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Apollinaire, La peinture et l'image

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Par   •  2 Mai 2017  •  Analyse sectorielle  •  7 951 Mots (32 Pages)  •  913 Vues

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APOLLINAIRE, LA PEINTURE ET L'IMAGE

par Margaret DAVIES

Nous sommes tous d'accord que l'œuvre d'Apollinaire porte des traces de son commerce avec les artistes-peintres. Si je me suis donné pour sujet la peinture et l'image poétique, c'est que j'ai voulu serrer de près le problème d'une influence possible, en analysant les différents niveaux où elle a pu jouer à diverses périodes. Cette influence, si influence il y a, a-t-elle été, somme toute, assez superficielle, ou bien a-t-elle agi sur des couches plus profondes de son imagination ? Est-ce que les tableaux de ses amis peintres lui ont simplement fourni des sujets ou est-ce qu'ils l'ont inspiré pour la création de nouvelles formes poétiques ?

Pourquoi l'image comme point de mire ? D'abord pour la raison fondamentale que puisque c'est dans le choix de ses images qu'un poète révèle le plus clairement la spécificité irréductible de son imagination, une étude de la nature et de l'emploi de l'image fournirait un indice très sûr de l'importance et de la profondeur de pénétration d'une influence. Ensuite il est généralement reconnu qu'une des caractéristiques les plus frappantes de l'évolution de la poésie moderne a été la primauté donnée à l'image, une nouvelle façon d'envisager son rôle dans la structuration d'un poème. Si, comme je le crois et comme j'espère bien le démontrer, Apollinaire a contribué de façon décisive à cette nouvelle définition de l'image, il importerait de savoir s'il y a une corrélation entre cette évolution de l'image chez Apollinaire, et une influence venant de la peinture.

Evidemment c'est un projet d'assez grande envergure. Ici, tout ce que  je propose de faire, c'est d'étudier certains exemples de l'emploi de l'image provenant de diverses périodes, en tenant compte de trois niveaux possibles où une influence de la peinture a pu se faire ressentir. D'abord, le niveau anecdotique, c'est-à-dire comme point de départ, le

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grain de sable qui irrite l'imagination du poète et autour duquel le poème se forme. Deuxièmement le niveau de l'idéal esthétique, c'est-à-dire là où les buts esthétiques des artistes-peintres en correspondant à ceux d'Apollinaire comme poète ont pu le devancer ou l'encourager à pousser plus loin dans sa propre voie. Et troisièmement le niveau de la forme même, où la méthode de composition d'un artiste a pu lui suggérer une nouvelle façon de structurer un poème.

Dans les poèmes de jeunesse et les premiers poèmes d'Alcools, la peinture semble avoir joué un rôle plutôt minime, servant comme point de départ, catalyseur de sa fantaisie au même titre qu'un fait réel. Je pense par exemple à la Vierge à la fleur de haricot à Cologne qui ressemble à Annie et qui a été peinte par Maître Guillaume, ou même au tableau de Repin qui a pu inspirer l'épisode des Cosaques Zaporogues1

Plus important encore pour cette étude de l'image est l'exemple de la madone des sept douleurs, image prise dans l'iconographie chrétienne en général plutôt que dans un tableau spécifique, et qui sert à toute une série de transformations qui sont absolument fondamentales au mouvement du poème, transformations qui semblent même le générer. Si je me penche pour un moment sur la façon dont cette image se développe, c'est que je crois qu'elle représente une démarche fondamentale à Apollinaire, une des constantes de son procédé poétique. Le point de départ (le teneur, pour employer les termes de I.A. Richards) est son propre cœur. «Et moi j'ai le cœur [...]». Ensuite il exploite les deux sens du mot cœur (le sens abstrait : le cœur gros de souffrance, et le sens concret : le cœur comme objet), en trouvant comme véhicule de ce dernier le «cul de dame damascène», autre objet lui ressemblant dans sa forme concrète, mais aussi cause de sa souffrance, abstraction qui est figurée par un deuxième objet concret, le tableau des sept épées plantées dans le cœur de la Vierge. De nouveau le cœur de la Vierge ressemble également à son propre cœur comme objet visuel, mais il est aussi intimement lié à sa souffrance, en même temps source de sa honte, mais aussi signe de son désir de profaner une figure féminine, aussi bien que véhicule du sentiment qu'il a d'être martyrisé : c'est-à-dire le cœur même de tout ce complexe de souffrance, ce qui l'a fait souffrir, mais qu'il fait souffrir à son tour.

Le déploiement de cette image décrit une sorte de spirale, dont l'axe est formé par une répétition du même véhicule (cœur comme objet concret) qui s'enrichit progressivement de nouvelles associations,

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d'abord érotiques, puis religieuses avec des relents de profanation, et de martyrisation en même temps, amalgame qui est comme la force motrice du poème. Car c'est ce mélange complexe et disparate qui aboutit à l'état d'esprit où «la folie veut raisonner pour mon malheur». Le poème procède véritablement au moyen de l'image.

C'est ensuite, et je ne vais pas m'attarder à une analyse trop fastidieuse ici, que l'image du tableau, le véhicule de son propre cœur, se ramifie, se divisant en sept images secondaires où l'objet concret, l'épée, devient mythique, donc signe abstrait, mais où le mythe renvoie aux détails réels de l'histoire amoureuse, qui se dévide peu à peu sur ce fil d'associations. Il s'agit toujours de cette glissade d'association en association alternant entre le concret et l'abstrait, de ce mouvement en spirale qui revient toujours au même centre (là le cœur, ici les épées qui le blessent), mais à un point plus avancé dans le temps, aussi bien que dans l'évolution du poète pour amener enfin un nouvel effet : «Adieu [...] Je ne vous ai jamais connue».

Il me semble qu'il s'agit déjà d'un des mouvements les plus caractéristiques de la création apollinarienne. L'image sert véritablement comme agent de la métamorphose ; c'est elle qui est le principal élément générateur du poème. Si Apollinaire ne fut pas le premier ni le seul à accorder ce rôle de générateur à l'image - et je pense évidemment à Rimbaud ici - c'est cette voie, où il travaillait déjà en 1905 avec tant de succès, et qui sans doute correspondait à des tendances innées, sa mobilité d'esprit, sa fantaisie, sa foi dans le pouvoir qu'a la poésie de métamorphoser le réel, quia été suivie par la poésie moderne en général.

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