LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Sociologies

Analyse sectorielle : Sociologies. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  14 Janvier 2014  •  Analyse sectorielle  •  2 755 Mots (12 Pages)  •  645 Vues

Page 1 sur 12

Il peut sembler paradoxal de désigner l’objet « familles » comme une voie de pénétration dans la sociologie de l’alimentation alors que celle-ci, historiquement, s’est construite en partie comme une branche de la sociologie de la famille. Par exemple, les premières études disponibles sur l’alimentation ouvrière, celles de Frédéric Le Play et de Maurice Halbwachs, partent des familles, dont ils analysent notamment les dépenses alimentaires. Mais peu à peu la sociologie de l’alimentation s’est autonomisée par rapport à ces origines, dans une logique de division toujours plus poussée du travail (Durkheim, 1893), y compris du travail en sciences sociales. On trouve aujourd'hui des départements et des programmes de recherche et/ou d’enseignement qui, pour continuer à s’intéresser à la famille ou à d’autres objets connexes, n’en sont pas moins spécialisés en sociologie de l’alimentation : le laboratoire « Alimentation et sciences sociales » à l’Inra, le Cetia à l’Université Toulouse 2, la Division of Nutritional Sciences à l’Université de Cornell, certains départements des Universités de Manchester et de Sheffield, l’Observatoire de l’Alimentation à l’Université de Barcelone, ou encore plusieurs programmes de recherche financés par l’ANR. Enfin des revues (Appetite, Food and Foodways) et des manuels (McIntosh, 1996 ; Poulain, 2002 ; Régnier et al., 2006) semblent signaler, par leur apparition relativement récente, une cristallisation en cours de la discipline.

2Autonomisée, la sociologie de l’alimentation n’en reste pas moins redevable à sa thématique d’origine, mais selon des canaux qu’il importe de préciser. En effet, nouveau sujet d’étonnement, au sein de la discipline nouvellement constituée, l’entrée par les familles est comme brouillée. Les deux corpus – famille, alimentation – semblent à présent évoluer presque parallèlement, en tout cas sans tirer tout le parti de ce qu’ils ont en commun. Certes, quelques études se situent de manière paradigmatique à leur intersection (Gojard, 2000 ; Kaufmann, 2005 ; les études issues des enquêtes statistiques nationales). Mais d’un point de vue quantitatif, ils restent largement disjoints : on trouve d’un côté l’anthropologie de la parenté et la sociologie de la famille, dans lesquelles des informations sur l’alimentation apparaissent ponctuellement, de l’autre la sociologie de l’alimentation, dont les travaux n’investiguent pas systématiquement le cadre familial des consommations alimentaires.

2 Cette bipolarité se constate aussi pour d’autres domaines, comme celui de la santé, la sociologie (...)

3Il faut reconnaître que ce processus d’autonomisation de l’étude de l’alimentation est aussi allé de pair avec la complexification de celle de l’objet « famille », qui a pu avoir pour effet de brouiller les pistes. Tout d’abord, la réflexion proprement sociologique sur la famille s’est enrichie d’une nouvelle thématique, la sociologie de l’enfance et de l’adolescence (Sirota, 2006), dont les liens directs avec celle de l’alimentation (Diasio et al., 2009) ont pu donner l’impression qu’elle court-circuiterait la question familiale. Ensuite, on constate une profusion de discours savants sur la famille, qui concernent l’ensemble des sciences sociales et non la seule sociologie au sens étroit du terme. Cet objet est abordé également par l’anthropologie (Lévi-Strauss, 1949), par l’histoire (Burguière et al., 1994), par l’économie (Becker, 1981), enfin par les différentes ramifications de la psychologie. Cette diversification rejaillit sur l’objet « alimentation », qui peut lui aussi être abordé selon plusieurs disciplines académiques. Par exemple, la présence de l’économie et de la psychologie entraîne un déplacement sémantique vers le terme de « comportement alimentaire ». On pourrait ainsi distinguer de manière idéale-typique deux pôles, l’un monodisciplinaire, ancré dans la sociologie, l’autre pluridisciplinaire, où les objets « famille » et « alimentation » sont cernés par différentes sciences humaines et sociales 2.

4Cette complexification des approches ne doit pas conduire à oublier les liens originaires entre sociologies de l’alimentation et de la famille. Au contraire, elle permet de jeter dessus un regard enrichi de ces nouveaux apports. C’est un tel regard que propose de développer ce texte. Il tente d’évaluer l’apport scientifique de travaux qui peuvent nourrir la réflexion en sciences sociales au sens large. Il débouche donc sur une cartographie raisonnée et évaluative des apports de l’entrée par les familles à la sociologie de l’alimentation.

5Schématiquement, on peut identifier cinq grands courants de recherche : l’approche statistique fondée sur les catégories socio-professionnelles, les études de psychologie sociale, les études ethnographiques sur les familles, celles croisant enfance, adolescence et alimentation, enfin celles, à dominante psychanalytique, des origines familiales des troubles de l’alimentation. La métaphore de portes choisie pour titre de ce texte ne signifie donc pas une enfilade de ces lieux de passage obligés pour passer de la famille à l’alimentation, mais qu’on a au contraire le choix entre elles, voire qu’on peut en emprunter plusieurs si on le souhaite. Des portes dans un vestibule, pour pénétrer dans la maison par différents chemins, donc, plutôt que des portes séparant les segments d’un couloir. Rentrons à présent dans la maison.

L’approche statistique fondée sur les catégories socio-professionnelles : un monde défait ?

6On peut faire remonter les premières réflexions de sociologie de l’alimentation, ancrées dans l’approche en termes de classes sociales, aux travaux de Maurice Halbwachs (1912). À partir d’études sur le budget des familles, celui-ci trouve tout d’abord une confirmation de la « loi d’Engel », selon laquelle la part des dépenses consacrée à la nourriture diminue au fur et à mesure que s’accroissent les revenus. Il note ensuite cependant que l’impact du revenu sur les postes budgétaires n’est qu’indirect.

« Son action s’exerce à travers le système des goûts et des préférences que les individus se sont progressivement formés dans leur milieu. Les contraintes imposées et les conditions sociales d’existence et de travail, les traditions familiales, la culture locale, le système de valeurs ont ainsi progressivement modelé les goûts des individus » (Baudelot & Establet, 1994, cité par Régnier et al, 2006, p. 52).

7Autrement dit, ce que l’on mange ne dépend pas seulement de son revenu,

...

Télécharger au format  txt (18.9 Kb)   pdf (177.1 Kb)   docx (15.4 Kb)  
Voir 11 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com