Commentaire du poème Alcools d'Apollinaire

« J’ai eu le courage de regarder en arrière »

Introduction

Si la composition définitive du recueil ne suit en rien l’ordre d’écriture des poèmes, chaque ensemble de poèmes à l’intérieur du recueil est directement lié à certains épisodes de la vie du poète ; voyages à travers l’Europe, aventures amoureuses, élans et déceptions, ce sont ainsi les tourments d’une vie qui se donnent à lire dans ces vers. Apollinaire déclarait à propos de son œuvre : « chacun de mes poèmes est la commémoration d’un événement de ma vie ». Il affirme par ceci l’unicité de ses écrits et sa confession. Le poème que nous allons étudier « J’ai eu le courage de regarder en arrière » est extrait de la section Fiançailles qui présente l’élan du renouveau poétique dans une héroïsation du poète et de ses fonctions. Le poète y évoque ses souvenirs le temps d’un poème. Comment la poésie permet-elle de conjurer la mort et la renaissance ? Nous analyserons d’abord le voyage rétrospectif du poète afin d’étudier par la suite la distance poétique qu’Apollinaire prend avec la tradition poétique. Enfin, nous observerons la capacité du poète à réactualiser un mythe.

I. Un voyage rétrospectif

A. Un récit mémoratif

• Nous pouvons remarquer deux axes, deux parties du souvenir :

Le premier apparaît au vers 4, où le pronom indéfini est posé à l’initiale : « Les uns pourrissent dans les églises italiennes » évoquant certains souvenirs passés et meurtris.

On peut remarquer le deuxième axe aux vers 8-10 « D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes ».

→ Addition des souvenirs différés.

Cette addition de souvenance différée montre que même si certains souvenirs s’effacent, d’autres surgissent à nouveau.

• Un passé regretté à travers les larmes « pleure » vers 3 et vers 8.

B. Un long voyage

A travers ce poème, Apollinaire effectue un voyage dans les tréfonds de ses souvenirs. Le poète suit une « route » (v.3).

Nous remarquons l’évocation de l’Italie à travers ses églises (v.4) qui peut renvoyer à sa vie remplie de piété. Il laisse ainsi cette vie derrière lui, dans une église italienne.

Par ailleurs, la présence d’un paysage méditerranéen peut renvoyer à sa vie de jeunesse au bord de la Méditerranée, moment de vie qu’il laisse dans un petit bois de citronniers (v.5).

Les tavernes (v.8) font davantage référence à son voyage en Allemagne et sur les bords du Rhin.

Le poète peut considérer qu’il est mort plus d’une fois. Ainsi il a vécu plusieurs vies marquées par des décors et évènements divergents laissant des souvenirs au sein de sa mémoire.

C. Raconté par le poète

• Le poète se confie dans ce poème, notamment à l’aide de la première personne :

« J’ai eu le courage… » v.1, « je les pleure » v.3

Et des pronoms possessifs :

« Mes jours » v.2, « ma mémoire » v.12

• Apollinaire évoque l’importance de ses souvenirs et la place qu’ils occupent dans sa mémoire.

Nous pouvons penser que l’évocation des cavernes renvoie à l’Allemagne, pays où ce dernier a voyagé en 1901. Le Rhin occupe une place importante tout au long de son recueil.

Nous pouvons dès lors penser que le poète fait un point sur sa vie et les importants moments de son existence. La poésie a ainsi pour but de retracer ses souvenirs et perdurer la mémoire de ses temps passés.

• Le poète se confie au lecteur. Passé composé indique une action initiée dans le passé, dont les résonnances se poursuivent dans le présent → renvoient aux temps du récit.

II. Un poème moderne qui rompt avec les traditions

A. Références au macabre

Le thème du souvenir chez Apollinaire, par rapport aux autres poètes qui ont chanté la conservation de la mémoire, les romantiques en particulier, apparaît comme assez original. Chez Lamartine dans son poème Le Lac ou encore chez Hugo avec Tristesse d’Olympio, le caractère sacré du souvenir permet de revivre intégralement une période d’un passé heureux, et de le garder en soi pour toujours. Dans Alcools, en revanche, le souvenir n’est jamais associé au bonheur, à la joie de vivre : c’est un thème de la mort. Le souvenir est un constat de malheur et sanctionne la perte douloureusement irrémédiable du passé.

Les souvenirs du poète sont ainsi marqués d’un aspect funèbre. En effet, ces derniers sont évoqués à travers le registre macabre de la mort, de la décomposition de la chair :

« Le cadavre de mes jours

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