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Étude de l'essai I, 31, Des Cannibales de Michel De Montaigne

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Par   •  25 Avril 2014  •  5 551 Mots (23 Pages)  •  865 Vues

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MONTAIGNE Des Cannibales [langue en partie modernisée]

Quand le roi Pyrrhus passa en Italie, après qu’il eut reconnu l’ordonnance de l’armée que les Romains lui envoyaient au-devant : “ Je ne sais, dit-il, quels barbares sont ceux-ci (car les Grecs appe- laient ainsi toutes les nations étrangères), mais la disposition de cette armée que je vois, n’est aucune- ment barbare. ” Autant en dirent les Grecs de celle que Flaminius fit passer en leur pays et Philippe, voyant d’un tertre l’ordre et distribution du camp romain en son royaume, sous Publius Sulpicius Gal- ba. Voilà comment il se faut garder de s’attarder aux opinions vulgaires, et les faut juger par la voix de la raison, non par la voix commune. J’ai eu longtemps avec moi un homme qui avait demeuré dix ou douze ans en cet autre monde, qui a été découvert en notre siècle, en l’endroit où Villegagnon prit terre, qu’il surnomma la France Antarctique. Cette découverte d’un pays infini semble être de considération. Je ne sais si je me puis répon- dre qu’il ne s’en fasse à l’avenir quelqu’autre, tant de personnages plus grands que nous ayant été trompés en celle-ci. J’ai peur que nous ayons les,yeux plus grands que le ventre, et plus de curiosité que nous n’avons de capacité. Nous embrassons tout, mais n’étreignons que du vent. Platon introduit Solon racontant avoir appris des prêtres de la ville de Saïs, en Egypte, que, jadis et avant le déluge, il y avait une grande île, nommée Atlantide, droit à la bouche du détroit de Gibraltar, qui tenait plus de pays que l’Afrique et l’Asie toutes deux ensemble, et que les rois de cette contrée-là, qui ne possé- daient pas seulement cette île, mais s’étaient étendus dans la terre ferme si avant qu’ils tenaient de la largeur d’Afrique jusques en Egypte, et de la longueur de l’Europe jusques en la Toscane, entreprirent d’enjamber jusques sur l’Asie et subjuguer toutes les nations qui bordent la mer Méditerranée jusques au golfe de la mer Majour ; et, pouf cet effet, traversèrent les Espagnes, la Gaule, l’Italie, jusques en la Grèce, où les Athéniens les soutinrent ; mais que, quelque temps après, et les Athéniens, et eux, et leur île furent engloutis par le déluge. Il est bien vraisemblable que cet extrême ravage d’eaux ait fait des changements étranges aux habitations de la terre, comme on tient que la mer a retranché la Sicile d’avec l’Italie, “ On dit que ces terres qui ne formaient qu’un seul continent ont été séparées jadis de force, arrachées par une énorme convulsion” , Chypre d’avec la Syrie, l’île de Négrepont de la terre ferme de la Béotie ; et joint ailleurs les terres qui étaient divisées, comblant de limon et de sable les fossés d’entredeux, “ Un marais longtemps stérile et propre aux rames supporte la pesante charrue. ” Mais il n’y a pas grande apparence que cette île soit ce monde nouveau que nous venons de découvrir ; car elle touchait quasi l’Espagne, et ce serait un effet incroyable d’inondation de l’en avoir reculée, comme elle est, de plus de douze cents lieues ; outre ce que les navigations des modernes ont déjà presque découvert que ce n’est point une île, ainsi terre ferme et continente avec l’Inde orientale d’un côté, et avec les terres qui sont sous les deux pôles d’autre part ; ou, si elle en est séparée, que c’est d’un si petit détroit et intervalle qu’elle ne mérite pas d’être nommée île pour cela. Il semble qu’il y ait des mouvements, naturels les uns, les autres fiévreux, en ces grands corps comme aux nôtres.Quand je considère l’impression que ma rivière de Dordogne fait de mon temps vers la rive droite de sa descente, et qu’en vingt ans elle a tant gagné, et dérobé le fondement à plu- sieurs bâtiments, je vois bien que c’est une agitation extraordinaire ; car, si elle fût toujours allée à ce train ; ou dût aller à l’avenir, la figure du monde serait renversée. Mais il leur prend des changements : tantôt elles s’épandent d’un côté, tantôt d’un autre ; tantôt elles se contiennent. Je ne parle pas des soudaines inondations de quoi nous manions les causes. En Médoc, le long de la mer, mon frère, sieur d’Arsac, voit une sienne terre ensevelie sous les sables que la mer vomit devant elle ; le faîte d’aucuns bâtiments paraît encore ; ces rentes et domaines se sont échangés en pacages bien maigres. Les habitants disent que, depuis quelque temps, la mer se

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pousse si fort vers eux qu’ils ont perdu quatre lieues de terre. Ces sables sont ses fourriers ; et voyons des grandes mont-joies d’arène mouvante qui marchent d’une demi-lieue devant elle, et gagnent pays. L’autre témoignage de l’Antiquité, auquel on veut rapporter cette découverte, est dans Aris- tote, au moins si ce petit livret Des merveilles inouïes est à lui. Il raconte là que certains Carthaginois, s’étant jetés au, travers de la mer Atlantique, hors le détroit de Gibraltar, et navigué longtemps, avaient découvert enfin une grande île fertile, toute revêtue de bois et arrosée de grandes et profondes rivières, fort éloignée de toutes terres fermes ; et qu’eux, et autres depuis, attirés par la bonté et fertilité du ter- roir, s’y en allèrent avec leurs femmes et enfants, et commencèrent à s’y habituer. Les seigneurs de Carthage, voyant que leur pays se dépeuplait peu à peu, firent défense expresse, sur peine de mort, que nul n’eût plus à aller là, et en chassèrent ces nouveaux habitants, craignant, à ce que l’on dit, que par succession de temps ils ne vinssent à multiplier tellement qu’ils les supplantassent eux-mêmes et rui- nassent leur Etat. Cette narration d’Aristote n’a non plus d’accord avec nos terres neuves. Cet homme que j’avais était homme simple et grossier, qui est une condition propre à rendre véritable témoignage ; car les fines gens remarquent bien plus curieusement et plus de choses, mais ils les glosent ; et pour faire valoir leur interprétation et la persuader, ils ne se peuvent farder d’altérer un peu l’Histoire ; ils ne vous représentent jamais les choses pures, ils les inclinent et masquent selon le visage qu’ils leur ont plu ; et, pour donner crédit à leur jugement et vous y attirer, prêtent volontiers de ce côté-là à la matière, l’allongent et l’amplifient. Ou il faut un homme très fidèle, ou si simple qu’il n’ait pas de quoi bâtir et donner de la vraisemblance à des inventions fausses, et qui n’ait rien épousé. Le mien était tel ; et, outre cela, il m’a fait voir à diverses fois plusieurs matelots et marchands qu’il avait connus en ce voyage. Ainsi je me contente de cette information, sans m’enquérir de ce que

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