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L'enseignement de la servitude

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Par   •  11 Décembre 2011  •  Dissertation  •  8 471 Mots (34 Pages)  •  1 312 Vues

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L'enseignement de la servitude

L'idéologie des sujets de bac et leur projet politique

(cet article a été publié, assorti de quelques coupes intempestives,

dans le numéro 56 de la revue Panoramiques) version imprimable

« C'est par l'opinion que les princes

règnent en maîtres absolus. »

Marat, Les chaînes de l'esclavage.

A travers les sujets du bac de ces dernières années, un travail de conditionnement est à l'œuvre. Il agit sur les élèves, les professeurs, les familles. Il cherche à répandre, au détour des sujets, l'idéologie qui préside aux réformes, et qui se diffuse ordinairement de façon plus insidieuse, au travers des instructions officielles, des déclarations d'hommes politiques ou d'industriels, ou dans les manuels scolaires. Ordinairement, ni les projets en cours, ni les évolutions du métier d'enseignant ne sont très lisibles, parce qu'ils s'expriment à travers des institutions où les partenaires sont nombreux et les rapports de force complexes. Ils sont ainsi l'œuvre de compromis, ce qui permet souvent à chacun de croire s'y retrouver, et de ne pas crier au loup. Dans les sujets du baccalauréat en revanche, à cause du secret qui doit les entourer, l'idéologie peut se donner libre cours. Les a priori, les présupposés et les valeurs de leurs concepteurs, et de leurs relais, l'inspection générale, s'y expriment donc plus ouvertement.

Bien sûr, on constate encore, heureusement, une certaine variété dans les sujets de bac. Mais une évolution se dessine. De plus en plus de questions donnent sans retenue dans l'idéologie dominante, dans les modes les plus éhontées, le modernisme le plus aveugle. Des sujets indécents, indignes se font jour : pour en prendre la mesure, il faut les lire, puisque c'est justement la force d'une idéologie dominante de passer inaperçue. Que l'on sache ainsi ce qui nous attend...(1)

Le relativisme post-moderne, ou comment noyer le poisson

Ce qui frappe le plus au début, à travers les sujets qui ont été donnés, c'est l'idée très « post-moderne » que toutes les idées, toutes les positions se valent. Proposer une idée au candidat serait un choix arbitraire, autoritaire : seul l'élève serait à même de choisir la thèse qu'il veut défendre, rien ne saurait l'en interdire, et il serait malvenu de le lui reprocher. Les exemples sont innombrables, toujours sur le même modèle : « Etayez ou réfutez, à votre choix, l'idée selon laquelle la ville apporte la liberté. » (2) ou : « Selon Ariste, "L'école du monde […] instruit mieux" "que ne le fait aucun livre". Etayez ou réfutez cette pensée en proposant des exemples précis. » (3) Il ne s'agit plus d'émettre une opinion nuancée, éventuellement partagée, de proposer si possible une pensée dialectique, comme le permettaient les fameuses « discussions » il y a peu de temps encore. Non, le modèle des nouveaux travaux d'argumentation, c'est ce pauvre « pour ou contre » là, indifférent au sujet proposé, c'est le règne du « à votre choix ».

L'exemple le plus emblématique est probablement celui de juin 1999, qui reposait sur un poème de Victor Hugo, où celui-ci évoquait son horreur des mathématiques (!), et plus généralement d'une certaine pédagogie (« on n'instruira plus les oiseaux par la cage »)... Au finale, on proposa aux élèves le travail d'écriture suivant : « Faites, à votre choix, l'éloge ou le procès d'un enseignement sans contraintes. » (4) Comment était-il possible, sans caricature, ou sans une maîtrise extrêmement fine de la concession, de répondre à un tel sujet ? Comment était-il possible, avec une question aussi vague, de n'étayer qu'une seule thèse ? Les élèves ont répondu : soit contestation, soit flatterie, ils ont donné dans la démagogie. On apprend mieux seuls, regardez : la guitare, la batterie... Ou encore : c'est parce qu'il y a trop (ou pas assez) de discipline dans les classes que l'on est dégoûtés... Quelques autres, bien rares, ont eu l'idée et les moyens de tenir le discours officiel sur le sujet, très à la mode : dénoncer le cours magistral, vanter la participation des élèves...(5)

Dès lors, la démagogie ne connaît plus de limite. On propose aux élèves un extrait de Jeannot et Colin de Voltaire, un texte terriblement actuel, terriblement pertinent, où un écrivain et un précepteur tentent de convaincre des parents de ne pas instruire leur enfant, de le confier aux femmes, plus plaisantes parce que moins déformées par les connaissances... « S'il sait les moyens de plaire, il saura tout » conclut l'ami écrivain, ami des nouveaux programmes de français. Malgré des questions préalables portant sur l'ironie du texte, rien n'est fait dans la question finale pour éviter à l'élève de défendre cette position : « "On étouffe l'esprit des enfants sous un amas de connaissances inutiles" s'écrie le gouverneur. Soutiendrait-il, selon vous, la même opinion aujourd'hui ? » (6) On invite évidemment les candidats à réfléchir sur leur éducation, à montrer l'actualité de ce texte, mais on ne demande pas explicitement dans quel sens… On permet même qu'il défende la position du précepteur... On légitime donc la démagogie.

C'est l'idée même d'objectivité, pourtant essentielle dans la construction de la personnalité, dans le développement intellectuel, que l'on cherche à étouffer à travers les sujets de bac et jusqu'au sein du groupe d'experts (GE) de Lettres. Selon Alain Viala, il faut réhabiliter l'opinion et en faire le principal objet d'étude en français. D'un membre à l'autre du groupe d'experts ou de l'inspection, on assigne une place sans cesse plus flottante à l'argumentation, entre convaincre et persuader, quand ce n'est pas franchement du côté de la séduction, rejetant ainsi explicitement la démonstration hors du français, du côté exclusif des sciences. (7) Croyant bien faire, croyant donner des armes aux « jeunes », ces réformateurs favorisent une terrible conception de l'échange humain : les notions d'objectivité, d'universalité sont vécues

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