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L'oeuvre d'art

Dissertation : L'oeuvre d'art. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  1 Décembre 2021  •  Dissertation  •  2 906 Mots (12 Pages)  •  649 Vues

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        Dès l’Antiquité, Horace déclare dans son Art poétique : « Celui qui joint l'utile à l'agréable recueille tous les suffrages. » Ce principe n’est évidemment pas sans rappeler les valeurs sur lesquelles reposent l’esthétique classique. Gaëtan Picon, critique érudit du XX ème siècle prône à priori une approche relativement classique de « l’oeuvre littéraire » : « L'oeuvre d'art, et singulièrement l'oeuvre littéraire, ne s'impose pas seulement comme un objet de jouissance ou de connaissance, elle s'offre à l'esprit comme un objet d'interrogation, d'enquête, de perplexité. » Le propos met en avant deux pratiques de lecture, à la fois topiques et complémentaires. La première comparaison renvoie au célèbre « placere ». L’oeuvre est une source de plaisir, qu’il soit intellectuel ou non. La seconde « invite » au « docere » c’est-à-dire à l’éveil d’une conscience critique. Le choix des verbes est également riche de sens. Quand d’un côté l’oeuvre « s’impose », de l’autre elle se contente de « s’offrir à l’esprit ». A travers ce choix, Picon instaure d’emblée un rapport hiérarchique entre ces deux approches traditionnellement analogues. En effet, l’adverbe « seulement » dénonce visiblement les limites d’une lecture qui viendrait à se borner au seul plaisir esthétique ou thématique. A l’inverse, la démarche réflexive est valorisée par le verbe « s’offrir ». Délivrée comme un cadeau, le lecteur a le choix de la saisir ou non. Cette idée s’illustre conjointement à travers le choix du substantif « objet » pour désigner « l’oeuvre littéraire ». Par définition et paradoxalement à l’idéal de lecture visé par notre essayiste, un objet est avant tout une entité « figée ». Or, à travers cette citation, G. Picon invite justement le lecteur à outrepasser cette condition. Ainsi, il souligne cet effort qui revient au lecteur. Son rôle revient à faire passer l’oeuvre littéraire du statut de simple « objet » à celui d’ « instrument ». Enfin, cette dynamique est redoublée par une énumération asyndétique : « un objet d’interrogation, d’enquête, de perplexité. » Ce procédé met en avant un potentiel qui se veut inépuisable.

En cela, Picon lance un défi au lecteur, celui de la remise en question. A l’image de Montaigne et de son « scepticisme », le « bon » lecteur serait donc celui qui regarde au-delà des apparences (« enquête »), en mettant à l’épreuve l’ouvrage (« questionnements ») mais aussi ses propres pratiques et convictions (« perplexité »).

Cependant, face à la réalité des productions littéraires, l’inversion de cet ordre érigé par G. Picon n’est pas anecdotique. En outre, il peut sembler difficile de remettre en question ce rapport d’égalité dans la mesure où ces deux ambitions littéraires ont fait leurs preuves de façon conjointe.        Alors, rappelons que même si G. Picon ne nie pas l’oeuvre littéraire en tant qu’ « objet » de pur plaisir, il relaye  indéniablement cette finalité au second plan. Par conséquent, dans quelle mesure cette hiérarchisation du « placere et docere » implique t-elle l’exclusion d’un certain nombre de productions littéraires ?

        D’emblée, nous nous attarderons sur la lecture de l’objet littéraire telle qu’elle est préconisée par G. Picon. Celle - ci entre véritablement en considération dès lors que le lecteur surpasse la première lecture « superficielle » de l’oeuvre. Néanmoins, nous verrons que face à l’hermétisme de certaines productions, il est parfois très difficile pour le lecteur de surmonter les apparences et de mener une réflexion traditionnelle. Finalement, nous revaloriserons ce lien de complémentarité, judicieusement érigé dès l’Antiquité où le plaisir se place au service de l’instruction mais où l’instruction devient elle - aussi, une vraie source de plaisir.

        Tout d’abord, si G. Picon dévalorise le plaisir au profit d’une réflexion profonde, il n’en reste pas moins conscient que celui-ci reste nécessaire dans la mesure où il « s’impose ». Il constitue un pré-requis, la première étape avant une lecture analytique et finalement critique. Le modèle et la construction des Fables coïncident grandement avec cette approche.

En effet, même si La Fontaine s’accorde le droit de placer librement et même d’omettre parfois sa morale, la construction canonique de l’apologue reste celle où l’enseignement succède au récit d’un conte. La Fontaine utilise donc l’enjouement procuré par le conte, son apparente légèreté, pour capter l’attention du lecteur et l’inviter gracieusement à la réformation. Cette stratégie lui permet notamment d’éviter les écueils inhérents à une approche dogmatique, lesquels pouvant avoir pour conséquence de développer un message qui ne trouverait tout simplement pas de destinataire. L’accessibilité du conte place également la réflexion à la portée du plus grand nombre. En revanche, comme le fabuliste l’énonce clairement lui-même : « En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire / Et conter pour conter me semble peu d'affaire. » La finalité est donc bien identique à celle de G. Picon. Le plaisir pour le  seul plaisir est également inenvisageable pour l’auteur des fables. Le conte permet alors d’aborder toutes sortes de sujet, « même les plus sérieux ». Cependant, à l’image de l’opposition exposée dans notre citation entre le plaisir qui « s’impose » et la réflexion qui « s’offre », il y a également un risque que le lecteur s’arrête au premier niveau de lecture. Celui-ci passerait donc à côté du projet véritable de l’auteur. Ainsi, tout comme La Fontaine, notre essayiste prône un lecteur qui saurait apprécier l’esthétique d’une oeuvre mais tout en conservant un esprit éclairé et critique sur sa matière sémantique. Finalement, l’esthétique n’endort jamais l’esprit du bon lecteur. Voltaire ira encore plus loin en déclarant dans Micromégas : « Je ne veux pas qu’on me plaise, je veux qu’on m’instruise. » Pourtant, le philosophe enveloppe lui - même sa réflexion philosophique au coeur du conte. En effet, même si la priorité revendiquée est celle de l’instruction, le plaisir « s’impose » et apparaît là encore inévitable pour amorcer la réflexion. Par exemple, dans son ouvrage « Candide ou l’Optimisme », le conte se transforme en une démonstration, certes plaisante mais surtout très sérieuse lorsqu’il s’agit d’encourager à une appréhension empirique du monde. En outre, le seul recours à la figure de Pangloss suffit à rappeler cette nécessité de mettre constamment à l’épreuve la parole d’autrui. Par ailleurs, au risque d’être déplaisant mais précisément au service de la connaissance et surtout de la réformation, le philosophe n’hésite pas à exposer brutalement les plus lourds maux de l’humanité : la guerre,  le colonialisme, l’esclavage, la maladie etc.

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