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La Nouvelle Journée

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Par   •  10 Avril 2013  •  Commentaire de texte  •  3 021 Mots (13 Pages)  •  601 Vues

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La Nouvelle Journée

1er novembre 1920

Paul Maubert

Voici un livre sobre, un livre plein de renoncement et comme de pauvreté volontaire... Le style s'y est fait nu pour suivre partout l'analyse des sentiments, pour ne pas les laisser échapper dans leurs « feintes »...

Voici un art caché, un art raffiné, qui ne se révèle pas aux superbes, mais aux pénétrants. Tout y est mesure : l'émotion reste contenue, la discrétion règne dans le pathétique comme dans le pittoresque. Voici un art subtil et nuancé (étroitement apparenté à celui de Racine, à celui de Debussy), qui suggère plus encore qu'il n'exprime, qui exige impérieusement un lecteur intuitif. Voici un art austère, sans concessions aux sens (pas toujours…), ni à la concupiscence des yeux. A d'autres les orgies de la couleur : rien ici qui accroche le regard, mais une lumière atténuée où les plans se dessinent dans un relief net et sans brutalité. Sur ce fond un peu neutre, avec quelle délicate vigueur se détachent les attitudes psychologiques ! Voici un art exquis, de précision sans sécheresse.

La Symphonie pastorale est essentiellement un drame chargé de peu de matière et purement intérieur, suivant la formule de la préface de Bérénice. Le côté pittoresque et descriptif est, non pas sacrifié, mais nettement subordonné, comme il convient à un roman psychologique où rien ne doit distraire l'attention du spectacle intérieur. Cet ascète de Gide se garde de la séduction du pittoresque, qui ferait comme une « concurrence » à la vie intérieure du drame.

Un pasteur des environs de la Chaux-de-Fonds — marié et père de cinq enfants, — arrivé à cet âge où nous guette « le démon de midi », recueille une jeune aveugle à moitié idiote. (Le chapitre de la « queste » de Gertrude, qui commence le récit, s'ouvre sur une impression de mystère qui nous fait évoquer Le Grand Meaulnes partant à la recherche du sentier perdu.) Il l'installe à son foyer ; il éveille peu à peu son âme « emmurée ». Puis — comme le diable, ainsi que nous l'apprend l'Écriture, parfois se transforme pour nous séduire en ange de lumière — voici qu'il s'éprend d'elle… et qu'il est payé de retour. Mais après la guérison de l'esprit s’opère celle du corps ; Gertrude recouvre la vue. En même temps elle complète son instruction religieuse. Et c'est « le voile du bonheur » qui se déchire : car, en même temps qu'elle prend conscience de son péché, Gertrude s'aperçoit que ce n'est pas le pasteur qu'elle aime, mais son fils Jacques. Ce dernier, brusquement éclairé par l'aberration paternelle, se convertit au catholicisme et entre dans les ordres. Gertrude se noie. Et le pasteur s'agenouille, « le cœur plus aride que le désert ».

L'évolution des sentiments — et des idées — du pasteur ; le développement de sa passion qui s'ignore, mais qui éclate aux yeux de sa famille comme à ceux du lecteur ; l'acheminement vers le terrible réveil, vers le dessillement de ce grand aveugle du cœur : c'est toute la progression de l'action, c'est tout le sujet du roman.

Cœur naïf et secrètement exalté, âme religieuse et tendre, imagination passionnée, ne sachant pas réprimer « les élans inconsidérés de son zèle », et manquant d'ailleurs de sens pratique, le pasteur est la proie toute désignée de l'insidieuse tentation. Quelle tâche semble s'offrir à lui, de sauver, de ressusciter une âme ensevelie dans un « corps opaque » ! Tout en lui est sollicité : l'ambition apostolique, le besoin d'épanchement, la pitié humaine, la charité. Mais immédiatement se révèle à nous la confusion tragique qu'il opère entre l'amour de charité et l'amour humain. Car déjà germe en lui la semence de cette ivraie. Cet amour a commencé par l'imagination (oh ! cette habileté de Gide, cet art des préparations, et du plus loin !) et certaines notations, dès le début du livre, suggèrent obscurément l'existence en lui d'un attrait physique ignoré. Dans son pharisaïsme candide, il se persuade que c'est Amélie, sa femme (un caractère qu'il serait bien intéressant d'étudier un peu à fond), qui d'abord lui a suggéré l'idée d'installer Gertrude au foyer familial, alors qu'en fait il n'a obéi qu'à la suggestion d'un profond désir inconscient. Au surplus, ses grandes ardeurs sont promptement suivies de dégoûts : notons-le en passant, l'amour connaît les dégoûts et les sécheresses, mais la charité les connaît-elle ?

D'ailleurs, ce cœur tendre, inaverti des choses de la passion et des secrets retours de la recherche de nous-mêmes, est bien obligé de s'avouer que « les mouvements de la nature ont autant de part dans ses déterminations que ceux de la grâce ». Ses mobiles ne sont donc pas tous de l'ordre de la charité, pour parler comme Pascal... Il lui échappe un aveu, dépouillé d'artifice ; sa « profonde déception » des premiers jours, car il s'était fait « tout un roman de l'éducation de Gertrude » ! (Sa charité — qui en a déjà les dégoûts et les sécheresses — a maintenant les caprices de l'amour.) Enfin, il nous fait en toute inconscience une confession plus décisive encore : « De même que l'amour répond à l'amour, je sentais un sentiment d'aversion m'envahir, devant le refus obstiné de celte âme ». Quelle synthèse, quel raccourci dans cette phrase audacieuse, qui jette une si vive lueur sur l'état psychologique du narrateur en même temps qu'elle souligne son aveuglement ! Car vous entendez bien que ce n'est pas ici l'apôtre qui gémit du « refus obstiné de cette âme » ! Pasteur, c'est votre volupté que vous recherchez ; ce n'est pas cette charité dont saint Paul dit qu'elle ne se recherche jamais !

Le temps fait son œuvre. Le pasteur oublie de plus en plus ses devoirs d’époux et de père pour ne se consacrer qu’à la brebis égarée. Celle-ci devient vite la brebis retrouvée. Avec quel orgueil ingénu notre petit pasteur chaudefonnier se compare au Bon Pasteur ! « Oui, je le dis en vérité : jamais sourire d'aucun de mes enfants ne m’a inondé le cœur d'une aussi séraphique joie que fit celui que je vis poindre sur ce visage de statue certain matin...

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