LaDissertation.com - Dissertations, fiches de lectures, exemples du BAC
Recherche

Maldoror Et L'entre-deux Mort

Rapports de Stage : Maldoror Et L'entre-deux Mort. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  10 Janvier 2014  •  2 799 Mots (12 Pages)  •  998 Vues

Page 1 sur 12

Introduction

L’entre-deux morts, expression formulée par Jacques Lacan, est une notion inextricablement liée à la psychanalyse et à la littérature. Elle n’est pas si évidente à définir : il faut considérer qu’il existe deux sortes de mort : l’une physique, et l’autre psychique.

L’entre-deux morts est donc tiraillé entre deux pôles : il peut s’agir de la mort avant la mort (mort de l’âme avant la mort physique), de la mort après la mort (seconde vie et résurrection possibles), d’êtres coincés entre vie et mort (le mort-vivant, le vampire).

L’entre-deux morts connaît la mélancolie, cette « humeur noire ». Le mélancolique, insensible au bout du compte, ne parle de lui qu’en se dégradant. C’est la mort avant la mort. Pour Lacan, « l’entre-deux morts, c’est la vie empiétant sur la mort ».

Beaucoup d’œuvres littéraires ont exploité, inconsciemment ou non, cette notion. Antigone est la figure majeure de l’entre-deux : c’est une figure en avant, dans l’agir, qui sait qu’elle va mourir à cause de ses actes et le revendique. Ainsi, elle rejoindra son frère, privé de sépulture, resté lui aussi dans l’entre-deux.

L’œuvre de Shakespeare est peuplée de fantômes, de rois qui deviennent fous avant de mourir physiquement. Le sommeil est également associé à la mort (Roméo et Juliette en est le plus parfait exemple).

Si l’on convoque la psychanalyse, on sait que le sadique a besoin de faire souffrir pour éprouver du plaisir et se sentir vivre. Il doit maintenir autrui dans l’entre-deux mots, dans l’anéantissement psychique et physique, afin de laisser des traces, des stigmates, qui seront les preuves inscrites de la souffrance et de l’existence. Selon Lacan encore, le sadique « s’approprie l’usufruit de la souffrance qu’il provoque ». C’est sans doute son seul moyen d’exister.

Maldoror, personnage crée par Ducasse et mis en scène par le narrateur Lautréamont, peut être largement considéré comme un personnage de l’entre-deux morts. Il se situe d’ailleurs dans l’entre-deux tout court : tour à tour vivant et mort, humain et animal, cruel et compatissant, il est un personnage romantique noir flamboyant, dont on ne peut résumer sérieusement les aventures.

La mort est omniprésente dans tout le livre ; c’est l’aboutissement logique de l’exercice du mal auquel s’adonne activement Maldoror. La première mise à mort est celle, symbolique, d’Isidore Ducasse, qui s’efface au profit de ses deux créations, le comte de Lautréamont et Maldoror. Cette triple identité brouille souvent les pistes, et il n’est pas toujours aisé de savoir qui « parle » dans l’œuvre. Marcelin Pleynet a défini ce problème : « il faut bien lire Les Chants de Maldoror […] par le comte de Lautréamont, pour entendre Lautréamont comme scripteur, scribe de Maldoror, et comprend que Ducasse joue là avec deux pseudonymes et une absence d’identité »1.

L’identité étant ainsi évaporée, elle ne peut porter ni sur le pseudonyme, ni sur le personnage, ni sur l’auteur qui disparaît volontairement. Cette absence est bien ce qu’on pourrait appeler la mort « originelle » de l’œuvre.

Les Chants de Maldoror disent aussi le massacre des innocents et des victimes. On n’en finit pas de mourir et de faire mourir ; il y a une présence obsédante de la mort sous toutes ses formes. On ne meurt jamais de vieillesse. La mort est jeune et dynamique. Seul le suicide est prohibé.

Cette œuvre « océanique » selon Philippe Sollers contient tous les thèmes de l’entre-deux : la mélancolie, la pourriture, le sadisme, la vie animale, le vampire, la mort sous toutes ses formes. C’est que Maldoror est un de ces êtres totalitaires qu’on nomme monstre.

On peut donc se demander comment Maldoror, « un monstre dont je suis heureux que vous ne puissiez apercevoir la figure »2, est-il maintenu dans cette ambiguïté, dans ces doubles tensions. Pourquoi n’arrive-t-on jamais à le définir, alors qu’il est constamment présent à travers les pages du livre et qu’il entretient une relation privilégiée avec son lecteur ?

Dans une première partie, nous tenterons une description de l’être Maldoror ; puis dans une seconde, en quoi ses crimes sadiques maintiennent autrui dans l’entre-deux. Enfin, dans une troisième, nous montrerons que n’est pas monstre qui veut : Maldoror est un être de souffrance, un être entre la vie et la mort, pour qui les crimes sont la seule raison d’exister.

1) Tentative de description de Maldoror

Comment peut-on intégrer ce personnage qu’est Maldoror ? Selon la terminologie d’Umberto Eco, Maldoror serait un personnage “surnuméraire”, c’est à dire sans correspondant dans la réalité. En effet, il ne s’appréhende pas comme n’importe quel héros !

La subjectivité du lecteur joue un tel rôle dans la représentation qu’il est à peine métaphorique de parler d’une « présence » du personnage à l’intérieur du lecteur. Jouve écrit : « c’est [donc] au lecteur qu’il appartient de construire la représentation à partir des instructions du texte »3. Il explique plus loin : « c’est en effet l’indétermination relative qui crée cette intimité exceptionnelle entre le sujet qui lit et le personnage »4. Ainsi, grâce au texte, le lecteur crée une image mentale sans existence, puis doit puiser dans son encyclopédie mentale et personnelle pour matérialiser sous forme d’image les données que lui propose le texte.

Maldoror est un être particulièrement étrange ; on le croirait jeune tant il fait preuve parfois de souplesse et de rapidité, mais il nous dit aussi qu’il écrit les Chants pendant sa vieillesse; ici, il est d’une beauté étrange ; mais là, son visage est caché ou monstrueux. Il fut bon jadis, mais une folie la frappa pendant son enfance ; depuis, jamais il ne dort et jamais il ne rit. Il parcourt le monde en accomplissant des cruautés, suscitant les tentations, toujours assoiffé d’infini. Il est multiforme. C’est un personnage qui échappe à toute identification réaliste : il pourrait incarner le mythe du surhomme prométhéen en perpétuelle mobilité. Il est une âme errante qui n’a ni passé ni biographie. « On ne saurait raconter la geste de Maldoror »5, dit Michel Nathan. C’est un adversaire répugnant (toutes ses relations avec le monde animal le prouvent), à la fois

...

Télécharger au format  txt (17.8 Kb)   pdf (170.8 Kb)   docx (16.1 Kb)  
Voir 11 pages de plus »
Uniquement disponible sur LaDissertation.com