qu’un bruit

et les livres ne sont que

du papier. »

Paul Claudel, Tête d’or 

Décrypter le sujet

• Cette phrase célèbre est tirée de Tête d’or, drame écrit par Paul Claudel (1868-1955) en 1889 et remanié en 1894. Cette formule est prononcée par un personnage, Cébès, au tout début de la pièce :

Me voici,

Imbécile, ignorant,

Homme nouveau devant les choses inconnues,

Et je tourne ma face vers l’Année et l’arche pluvieuse, j’ai plein mon cœur d’ennui !

Je ne sais rien et je ne peux rien. Que dire ? que faire ?

À quoi emploierai-je ces mains qui pendent, ces pieds

Qui m’emmènent comme le songe nocturne ?

La parole n’est qu’un bruit et les livres ne sont que du papier.

Il n’y a personne que moi ici. Et il me semble que tout

L’air brumeux, les labours gras,

Et les arbres et les basses nuées

Me parlent, avec un discours sans mots, douteusement.

• Il est tout à fait important de voir que cette phrase émane d’un personnage de fiction et non directement de l’écrivain. Ici, Cébès est un jeune homme désemparé qui ne sait que faire et son constat peut illustrer une perte de repères, une perte de confiance dans le savoir.

• Le sujet repose sur deux propositions parallèles utilisant une structure restrictive (ne…que) et coordonnées par « et ». Quel est le lien entre les deux propositions ? L’une est-elle la conséquence de l’autre, sont-elles nécessairement ou accidentellement liées, peut-on se passer de l’une des deux ?

• L’utilisation du présent de vérité générale, du verbe « être » et des articles définis donnent une dimension universelle au propos qui s’apparente à une maxime. Cependant, on peut se demander si la maxime est toujours vraie.

• La phrase semble énoncer une double disqualification : sont critiquées à la fois la parole et l’écriture (alors qu’en général, l’une est préférée à l’autre). Ce double discrédit paraît paradoxal car le personnage parle, mais cela peut signifier que Cébès n’a plus confiance dans la parole et la culture qui sont insignifiantes ou dérisoires. La réduction du livre au papier et de la parole au bruit illustre un rabaissement au matériel, un retour à l’élémentaire.

• On peut se demander de quelle parole il s’agit : est-ce la parole humaine qui n’est que du bruit ? Que dire de la parole inspirée par les dieux ou par les sentiments profonds ? Paul Claudel étant un écrivain profondément catholique, on peut penser à la parole divine qui dépasserait la parole humaine.

• Il faut passer de l’approche négative du « bruit » et du « papier » à une approche neutre ou positive. Dans quelle mesure la parole peut être parfois autre chose que du bruit ? Le bruit n’est-il pas un signe de la présence du monde, ne peut-il pas être retranscrit par le poète ? Inversement, n’y a-t-il pas un intérêt dans le papier qui fixe pour longtemps la parole, peut être repris, réutilisé ? Le livre de papier ne serait pas un synonyme de culture morte et inutile (ce que l’on retrouve dans une autre grande œuvre de la fin du XIXe siècle, Les Nourritures terrestres d’André Gide, où le narrateur demande à son lecteur de jeter son livre), mais un gage de durée et de transmission du discours.

I. Une double disqualification

A) La parole peut n’être que du bruit

La parole peut n’être qu’un bruit, dans le sens où elle peut être informe, disgracieuse ou bien totalement dénuée de sens ou de vérité. Ainsi, dans la pièce de Marivaux, un personnage est caractérisé par le bruit, par une conversation inutile et criarde : c’est Arlequin :

ARLEQUIN — C’est que mon camarade que je sers, m’a dit de porter cette lettre à quelqu’un qui est dans cette rue, et comme je ne la sais pas, il m’a dit que je m’en informasse à vous ou à cet animal-là ; mais cet animal-là ne mérite pas que je lui en parle, sinon pour l’injurier. J’aimerais mieux que le diable eût emporté toutes les rues, que d’en savoir une par le moyen d’un malotru comme lui. (III, 3)

Son langage est répétitif, peu clair, bruyant et inadéquat : il ressemble à du bruit. De plus, chez Marivaux, il n’est pas rare que des personnages se disputent à grand bruit et s’accusent de parler sans savoir :

MADAME ARGANTE — Votre Dorante est un impertinent.

MONSIEUR REMY — Bagatelle ! ce mot-là ne signifie rien dans votre bouche.

MADAME ARGANTE — Dans ma bouche ! À qui parle donc ce petit praticien Monsieur le Comte ? Est-ce que vous ne lui imposerez pas silence ?

MONSIEUR REMY — Comment donc ! m’imposer silence ! à moi, Procureur ! Savez-vous bien qu’il y a cinquante ans que je parle, Madame Argante ?

MADAME ARGANTE — Il y a donc cinquante ans que vous ne savez ce que vous dites. (III, 5)

La parole dévalorisée de l’homme de loi n’est donc qu’un bruit aux yeux de Madame Argante.

En outre, la parole peut n’être qu’un bruit lorsqu’elle est sans intérêt ou creuse. C’est ce que dénonce Verlaine de manière subtile dans « Malines » : le poète termine son chant par une référence à Fénelon, célèbre évêque et romancier de la fin du XVIIe siècle, qui est en fait un cliché :

Le train glisse sans un murmure,

Chaque wagon est un salon

Où l’on cause bas et d’où l’on

Aime à loisir cette nature

Faite à souhait pour Fénelon.

Verlaine retranscrit des paroles des voyageurs du train qui usent de lieux communs et ne peuvent apprécier directement le paysage. Dans ce sens, la parole n’est qu’un bruit, au sens où c’est un murmure et aussi au sens où elle est dérisoire et inutile.

Mais si la parole n’est qu’un bruit, c’est

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