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L'ecume Des Jours De Boris Vian

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Par   •  18 Avril 2015  •  9 679 Mots (39 Pages)  •  807 Vues

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L'ÉCUME DES JOURS, Boris Vian

I

Colin terminait sa toilette. Il s’était enveloppé, au

sortir du bain, d’une ample serviette de tissu bouclé dont

seuls ses jambes et son torse dépassaient. Il prit à

l’étagère de verre, le vaporisateur et pulvérisa l’huile

fluide et odorante sur ses cheveux clairs. Son peigne

d’ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange

pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l’aide

d’une fourchette dans de la confiture d’abricots. Colin

reposa le peigne et, s’armant du coupe-ongles, tailla en

biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du

mystère à son regard. Il devait recommencer souvent,

car elles repoussaient vite. Il alluma la petite lampe du

miroir grossissant et s’en approcha pour vérifier l’état

de son épiderme. Quelques comédons saillaient aux

alentours des ailes du nez. En se voyant si laids dans le

miroir grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau

et, satisfait, Colin éteignit la lampe. Il détacha la

serviette qui lui ceignait les reins et passa l’un des coins

entre ses doigts de pied pour absorber les dernières

traces d’humidité. Dans la glace, on pouvait voir à qui il

ressemblait, le blond qui joue le rôle de Slim dans

Hollywood Canteen. Sa tête était ronde, ses oreilles

petites, son nez droit, son teint doré. Il souriait souvent

d’un sourire de bébé, et, à force, cela lui avait fait venir

une fossette au menton. Il était assez grand, mince avec

de longues jambes, et très gentil. Le nom de Colin lui

convenait à peu près. Il parlait doucement aux filles et

joyeusement aux garçons. Il était presque toujours de

bonne humeur, le reste du temps il dormait.

Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de

la baignoire. Le sol de la salle de bains, dallé de grès

cérame jaune clair, était en pente et orientait l’eau vers

un orifice situé juste au-dessus du bureau du locataire de

l’étage inférieur. Depuis peu, sans prévenir Colin, celui-ci

avait changé son bureau de place. Maintenant, l’eau

tombait sur son garde-manger.

Il glissa ses pieds dans des sandales de cuir de

roussette et revêtit un élégant costume d’intérieur,

pantalon de velours à côtes vert d’eau très profonde et

veston de calmande noisette. Il accrocha la serviette au

séchoir, posa le tapis de bain sur le bord de la baignoire

et le saupoudra de gros sel afin qu’il dégorgeât toute

l’eau contenue. Le tapis se mit à baver en faisant des

grappes de petites bulles savonneuses.

Il sortit de la salle de bain et se dirigea vers la

cuisine, afin de surveiller les derniers préparatifs du

repas. Comme tous les lundis soir, Chick venait dîner, il

habitait tout près. Ce n’était encore que samedi, mais

Colin se sentait l’envie de voir Chick et de lui faire

goûter le menu élaboré avec une joie sereine par

Nicolas, son nouveau cuisinier. Chick, comme lui

célibataire, avait le même âge que Colin, vingt-deux

ans, et des goûts littéraires comme lui, mais moins

d’argent. Colin possédait une fortune suffisante pour

vivre convenablement sans travailler pour les autres.

Chick, lui, devait aller tous les huit jours au ministère,

voir son oncle et lui emprunter de l’argent, car son

métier d’ingénieur ne lui rapportait pas de quoi se

maintenir au niveau des ouvriers qu’il commandait, et

c’est difficile de commander à des gens mieux habillés

et mieux nourris que soi-même. Colin l’aidait de son

mieux en l’invitant à dîner toutes les fois qu’il le

pouvait, mais l’orgueil de Chick l’obligeait d’être

prudent, et de ne pas montrer, par des faveurs trop

fréquentes, qu’il entendait lui venir en aide.

Le couloir de la cuisine était clair, vitré des deux

côtés, et un soleil brillait de chaque côté, car Colin

aimait la lumière. Il y avait des robinets de laiton

soigneusement astiqués, un peu partout. Les jeux des

soleils sur les robinets produisaient des effets féeriques.

Les souris de la cuisine aimaient danser au son des

chocs des rayons de soleil sur les robinets, et couraient

après les petites boules que formaient les rayons en

achevant

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