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Suis-je une chose de la nature ?

Dissertation : Suis-je une chose de la nature ?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  16 Décembre 2018  •  Dissertation  •  2 752 Mots (12 Pages)  •  564 Vues

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Que l’homme soit un être de la nature semble constituer une évidence. En effet, il relève de la nature, au sens où il tient d’elle son existence. Il tient aussi d’elle sa subsistance : une fois passé à l’existence, il en dépend pour vivre. Enfin, plongé dans cette nature, il est soumis à sa puissance et à ses lois. Ainsi, l’individu humain provient de la nature, évolue dans cette nature et y est assujetti. La technique et, plus généralement, la culture, ne sont, en un sens, que des produits de la nature humaine au service de cette exigence biologique et vitale de vivre. Pourtant, les artifices ne sont-ils pas aussi le signe d’une certaine maîtrise de la nature ? L’individu, loin de se réduire à une chose de la nature, a non seulement la vie, mais aussi la pensée, ainsi qu’une certaine liberté à l’égard de la nature. Doué d’une conscience, la chose que je suis est aussi une personne morale qui se rapporte à soi et à ses actes, et est dotée d’une identité personnelle. Au plus loin de l’inertie, de l’impersonnalité et de la passivité d’une chose, ne suis-je pas, moi qui me pense et m’interroge présentement sur ce que je suis, un sujet, capable de me représenter la nature et ma position en son sein ? Encore faut-il préciser le statut de ce « sujet » : s’il peut se prendre et prendre la nature pour objet de sa pensée et de sa connaissance, faut-il pour autant le traiter « comme un empire dans un empire » et voir en lui un être dont la nature transcenderait la nature et échapperait à ses lois ? Suis-je donc autre chose qu’une chose, certes qui pense, mais dont c’est la nature de penser, et dont la pensée obéit à des lois ? Nous montrerons dans un premier temps que l’homme est un être de la nature, pour dans un second temps expliquer que cela ne fait pas de lui une chose, car il est un sujet. Enfin, nous mettrons en évidence la pleine immanence de l’homme dans la nature, tout en insistant sur cette particularité qui ne lui donne pourtant aucun privilège surnaturel : il se pense et se sait soumis aux lois de la nature.

Que je sois, en tant qu’être humain, une chose de la nature, semble relever du bon sens. Si l’on accepte de ne pas identifier la « chose » avec l’inerte, mais simplement avec la réalité objective d’un corps, alors force est de constater que je suis une telle chose. Mon corps biologique est lui-même le produit d’autres choses naturelles, se régénère à l’aide d’autres corps naturels, et s’inscrit dans un milieu qu’est la nature. « Nature » désigne ici les réalités naturelles non modifiées par l’homme : mes parents ne sont pas, que je sache, des réalités culturelles ou surnaturelles ; les plantes et animaux dont je me sers pour nourrir ne sont pas des créations, et les artifices dont je me sers sont tous produits à partir de choses naturelles. Mais le mot « nature » désigne aussi l’ensemble de la réalité, de ce qui est, l’univers si l’on veut : je m’inscris dans un environnement qui est celui de la nature, qui comprend tout autant l’infinité de l’univers, que le milieu proprement humain constitué par l’homme.

Cette inscription dans la nature fait de nous une chose de la nature en un nouveau sens. En effet, comme le suggère l’expression « il en a fait sa chose », à propos d’un individu qui se sert de la soumission d’autrui pour l’asservir, l’homme semble être la « chose » de l’univers. Ballotté par les circonstances naturelles, l’individu humain apparaît comme agité de tous côtés par les forces de la nature. Ainsi, Pascal écrit : « L’homme est un roseau, le plus faible de la nature » (Pensées, Le Guern, 186). Il est en effet exposé aux assauts les plus terribles des autres choses de la nature, de l’infiniment grand à l’infiniment petit : « Il ne faut pas que l’univers s’arme pour l’écraser ; une goutte d’eau, une vapeur suffit pour le tuer » (Ibid.) Pascal écrit cela au xviie siècle, qui subit toujours de plein fouet les épidémies, mais découvre aussi, grâce à l’invention du microscope, l’existence des microbes et virus. L’homme apparaît ainsi la proie tant des tsunamis et autres catastrophes naturelles, que des maladies qui s’insinuent en nous sans être vues. La faiblesse de l’homme met en évidence, aux yeux de Pascal, sa finitude : « Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point » (Ibid. 104). Mortel et impuissant, je ne suis qu’une chose presque négligeable dans l’infinité de l’univers.

Cette impuissance se révèle d’autant plus face aux passions auxquelles je suis soumis malgré moi. Que nous le voulions ou non, notre vie affective est tout entière soumise aux aléas des circonstances extérieures : « Nous sommes agités de multiples façons par les causes extérieures et, tels les flots agités par des vents contraires, nous sommes ballottés en tous sens, ignorants de notre avenir et de notre destin. » (Spinoza, Éthique, III, 59, sc.) Spinoza est très certainement celui qui a le mieux identifié la soumission et la servitude de l’homme à l’égard de ses affects et, par conséquent, à l’égard de la nature. En effet, il n’est pas du ressort de notre volonté ou de notre libre arbitre de nous mettre en colère, d’envier ou d’aimer, d’haïr ou de mépriser. Ce sont là autant de manières pour nous d’être déterminés par les circonstances extérieures, et ce selon des lois naturelles : « Les Affects donc de la haine, de la colère, de l’envie, etc., considérées en elles-mêmes, suivent de la même nécessité et de la même vertu de la Nature que les autres choses singulières » (Ibid., préf.). L’homme est donc bien une chose de la nature, au sens cette fois où, comme toute autre chose, il est soumis aux mêmes lois et ne fait pas exception : « les lois et règles de la Nature […] sont partout et toujours les mêmes ; par suite, la voie droite pour connaître la nature des choses, quelles qu’elles soient, doit être aussi une et la même ; c’est toujours par le moyen des lois et règles universelles de la Nature » (Ibid., nous soulignons).

Nous sommes donc bien, en tant qu’homme, une chose de la nature. Mais cette façon que nous avons de connaître notre position dans la nature, de connaître les lois qui la régissent, nous rendant ainsi aptes, comme nous l’avons remarqué, à produire des artifices, n’est-elle pas le signe que nous ne sommes pas que des choses, mais aussi des sujets ? En effet, qu’est cette chose étrange, capable de dire « Je » ? Il n’en va pas seulement de la vie, mais de la conscience et de la pensée. De cela, n’en découle-t-il pas une dignité ou une force morale qui fait de moi non seulement un sujet, mais aussi une personne responsable ?

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