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La temporalité des oeuvres romanesques

Dissertation : La temporalité des oeuvres romanesques. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  21 Février 2022  •  Dissertation  •  5 885 Mots (24 Pages)  •  2 193 Vues

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Jean Rousset écrit dans Forme et signification, que l'œuvre est « l'épanouissement simultané d'une structure et d'une pensée, [...] l'amalgame d'une forme et d'une expérience », ainsi, on voit dans l'œuvre non seulement une construction formelle (dans laquelle se reconnaissent un héritage et des modèles) mais aussi l'expression d'une conscience créatrice, celle de son auteur. En somme, le texte littéraire serait l'espace dans lequel le sujet créateur, selon les termes de Jean Starobinski (L'œil vivant II : La Relation critique, 1970), « se nie, se dépasse et se transforme », au sein de cet espace s'expriment un être et le rapport de cet être au monde qui l'entoure. L'œuvre peut dès lors être définie en tant que totalité signifiante, miroir d'une expérience comme d'une sensibilité : toute œuvre est « polycentrée », elle est comme un réseau de relations dans lequel tout fait sens. Alors en ce sens, l’essence de l’œuvre littéraire ne se trouve pas nécessairement dans sa forme comme le stipule Vincent Jouve dans Pourquoi étudier la littérature ? : « Raisonnons simplement : si les œuvres traversent les siècles en dépit du caractère culturel de la forme, c'est qu'elles possèdent d'autres propriétés ». La forme n’est donc pas la seule propriété des œuvres bien qu’elle en fasse partie, et « ces dernières ont une importance décisive puisque leur impact n'est pas conjoncturel ». Alors « lorsque la séduction de l'écriture (inévitablement) s'étiole, demeurent ces propriétés, qui s'imposent donc comme le vrai critère de la valeur d'une œuvre », la forme va, avec le temps, se modifier en suivant l’évolution des idées, du sens que l’auteur veut donner à son œuvre. C’est pourquoi, à titre d’exemple, Diderot écrit Le Fils Naturel en prose et non en vers ; la diffusion de ses idées nécessite une forme différente de celle imposé par le théâtre. En conséquence, si une œuvre traverse les siècles, c’est en dépit de sa forme sinon pourquoi lirait-on encore aujourd’hui l’Odyssée d’Homère, écrit en vers, dans un temps où la prose est reine ? Donc « si ces propriétés ne tiennent pas à la forme, ne reste qu'une solution : elles relèvent du contenu. De fait, avec le temps, ce qui fait la valeur d'une œuvre n'est pas dû à son écriture, mais au sens qu'elle véhicule ». En effet, si la forme n’est pas la clé de la durée d’une œuvre d’art, il semble que son sens le soit ; si nous lisons encore Balzac aujourd’hui ce n’est pas dû à la forme de ses romans mais aux sens qu’ils dégagent, aux interrogations, aux remises en question qu’ils peuvent inciter chez le lecteur. « On notera d'ailleurs que la notion d’« œuvre d'art» évoque spontanément celle d'« objet culturel », comme si les œuvres d'art importantes, celles qui restent, tiraient leur valeur de ce qu'elles expriment ou signifient plus que de l'émotion esthétique qu'elles suscitent encore parfois », l’œuvre d’art serait alors moins objet culturel dans sa forme que dans son contenu. L’émotion suscitée par le sens primerait donc sur l’émotion esthétique, on ne se souvient pas d’une œuvre parce qu’elle est belle dans sa forme mais parce qu’elle est belle dans le sens qu’elle délivre. En somme, il semble que certaines œuvres d’art puissent traverser les siècles, alors on peut se demander ce qui fait une œuvre d’art, ce qui fait qu’elle dure, et donc surtout quelles sont leurs véritables propriétés ?

C’est pourquoi il sera intéressant d’évoquer dans une première partie l’idée selon laquelle la temporalité d’une œuvre se trouve moins dans sa forme que dans son contenu. Mais, dans une seconde partie, nous verrons tout de même que la forme participe elle aussi au processus de construction de l’œuvre, et ainsi à sa temporalité. Pour finir, nous évoquerons, l’idée que les propriétés d’une œuvre porteraient toujours à questionnement, entre sens et forme.

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Si l’on suit le raisonnement de Vincent Jouve, il semble que la temporalité d’une œuvre se trouve moins dans sa forme que dans son contenu, les propriétés d’une œuvre sont ainsi plutôt multiples bien que leur sens en soit le cœur.

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Les œuvres semblent avoir de multiples valeurs, puisque si elles traversent les siècles « en dépit du caractère culturel de la forme », c'est qu'elles ont d'autres propriétés qui ont une importance décisive dans la construction de l’œuvre, mais lesquelles ? Une œuvre littéraire suppose une norme, une définition de la nature et de la fonction de la littérature, qui mettra par exemple l’accent sur la forme ou plutôt sur le contenu.  Mais toutes les œuvres produites ne sont pas de qualité : « La plupart des poèmes sont mauvais, mais ce sont des poèmes » nous dit Compagnon. Alors quelles valeurs ont ces normes elles-mêmes ? Sont-elles proprement esthétiques ? Faut-il se fonder uniquement sur la forme ? Ou bien sur des normes éthiques, existentielles, philosophiques, qui seraient donc autres que littéraire ? En effet, si des œuvres ont durées dans le temps, ce n’est sûrement pas dû à leur forme uniquement puisque le vers qui convenait à la cour de Louis XIV ne convient plus totalement à notre société contemporaine. Alors « lorsque la séduction de l'écriture (inévitablement) s'étiole, demeurent ces propriétés, qui s'imposent donc comme le vrai critère de la valeur d'une œuvre », les modernistes ou les formalistes mettent en avant le critère de la nouveauté. Mais quand l’écart devient la norme l’écart devient à son tour familier et l’œuvre peut perdre alors sa valeur de nouveauté, en effet, les premiers poèmes étaient une révolution mais maintenant, ce ne sont plus que des conceptions ; ainsi, la forme s’étiole. Mais est-on capable de voir la nouveauté à la sortie des œuvres ? Les lecteurs de Mme de la Fayette se sont-ils rendu compte, à la sortie de La Princesse de Clèves, de la nouveauté que représentait ce premier roman d’analyse psychologique ? Ou bien n’ont-ils vus là qu’un autre roman de chevalerie, de courtoisie ? D’autres critères ont été évoqués comme la complexité ou la multivalence. L’œuvre de valeur, c’est l’œuvre que l’on continue d’admirer parce qu’elle recèle une pluralité de niveaux propres à satisfaire une variété de lecteurs, parce qu’elle comporte plusieurs niveaux de lecture (la complexité comme symptôme esthétique), mais aussi parce qu’elle comporte des questions ouvertes : pour Flaubert, « la bêtise consiste à vouloir conclure ». Par exemple, dans La Princesse de Clèves, sait-on réellement qui de la raison ou de la passion l’emporte ? La princesse dit au Duc de Nemours : « je suivrais les règles austères que mon devoir m’impose », pourtant elle finira par laisser paraître sa passion, ce qui tuera de tristesse et de désespoir son mari. Mais cette mort malheureuse n’est pourtant pas non plus le gong d’une fin triomphante pour la passion puisque la Princesse finira seule dans un couvent et ne vivra pas son idylle avec Nemours. L’important semble donc être de toucher le plus grand nombre de lecteurs, c’est cette volonté qui est illustrée par Balzac dans Illusions Perdues, il veut reproduire la vie moderne telle qu’elle est, et en allant donc au-delà de la forme, pour embrasser le siècle et ainsi s’adresser à tous. Par conséquent, certaines œuvres vont capter l’attention de lecteurs sur plusieurs générations et traverseront ainsi les siècles contrairement à d’autres œuvres, qui semblent, elles, périssables, prenons comme exemple l’Astrée d’Honoré d’Urfé qui fut un classique alors qu’aujourd’hui, il n’est plus lu. Pour l’expliquer, Vincent Jouve va au-delà de l’aspect formel, linguistique, en dépit du caractère culturel de la forme puisque celui-ci change. En effet, la forme séduit un temps mais change ensuite, ce qui explique la crise de la prose au XIXe siècle par exemple. Alors Vincent Jouve semble plutôt s’appuyer sur le contenu que sur la forme des œuvres pour expliquer qu’une œuvre dure.

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