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L'art Est Il Moins nécessaire Que La Science ?

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Par   •  13 Janvier 2013  •  2 688 Mots (11 Pages)  •  1 165 Vues

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L'art est-il moins nécessaire que la science ?

Introduction

« C'est de la littérature ! », entend-on parfois s'exclamer l'auditeur d'un récit semblant par trop fantaisiste. Ici donc, tout se passe comme si l'art en général était relégué au rang d'occupation sinon oiseuse, du moins inutile : les arts dans leur diversité auraient ceci de commun, de n'avoir aucune prétention à la vérité, et pas davantage de finalité pragmatique. L'art ne sert à rien, il est inutile, et ajoute-t-on parfois en manière de sauvetage désespéré, l'œuvre est belle justement parce qu'elle est inutile. La science en revanche, parce qu'elle a pour rôle d'établir un savoir certain et démontré, permet de connaître la nature et d'en dégager les lois ; or, connaître la légalité naturelle, c'est être capable de prévoir les phénomènes ; les prévoir, c'est les dominer, et d'abord en devenant capable de mettre ces lois elles-mêmes à notre service. Ainsi donc, la science quant à elle est doublement nécessaire : elle satisfait le besoin théorique de l'homme en comblant sa soif de connaissances, et elle permet de « commander à la nature en obéissant à ses lois », selon la belle formule de Bacon, c'est-à-dire d'aménager un monde où nous mettons au travail les forces naturelles elles-mêmes, que nous tournons à notre profit.

La science est alors nécessaire à l'homme, et pas seulement au sens où elle lui permet, grâce à ses applications techniques, de mener une vie plus sûre et plus confortable : elle accomplit ce qui est proprement humain, à savoir le désir de connaître. L'art en revanche ne serait que matière à délassement, une occupation de second ordre destinée à meubler le temps demeuré libre de toute activité sérieuse ; et si l'on admet volontiers que le plaisir procuré par les œuvres peut bien être réel, on n'en conclut pas moins qu'il n'est guère nécessaire, en ce sens évident que nous pourrions aisément nous en passer. Si l'on fait remarquer que le propre de l'homme, c'est aussi et de tout temps d'avoir créé des œuvres sans utilité assignable, le bon sens se contentera alors d'affirmer qu'il y a peut-être là un genre de nécessité obscure et incompréhensible, mais qu'en tout état de cause, l'art est moins nécessaire que la science.

L'expression est curieuse cependant, et semble en toute rigueur mal formée : si est nécessaire, ce qui ne peut pas ne pas être, alors la nécessité n'est pas susceptible de degré, en sorte que parler de « moins nécessaire » n'a tout simplement aucun sens… Entre la nécessité et la contingence, il n'y a pas de tiers terme ni de position intermédiaire. Cette hésitation qui nous prend est alors sans doute elle-même riche d'enseignements : se pourrait-il que l'art ait changé de statut, qu'il n'ait plus maintenant pour nous la nécessité qu'il a eue jadis pour d'autres ? En affirmant alors que l'art est « moins nécessaire » que la science, nous reculerions en fait devant l'évidence qui pourtant s'impose à nous : l'art pour nous n'a plus aucune nécessité réelle, s'il en en a eu une par le passé. Pour que cette hypothèse puisse cependant être retenue, encore faudrait-il expliquer ce qui s'est modifié dans notre rapport à l'art, et pourquoi une telle modification s'est produite : peut-être est-elle due aux progrès de la science précisément, c'est-à-dire au désenchantement d'un monde de moins en moins étrange ou inquiétant, dans lequel les œuvres et leur dimension symbolique seraient de moins en moins nécessaires ; peut-être aussi l'homme dispose-t-il désormais de moyens plus adéquats que les œuvres pour parvenir à une claire conscience de lui-même ; à moins, et tout au contraire, que les hommes de notre modernité, livrés tout entiers à une volonté de domination, d'emprise et de calcul, ne soient désormais incapables d'avoir un rapport aux œuvres.

I. Le désenchantement du monde et la perte de nécessité de l'art

Affirmer sur le ton de l'évidence que l'art est moins nécessaire que la science, c'est en fait opérer une triple réduction. D'abord, on présuppose que la nécessité peut être ramenée sans reste à l'utilité – Quand on dit d'une activité qu'elle est « moins nécessaire » qu'une autre, on entend par là qu'elle est moins utile, c'est-à-dire moins à même de satisfaire ce que Kant déjà nommait la « propension pragmatique au bien vivre », à savoir la recherche du confort, outre celle de la survie. On reconduit ensuite la science à ses applications techniques, celles-là mêmes qui sont seules susceptibles d'une utilité pragmatique ; on réduit enfin les œuvres d'art à leur seule fonction esthétique. C'est quand est présupposée la validité de ces trois réductions qu'on peut déclarer d'une part que la science est utile (c'est-à-dire qu'elle a des applications assurant notre survie et facilitant notre confort), tandis que l'art est « moins nécessaire », puisqu'il ne sert qu'à « faire joli ». Certes, il permet d'éprouver le frisson du beau, voire de « s'évader du réel » ; mais enfin la science, elle, nous donne le téléphone portable, l'ordinateur, les moyens de transport, et elle guérit le cancer. Bref, et comme le disait Pisarev (ce révolutionnaire Russe du xixe siècle), « Une paire de bottes vaut mieux que Shakespeare. » Or, ces présupposés n'ont à y bien penser rien d'évident. D'une part, il est douteux qu'on puisse ramener la nécessité à la seule satisfaction de nos besoins physiologiques : si c'était le cas, il n'y aurait pas de différence entre l'homme et l'animal qui, effectivement, ne se soucie quant à lui que de sa survie et de son bien-être. Il est également douteux que la science puisse être ainsi ramenée à ses seules applications techniques : en ce cas, la mathématique pure par exemple, discipline peu susceptible d'avoir une utilité quelconque s'il en fût, ne serait pas scientifique ; or, c'est précisément son caractère de savoir pur et désintéressé, c'est-à-dire séparé de toute application pragmatique, qui en a fait depuis l'Antiquité grecque la science par excellence. Enfin, l'idée que l'art a pour fonction de nous faire ressentir des émotions est une position récente, dont on ne saurait trouver nulle trace avant le tournant du xviiie

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