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La composition des Fables de La Fontaine

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Par   •  5 Octobre 2013  •  Fiche de lecture  •  3 798 Mots (16 Pages)  •  2 533 Vues

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Sur la composition des Fables de la Fontaine

par Alain Niderst

PrnsoNNr, ou PRESQUE PERSONNE', ne semble avoir imaginé que les Fables de La Fontaine pussent constituer un recueil organisé. On s'accorde implicite- ment pour juger que le hasard seul est responsable de la succession des poèmes, ou qu'ils ont été présentés dans l'ordre où ils furent composés. Le hasard? Ce serait étrange pour une œuvre sur laquelle l'auteur a passé tant de temps-au moins sept ans pour le premier recueil, une dizaine d'années pour le second. La chronologie? C'est visiblement faux. Dès 1671, furent publiés Le Lion, le loup et le renard, La Coche et la mouche, Le Trésor et les deux hommes, Le Rat et l'huître, Le Gland et la citrouille2, Le Milan et le rossignol, L'Huître et les plaideurs. Dans le recueil de 1678, ces fables se retrouvent, les unes dans le livre VII, les autres dans le livre VI11 ou le livre IX; Les Animaux malades de la peste, qui ne furent composés qu'en 1674, occupent la première place et semblent introduire tout l'ouvrage.

Il paraît plus raisonnable de supposer que La Fontaine a été aussi méticuleux que les grands poètes romantiques, qui portaient tant d'atten- tion à l'organisation de leurs recueils, et que ses Fables, tels les Caractères de La Bruyère (voir mon article), n'offrent qu'un faux désordre, qui doit se dissiper à un regard attentif.

Je me propose d'étudier le second recueil, qui est évidemment le plus riche. L'art du fabuliste est à son apogée. C'est là qu'il faut chercher s'il a pu, à travers la diversité, ourdir une trame continue, et faire deviner un cane- vas sous les moirures et les chatoiements superficiels.

Dans les livres VII, VIII, IX, X, XI, qui composent ce recueil, se retrouvent quelques thèmes développés dans des suites continues ou presque con- tinues. Ainsi les fables 9,10,11, 13,14 du livre VI1 traitent de la fortune; les fables 10 et 11du livre VI11 de l'amitié; les fables 1,3, 5, 7,14 du livre X évoquent la souveraineté, ou plutôt la tyrannie, de l'homme sur les ani- maux. Cela suggère un ordre, mais il reste voilé. Il faut regarder de plus près.

Le livre VI1 commence avec LPS Animaux malades de la peste, qui nous peignent l'univers ravagé par un épouvantable fléau, et il s'achève par l'hymne à la Paix, qui clôtUn Animal dans la lune. Est-ce là du désordre? Ne semble-t-il pas que la guerre de Hollande-beaucoup moins triomphale au fil des ans, que dans l'historiographie officielle-soit le sujet essentiel du livre?

Des horreurs de la peste ou de la guerre le roi et les grands sont dis- culpés. Tout retombe sur l'âne, comme les impôts sur le ~euple. La guerre ne modère pas l'égoïsme du clergé qui refuse ses secours (VII, 3 Le Rat qui s'est retiré du monde). Les puissances pourraient méditer les aventures du Héron et de La Fille, et se persuader que: "Les plus accommodants, ce sont les plus habiles: 1 On hasarde de perdre en voulant trop gagner" (VII, 4, v.28-29). L'expérience apprend à préférer "la médiocrité" à"l'abondance'' et à chercher par-dessus tout "la sagesse" (VII, 5 Les Souhaits). La cour est "un vrai charnier", et les courtisans ne peuvent ni blâmer (comme l'honnête ours), ni louer (comme le singe trop flatteur) ce Louvre, qui sent la mort (VII, 6 La Cour du Lion). Au milieu de la guerre, qui ensanglante l'univers, toute médiation est dangereuse, et les pigeons, qui apaisent la haine des vautours, deviennent leur proie (VII, 7 Les Vautours et les pigeons). Parmi les difficultés de l'Etat, il est bien des importuns qui s'agitent, font "les nécessaires" et devraient être bannis (VII, 8 Le Coche et la mouche). Les guerriers Picrochole et Pyrrhus ont succombé à des rêves, comme la laitière et le curé Jean Chouart (VII, 9 La Laitière et le pot au lait; VII, 10 Le Curé et le mort). Il ne faut pas courir après la Fortune (VII, 11L'Homme qui court après la Fortune, et l'homme qui l'attend dans son lit): "Tout vainqueur insolent à sa perte travaille" (VII, 13, v.30 Les Deux Coqs). Il est trop facile de se faire gloire de ses succès et d'attribuerà la Fortune ses revers (VII, 13 L'Ingrati- tude et l'injustice des hommes envers la Fortune). Des opinions fausses, filles du hasard, mènent le monde (VII, 14 Les Deoineresses). Le médiateur, s'il n'est le tendre pigeon, peut être le vorace Grippeminaud (VII, 15 Le Chat, la belette et le petit lapin). La division est un ferment de mort (VII, 16 La Tête et la queue du serpent). "La paix fait nos souhaits, et non point nos soupirs" (VII, v.6 L'Ours et l'amateur des jardins). Un tableau fort sombre des folies et des horreurs de la guerre. Les conquêtes sont condamnées, la modération glorifiée. La guerre n'est pas seulement la sœur de la mort; elle encourage l'erreur, la fourberie, ce que nous appellerions la propagande. Les médiateurs sont ou des victimes ou des meurtriers.

Pourquoi dans cette fresque apparemment si cohérente Le Mal marié, la seconde fable du livre, qui nous ramène des sombres horreurs de la poli- tique, aux anecdotes des fabliaux? Osera-t-on voir dans ce couple haineux un microcosme des guerres européennes? Le poète a-t-il voulu nous signi- fier que, dans la famille comme dans l'univers, il suffit d'un esprit "querel- leur, avare et jaloux", pour susciter des catastrophes? Cela permettrait d'unifier le livre, tout en reconnaissant la rupture qu'introduit cette fable, et donc la discontinuité qui dissimule (et pourtant insinue) la cohérence profonde.

La Mort et le mourant commence le livre VIII, et Le LDup et le chasseur l'achève, une des fables les plus terribles, puisque le daim, le faon, le san- glier, le chasseur et le loup meurent l'un après l'autre. Devrait-en retrouver la mort dans tout le livre? En fait, ce sont surtout les charmes et les méfaits de la parole qui sont soulignés. Les discours captieux du renard le tirent d'affaire et font mourir le loup (VIII, 3 Le Lion, le loup et le renard). L'éloquence de Démosthène est vaine; il doit recourir aux fables, dont l'empire atteste la faiblesse humaine (VIII, 4 Le Pouvoir des fables). Que de paroles inutiles! Les vœux importuns dont "nous fatiguons les dieux" (VIII, 5 L'Homme et la puce), les indiscrétions de la renommée, qui révèle et déforme les secrets (VIII, LPS Femmes et le secret), les bons mots que font "les méchants diseurs"

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