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Le Temps vécu Ronsart : " Le Temps S'en Va... "

Mémoire : Le Temps vécu Ronsart : " Le Temps S'en Va... ". Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  1 Octobre 2014  •  2 197 Mots (9 Pages)  •  826 Vues

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Qui n’a eu le sentiment du caractère éphémère de son existence ? C’est pour cela que nous nous trouvons souvent à nous lamenter parce que le temps passe. C’est ce sentiment que Pierre de Ronsard (Continuations des amours, 1555) réinterprète dans ses vers célèbres adressés à Marie Dupin ( ?-1573).

« Le temps s’en va, le temps s’en va ma Dame,

Las ! le temps non, mais nous nous en allons »

Le poète, s’adressant à celle qu’il aime, lui fait remarquer d’abord que le temps s’éloigne, bref, qu’il faut saisir l’occasion d’aimer avant qu’il ne soit trop tard. La répétition de l’expression insiste bien sûr, mais scande un caractère propre au temps. Mais si c’était le temps qui disparaissait, tout irait bien. La lamentation se fait plus insistante, en niant la première idée car ce n’est pas le temps, c’est nous qui partons. S’il n’y avait que le temps ou s’il y avait le temps, notre existence, notre vie demeurerait.

Or, s’il est vrai que le temps demeure, il ne peut demeurer le même de sorte que dire qu’il s’en disparaît a un sens. C’est un autre temps ou un temps autre. Mais cela a aussi du sens que de considérer que la finitude de notre existence implique que ce n’est pas le temps qui disparaît mais ce sont les choses dans le temps, c’est-à-dire en l’occurrence, l’être qui se sait mortel.

On peut donc se demander si cette fuite du temps a un sens et lequel ou bien si elle n’est pas une sorte d’illusion et comment elle est possible ?

En nous appuyant notamment sur le chapitre II de l’Essai sur les données immédiates de la conscience intitulé « De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée », sur Sylvie de Gérard de Nerval et sur Mrs Dalloway de Virginia Woolf, nous verrons que la fuite du temps a le sens d’une reconnaissance de sa réalité vécue, qu’elle manifeste même la finitude de notre existence mais qu’elle est surtout le résultat des inévitables ratés de la vie qui, par ailleurs, ne manque jamais de temps lorsqu’elle est pleine.

Nombreuses sont les expressions qui énoncent le manque de temps, sa disparition, une sorte d’exclamation qui montre que le temps est passé. S’il était un cadre vide comme la physique le donne à penser, alors il ne procurerait pas ce sentiment. On comprend que Bergson considère qu’il n’est pas dans sa réalité même, un milieu homogène, comme il est conçu en science (cf. Essai, p.80). Ou encore, il n’est pas comme Kant le soutient dans la Critique de la raison pure (1781, 1787) sur la base d’une conception newtonienne du monde, une forme a priori de la sensibilité où tous les phénomènes, aussi bien externes qu’internes se produisent. Le temps est durée, c’est-à-dire succession de phénomènes qui arrivent les uns après les autres et qui constituent des unités indivisibles. Tant qu’un événement n’a pas eu lieu, il n’y a pas de temps pour le penser, où plutôt, si on le pense ce sera dans l’espace. C’est ainsi que le narrateur de Sylvie nous explique qu’il avait une horloge avec l’allégorie du Temps (cf. Sylvie, III. Résolution). Celle-ci le présente sous forme d’image certes, mais comme une réalité. Et il importe que l’horloge ne marche pas pour que l’allégorie du temps apparaisse en tant que tel. C’est qu’hors de là, le temps qu’on mesure n’est pas celui qui est vécu. Plus précisément, le temps qui est celui de Nerval est peut-être bien un temps qui recueille les événements par opposition au temps de l’action qui lui, se mesure, et donc se perd ou se gagne. De même, si Septimus Warren Smith peut entendre l’ode du temps (p.152) et nie l’existence de la mort (p.247), c’est peut-être parce qu’il l’a violemment heurté par la mort de son capitaine, Evans. Cette disparition, c’est elle qu’il nie et donc une sorte de perte irrémédiable du passé. Dès lors, le temps recueille tout et rien ne disparaît en lui. Or, comment comprendre qu’on puisse penser que le temps s’en va alors qu’il paraît toujours là ?

La raison en est que nous projetons le temps vécu sur l’espace comme Bergson l’a fort justement analysé. Si on en fait un cadre homogène, on peut admettre qu’il nous précède, voire qu’il est déjà là avant même que les événements se produisent. On se rend présent l’événement qu’on prédit comme en astronomie (cf. Essai sur les données immédiates de la conscience, chapitre III « De l’organisation des états de conscience. La liberté », p.146). Dès lors, il est facile de penser que le temps est toujours là. En réalité, il n’est que la substance même de l’esprit – et non de la matière. C’est pourquoi en tant que tel, il disparaît progressivement dans le passé même si le présent forme avec lui une multiplicité qualitative. On comprend qu’il y a bien une récapitulation thématique de son passé par le narrateur qui va rejoindre Sylvie, et la déchirure se fait lorsque précisément il reconnaît que rien n’est comme avant : « … je ne trouvais rien du passé. » (X. Le grand frisé, p.60). Ainsi, ses vêtements portent la marque du temps (VIII. Le bal de Loisy). C’est non seulement le bon vieux temps qui n’est plus, mais c’est le temps vécu lui-même qui est passé. Enfin, s’il y a bien un temps surplombant, c’est finalement le temps social que représente Big Ben ou le temps de l’autorité pour parler comme Paul Ricœur (1913-2005) dans Temps et récit II. C’est lui qui se montre dans l’apparition de la voiture où se trouve un personnage important mais mystérieux (p.79). Il est clair qu’il paraît dépasser chaque temporalité individuelle. Mais le tour de force de la narratrice, c’est de nous montrer comment le point de vue de chacun des spectateurs le construit. Tout se passe donc comme si le temps vécu de chacun par recoupement constituait le temps englobant, celui dont on croit qu’il ne s’en va pas. On rejoint là en gros l’analyse de Jaako Hintikka (né en 1929) dans son article « Virginia Woolf and our Knowledge of the external world » (Journal of Aesthetics and Art Criticism, 38 (1) : 5-14-1979). En quoi n’est-il pas faux de dire aussi et non en opposition stricte que c’est nous qui nous en allons ?

C’est qu’à la réflexion, il faut peut-être tenir les deux bouts de la chaîne. Si le temps s’en va, dès lors, il faut bien aussi que nous nous en allions avec le temps. C’est ce que montre le phénomène de la mémoire, d’abord celle de l’habitude par laquelle nous nous usons, nous vieillissons comme en fait

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