La Gardienne

La Gardienne

Comme tous les matins, Lara se réveilla au son de la douce voix d'Irene et s'extirpa de son lit pour se diriger vers la salle de bain. Elle attrapa sa brosse à dent et toucha du doigt le miroir pour activer l'écran tactile et regarder la météo. Elle sourit en pensant à sa mère qui lui rabâchait sans cesse de regarder par la fenêtre si elle voulait connaître le temps qu'il faisait et demanda à Irene de lancer les infos du jour. Sa petite boite connectée s’exécuta et la journée pouvait commencer.

• Bonjour Lara, nous sommes le vendredi 19 juillet 2070, il est 8h04 et la température extérieure est de 29 degrés. Voici les principaux titres du journal d'aujourd'hui : en France, le Ministre de l'Environnement l'a annoncé hier soir, les deux réacteurs nucléaires de Nogent-sur-Seine fermeront d'ici la fin de l'été, ramenant à 12, le nombre de réacteurs français encore en activité. La bataille continue au Pôle Nord entre les Casques Verts et les ouvriers russes des plates-forme pétrolières, l'ONU réclame l'arrêt immédiat des forages pétroliers et une discussion avec la Russie devrait avoir lieu d'ici la fin du mois. Et pour finir, c'est aujourd'hui à 16 heures que Greenpeace annoncera les gagnants du concours Trees in Africa. Pour célébrer son centième anniversaire, l'organisation a sélectionné dix français qui participeront pendant trois ans à la reforestation de l'Afrique et à l'élaboration de nouvelles zones de stockage naturel de carbone pour lutter contre le réchauffement climatique.

Cela faisait exactement vingt-sept jours que Lara avait envoyé sa candidature à Greenpeace dans l'espoir fou de faire partie de ses dix français à partir en Afrique et elle stressait comme jamais dans l'attente du résultat bien qu'elle avait, en principe, toutes ses chances. Elle était Gardienne de l'Environnement depuis bientôt trois ans, sortie major de sa promo à l'ENE*. A ses 17 ans, elle intégrait le conseil citoyen de l'Environnement de Nice avec le titre de la plus jeune conseillère environnementale de France et depuis toujours, Lara s'échinait à sauver la planète ou, au moins, à la rendre plus saine.

Elle faisait partie, et elle en était extrêmement fière, de cette génération sensible et sensibilisée dès le plus jeune âge à l'empreinte carbone, aux énergies renouvelables, au recyclage des déchets, aux icebergs et aux ours polaires qui disparaissent, au niveau de la mer et aux températures trop hautes, à la sécheresse et à la déforestation...bref, à la Terre qui s'essoufflait à cause de nous les humains qui l'avions poussé à bout et Lara restait plus que convaincue par le nouveau slogan de Greenpeace : «Il faut rendre à la planète ce que nous lui avons pris.»

Alors, à l'annonce du concours, elle avait envoyé sa candidature sans hésiter. Partir trois ans en Afrique ne lui faisait pas peur bien au contraire, elle en rêvait. Elle n'avait que 23 ans et, pour Lara, si la planète était malade, c'était avant tout parce que l'Humanité était malade. Elle n'arrivait pas à concevoir que des sommes extravagantes soient encore dépensées pour piller les ressources de la planète afin de coloniser la Lune ou de construire des hôtels dans l'espace alors que la moitié des Africains – pour ne citer qu'eux!- mourraient encore de chaud, de faim et de soif.            

  * ENE (Ecole Nationale de l'Environnement)           2

N'était-il pas plus urgent de les sauver, eux,en même temps que la planète que de divertir la poignée d'autres qui ne connaissait pas la misère ?

Lara enfourcha son vélo connecté qui trônait dans son salon et commença à pédaler. Sur l'écran de son guidon, elle sélectionna les appareils électro-ménagers de son appartement qu'elle voulait recharger et le décompte s'afficha sur le mur tactile en face d'elle. Aujourd'hui, elle allait pédaler 43 minutes pour faire tourner son mini lave-vaisselle et recharger son smartphone. C'était son moment préféré de la journée, elle ne s'en lassait jamais. Non seulement pédaler la gardait en forme mais surtout elle produisait sa propre énergie par la seule force de ses jambes. Bien sûr, Lara aurait pu s'en passer, tout son appartement fonctionnait à l'énergie solaire mais elle adorait l'idée. Tous les ans, avec son père et son frère, ils participaient à l'opération d'Engie « Pédalons ensemble» dans le jardin familial. L'événement consistait à pédaler le plus longtemps possible pour générer le plus d'énergie possible et toute l'énergie emmagasinée était destinée aux foyers les plus défavorisés dans un immense élan de solidarité. Tous ceux qui possédaient un vélo connecté pouvaient y participer via l'application dédiée et plusieurs lots étaient à gagner pour les meilleurs cyclistes du jour.

Après son sport utile comme elle l'appelait, Lara sauta sous la douche et sélectionna le mode Jungle sur la porte vitrée. En moins d'une seconde, elle était plongée dans une jolie douche extérieure en bambou en pleine pampa tropicale avec le bruit des oiseaux et des palmiers à perte de vue : un plaisir virtuel mais on ne peut plus vrai qu'elle s'octroyait chaque matin.

Il était 9h30, Lara était en retard. Elle enfila son uniforme et son képi verts de Gardienne, attrapa sa gourde et sortit de chez elle, en vitesse. Elle jeta un dernier coup d'oeil à son smartphone pour vérifier que l'application Santé comptabilisait bien ses pas et se mit en route. Le gouvernement avait mis en place un système lucratif de « pas gagnants » pour encourager la population à marcher plutôt qu'à prendre sa voiture pour de courts trajets et Lara l'utilisait tous les jours. Elle pouvait marcher jusqu' à dix kilomètres par jour selon ses missions et c'était un moyen écolo de se faire un peu d'argent de poche. En chemin, elle s'arrêta à son bar végétal préféré commander deux jus de fruits dans des verres comestibles goût coco pour elle et son copain et dégusta le sien non sans plaisir sur les quelques mètres qui la séparait du bureau.

Harry l'attendait devant l'entrée comme tous les matins. Ils s'étaient rencontrés à la salle de sport du Ministère il y a deux ans. Lara était folle de lui, de ses yeux bleus et de son corps d'athlète et elle avait énormément de mal à envisager sa vie sans lui si elle partait en Afrique. Pourtant, il avait été d'un soutien hors pair lorsqu'elle lui avait annoncé sa participation et elle savait qu'il ne voulait que son bonheur mais c'est comme ça, ça lui brisait le cœur. Aussi avait-elle décidé qu'aujourd'hui, ils allaient se créer un moment en amoureux. Elle lui suggéra l'idée d'aller à la plage cet après-midi, ce qu'il accepta avec plaisir et ils s'embrassèrent avant de se séparer.

...