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Mme De Laf

Cours : Mme De Laf. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  18 Novembre 2014  •  Cours  •  1 615 Mots (7 Pages)  •  806 Vues

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−− Mais pourquoi ne voulez−vous point revenir à Paris ? Qui vous peut retenir à la campagne ? Vous

avez depuis quelque temps un goût pour la solitude qui m'étonne et qui m'afflige parce qu'il nous sépare. Je

vous trouve même plus triste que de coutume, et je crains que vous n'ayez quelque sujet d'affliction.

−− Je n'ai rien de fâcheux dans l'esprit, répondit−elle avec un air embarrassé ; mais le tumulte de la cour

est si grand, et il y a toujours un si grand monde chez vous, qu'il est impossible que le corps et l'esprit ne se

lassent, et que l'on ne cherche du repos.

−− Le repos, répliqua−t−il, n'est guère propre pour une personne de votre âge. Vous êtes chez vous et

dans la cour, d'une sorte à ne vous pas donner de lassitude, et je craindrais plutôt que vous ne fussiez bien

aise d'être séparée de moi.

−− Vous me feriez une grande injustice d'avoir cette pensée, reprit−elle avec un embarras qui

augmentait toujours ; mais je vous supplie de me laisser ici. Si vous y pouviez demeurer, j'en aurais beaucoup

de joie, pourvu que vous y demeurassiez seul, et que vous voulussiez bien n'y avoir point ce nombre infini de

gens qui ne vous quittent quasi jamais.

−− Ah ! Madame ! s'écria monsieur de Clèves, votre air et vos paroles me font voir que vous avez des

raisons pour souhaiter d'être seule, que je ne sais point, et je vous conjure de me les dire.

Il la pressa longtemps de les lui apprendre sans pouvoir l'y obliger ; et après qu'elle se fût défendue d'une

manière qui augmentait toujours la curiosité de son mari, elle demeura dans un profond silence, les yeux

baissés ; puis tout d'un coup prenant la parole et le regardant :

−− Ne me contraignez point, lui dit−elle, à vous avouer une chose que je n'ai pas la force de vous

avouer, quoique j'en aie eu plusieurs fois le dessein. Songez seulement que la prudence ne veut pas qu'une

femme de mon âge, et maîtresse de sa conduite, demeure exposée au milieu de la cour.

−− Que me faites−vous envisager, Madame ! s'écria monsieur de Clèves. Je n'oserais vous le dire de

peur de vous offenser.

Madame de Clèves ne répondit point ; et son silence achevant de confirmer son mari dans ce qu'il avait

pensé :

−− Vous ne me dites rien, reprit−il, et c'est me dire que je ne me trompe pas.

−− Eh bien, Monsieur, lui répondit−elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l'on n'a

jamais fait à son mari, mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la force. Il est vrai

que j'ai des raisons de m'éloigner de la cour, et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les

personnes de mon âge. Je n'ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d'en laisser

paraître, si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j'avais encore madame de Chartres pour

aider à me conduire.

Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d'être

à vous. Je vous demande mille pardons, si j'ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous

déplairai jamais par mes actions. Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus

d'estime pour un mari que l'on en a jamais eu ; conduisez−moi, ayez pitié de moi, et aimez−moi encore, si

vous pouvez.

Monsieur de Clèves était demeuré pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de

lui−même, et il n'avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu'il jeta les yeux

sur elle qu'il la vit à ses genoux le visage couvert de larmes, et d'une beauté si admirable, il pensa mourir de

douleur, et l'embrassant en la relevant :

−− Ayez pitié de moi, vous−même, Madame, lui dit−il, j'en suis digne ; et pardonnez si dans les

premiers moments d'une affliction aussi violente qu'est la mienne, je ne réponds pas, comme je dois, à un

procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d'estime et d'admiration que tout ce qu'il y a jamais eu

de femmes au monde ; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m'avez

donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue, vos rigueurs et votre possession n'ont pu

l'éteindre : elle dure encore ; je n'ai jamais pu vous donner de l'amour, et je vois que vous craignez d'en avoir

pour un autre. Et qui est−il, Madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte ? Depuis quand vous

plaît−il ? Qu'a−t−il fait pour vous plaire ? Quel chemin a−t−il trouvé pour aller à votre coeur ? Je m'étais

consolé en quelque sorte de ne

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