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L'usage de la parole

Commentaire de texte : L'usage de la parole. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  5 Septembre 2014  •  Commentaire de texte  •  1 529 Mots (7 Pages)  •  629 Vues

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Il est clair que l'expression ne peut être totale sans la conscience d'être compris, et que la communauté n'a de valeur que si elle met en œuvre les ressources de chacune des existences qu'elle unit. Une seule nostalgie offre à l'homme les deux faces alternantes d'un même désir d'absolu. De ce point de vue, l'expérience de la parole serait l'expérience d'un échec. Au lieu de servir les exigences conjuguées de l'expression et de la communication, il semble que le langage crée d'insurmontables obstacles à leur complète satisfaction.

Ce nouveau procès du langage ne porte pas sur la bonne ou la mauvaise foi. Il ne s'agit plus ici de récriminer contre l'injustice établie, contre le désordre moral et social, mais de prendre conscience d'une limitation constitutionnelle de la parole humaine, d'une insuffisance ontologique. Les mots sont des moyens de communication très imparfaits; bien souvent ils dissimulent au lieu de manifester, et opposent à l'homme un écran là où il rêve de parfaite transparence. Tout homme se sent méconnu et incompris; tout homme désire, aux heures de mélancolie, un autre moyen d'intelligibilité, où la parole serait chant, où le chant serait spontanément fidèle aux inflexions les plus subtiles de l'âme. [….]

L'insuffisance du langage coïncide d'ailleurs avec l'insuffisance du monde lui-même; rien n'est ici-bas à la mesure de nos aspirations, la vraie patrie est ailleurs : telle, se renouvelant d'âge en âge, la réclamation d'un spiritualisme mal capable de supporter les servitudes de l'incarnation. Parler sa pensée, ou son amour, ou sa foi, ce serait déjà trahir ; il ne peut y avoir de vérité qu'en deçà. Le langage nous maintient la tête contre terre, il s'oppose à toute élévation. […]

En fait, dans la plupart des cas, il semble pourtant que le langage réalise ce qu'on attend de lui, l'entente entre les interlocuteurs. Mais la nature de cette entente doit être reconsidérée. L'usage courant de la parole correspond à un échange d'informations, de consignes, de messages; sauf malentendu, qu'il est toujours possible de corriger, on arrive à se mettre d'accord quand il s'agit de partager la tâche quotidienne de vivre et de travailler ensemble. La réussite du langage pragmatique se prolonge et s'amplifie dans le cas du langage scientifique : des physiciens, des chimistes, des mathématiciens peuvent converser entre eux en se comprenant parfaitement. Leurs problèmes seront résolus par la seule élucidation du formulaire technique dont ils disposent, et qu'ils sont d'ailleurs libres d'enrichir si besoin est. […]

La réussite du langage tient ici à ce que chaque terme répond à une signification donnée, cette détermination elle-même s'affirmant dans un horizon commun aux individus en présence. […] La vie familiale comme la vie professionnelle trouvent dans le langage un instrument docile aussi longtemps qu'elles se maintiennent au niveau des significations moyennes codifiées par l'usage. Les voyageurs du dimanche, rassemblés par le hasard dans le compartiment d'un « train de plaisir » peuvent converser de la pluie et du beau temps en toute sérénité. Ils se comprennent parfaitement.

Mais, objectera-t-on, si ces gens se comprennent si bien, c'est qu'ils n'ont rien à dire. Ils sont accordés d'avance les uns aux autres par leur commune insignifiance. Les lieux communs qu'ils débitent avec assurance leur tiennent lieu de personnalité. Quant aux savants, aux techniciens, ils ont eux aussi, mais d'une autre façon, renoncé à leur affirmation personnelle pour se convertir à l'unité d'un système objectif; il ne risque pas d'y avoir entre eux de malentendu pour la bonne raison que, aussi longtemps qu'ils jouent le jeu, ils disent tous la même chose. Les hommes ne peuvent se mettre d'accord qu'en tournant la difficulté, c'est-à-dire en renonçant à être eux-mêmes pour jouer le rôle de récitants dans un même chœur collectif. Tout langage a par constitution la valeur de dénominateur commun. Parler, c'est donc s'écarter de soi pour se confondre avec tous. Il n'y a pas de langage pour l'originalité, - c'est-à-dire pour la différence, c'est­à-dire pour la personnalité. L'efficacité de la parole trouverait donc ici une limite impossible à franchir. […]

Cet ensemble de lieux communs de la philosophie, de l'art et de la mystique, signale une difficulté réelle, mais non point définitive. Une analyse plus précise des conditions du dialogue devrait en effet nous permettre de dépasser ce moment de désespoir. Le plus urgent est de ressaisir la parole dans le contexte de la situation particulière où elle intervient. Une phrase ne se pose pas dans l'absolu : elle suppose un certain état des relations entre les interlocuteurs,

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