Ecriture d'invention sur Maupassant

Monsieur Paul Ollendorff

28 bis, rue de Richelieu

75006 Paris

Monsieur Guy de Maupassant

10, rue Montchanin

75006 Paris

Paris, le 03 octobre 1891

        Cher ami,

        Il faut que je vous voie tantôt. J’ai lu le volume que vous m’avez fait parvenir et qui regroupe vos premières nouvelles.

Je suis tout à fait favorable à la publication de cet ouvrage, pour peu que nous procédions à quelques modifications de pure forme. Rassurez-vous, mon ami, il ne s’agit pas de toucher au cœur du texte, mais uniquement de régler quelques menus détails. Ainsi m’accorderiez-vous votre autorisation pour reformuler l’un de vos titres afin qu’il mette davantage en valeur les qualités de votre histoire ?

Je crains, en effet, que « Aux Champs » ne rebute trop notre lectorat parisien. J’ai bien compris que vous aviez voulu jouer sur l’idée que l’on se fait des champs lorsque l’on passe le plus clair de son temps entre le théâtre et l’opéra ! Vous créez un effet de contraste certain entre le charmant préjugé bucolique et la réalité sordide que vous exposez, fidèle au credo réaliste. Peut-être aussi, avez-vous puisé votre inspiration dans votre goût du canotage : il est vrai que la campagne environnant immédiatement Paris, est ravissante et qu’il est bien vu parmi nos amis lettrés d’occuper son dimanche à parcourir la Seine en canot. Par cette nouvelle vous leur faites à tous un portrait au vitriol de ce qu’est réellement la campagne française ! C’est magistral.

        Cependant un titre ne peut être choisi uniquement pour vos contemporains. Songez cher ami que vous écrivez pour la postérité ! Le lecteur comprendra-t-il encore demain, qu’un titre d’apparence si anodine, puisse avoir été donné à une nouvelle dont la chute est si percutante ? Car votre titre rend bien peu justice à cette dernière en effet ! En découvrant ce qu’il advient du jeune garçon élevé par les bourgeois – et de son ancien voisin demeuré pauvre – on ne peut qu’être saisi de dégoût. Cette paysannerie que vous peignez peine à reconnaître nominativement ses propres enfants et ne vaut guère mieux que ce couple de bourgeois arrogant, avide, transformant tout ce qu’il désire en biens de consommation… enfants compris ! Bravo, quelle critique sociale ! Et l’idée d’apitoyer la parisienne sur le sort de charmants bambins est excellente.

On rit, on pleure, on s’indigne : reconnaissez que l’on n’annonce rien de tout cela en écrivant « Aux Champs » ! Surtout, rassurez-vous, je ne me permettrais jamais, vous le savez, de me passer de votre autorisation, contrairement à MM. Métenier et Byl qui adaptèrent contre votre gré votre Pierre et Jean pour le théâtre, et d’une façon odieuse qui plus est !

Mais voilà, vous avez déjà trouvé meilleurs titres que celui-ci. « Le Horla » fut mon préféré : il est intrigant, invite à la réflexion, permet d’anticiper sur la nouvelle tout en en conservant tout le mystère. J’aime aussi la symétrie de votre titre « Pierre et Jean ». Je trouve dommage, d’ailleurs, que vous n’ayez opté ici aussi pour un titre en deux parties alors que tout dans votre nouvelle s’oppose deux par deux. Que diriez-vous de « Ceux d’ici et ceux d’en face » par exemple ? On jouerait ainsi sur l’ambiguïté de la formule.

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