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Le Vaisseau d'or d'Émile Nelligan

Commentaire de texte : Le Vaisseau d'or d'Émile Nelligan. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  24 Août 2023  •  Commentaire de texte  •  1 665 Mots (7 Pages)  •  205 Vues

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Le Vaisseau d’Or (1899) d’Émile Nelligan

C’était un grand Vaisseau taillé dans l'or massif :
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues ;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,
S'étalait à sa proue, au soleil excessif.

Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.

Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?
Qu'est devenu mon cœur, navire déserté ?
Hélas ! Il a sombré dans l'abîme du Rêve !

Du même :

Je sens voler en moi les oiseaux du génie,
Mais j`ai tendu si mal mon piège qu`ils ont pris
Dans l`azur cérébral leurs vols blancs, bruns et gris,
Et que mon cœur brisé râle son agonie.


Émile Nelligan, le Rimbaud québécois

        Né à Montréal le 24 décembre 1879, d’une mère canadienne-française et d’un père irlandais, Émile Nelligan grandit dans un foyer qui manque d’harmonie. Son père est autoritaire et têtu, sa mère douce et sensible ; lui exige qu’on parle anglais à la maison, elle s’adresse en français à son fils unique. C’est elle surtout qui l’élève et lui communique son goût pour les arts ; des soirées qu’elle passe au piano, il conservera un amour pour la musique qui fera l’objet de plusieurs de ses poèmes. C’est à l’âge de seize ans - nous sommes en 1896 - qu’il développe certaines amitiés littéraires et que ses premiers poèmes paraissent dans des quotidiens. Encouragé par sa mère, le jeune poète entre en conflit avec son père, qui voudrait le voir apprendre un vrai métier. Au contraire, Nelligan quitte l’enseignement des Jésuites.

        L’année suivante, Nelligan entre à l’École littéraire de Montréal, non pas lieu d’études, mais cénacle où se réunissent poètes bourgeois et amoureux de la langue française. Le jeune poète se heurte à une conception vieillotte de l’activité poétique : pour la plupart, qui pratiquent une poésie de circonstance ou faite à des fins d’édification, la poésie n’est qu’un moyen intelligent d’occuper ses loisirs ; alors que pour lui, seule compte « la poésie dont on vit et dont on meurt ». Nelligan se range donc aux côtés des poètes symbolistes, Verlaine, Rimbaud, Baudelaire (l’année suivante, en 1898, il annoncera : « Je mourrai fou. Comme Baudelaire. ») et des parnassiens (l’art pour l’art) ; il lit Heredia, Leconte de Lisle, mais aussi les décadents Rollinat et Rodenbach. Edgar Allan Poe également.

        1899 verra survenir la brève apothéose et la chute précoce. Le 26 mai, en effet, Nelligan récite des poèmes à la quatrième séance publique de l’École littéraire, dans le Château de Ramesay. Voici comment le décrivit un témoin : « Une vraie physionomie d’esthète ! une tête d’Apollon rêveur et tourmenté, où la pâleur accentuait le trait net, taillé comme au ciseau dans un marbre. Des yeux très noirs, très intelligents, où rutilait l’enthousiasme, et des cheveux, oh ! des cheveux à faire rêver, dressant superbement leur broussaille d’ébène, capricieuse et massive, avec des airs de crinière et d’auréole. » Il déclame trois de ses poèmes ; le dernier déclenchera une ovation monstre : c’est La Romance du vin.

        (…) C’est le règne du rire amer et de la rage

        De se savoir poète et l’objet du mépris,

        De se savoir un cœur et de n’être compris

        Que par les clairs de lune et les grands soirs d’orage !

        Femmes ! je bois à vous qui riez du chemin

        Où l’Idéal m’appelle en ouvrant ses bras roses ;

        Je bois à vous surtout, hommes aux fronts moroses

        Qui dédaignez ma vie et repoussez ma main ! (…)

Porté en triomphe jusque chez lui, près du Carré Saint-Louis, Nelligan connaît vraiment une gloire intense à dix-neuf ans. Moins de trois mois plus tard, cependant, son équilibre mental est rompu, par les heures de veille, par tout ce qu’a pu déclencher en lui ce succès enivrant. Devenu bohème, il loge dans une mansarde, chez un ami littérateur comme lui, où vient parfois le relancer sa mère, ce qui lui occasionne chaque fois des crises nerveuses inquiétantes. Le 9 août 1899, il grimpe dans un arbre du Carré Saint-Louis et prétend vouloir se suicider. On se saisit de lui pour le conduire dans un établissement de santé. Il demeurera en asile psychiatrique de 1899 à 1941, année de sa mort (les deux tiers de sa vie), ayant définitivement rompu les liens qui le rattachaient au monde des hommes.

En trois ans, donc, tout est joué. Cette comète dans le paysage littéraire québécois rappelle l’aventure de Rimbaud. Le nom de Nelligan symbolise à lui seul, au Québec, le génie poétique, fulgurant et incompris. Il est un repère dans l’imaginaire littéraire collectif.

Le Vaisseau d’Or

Ce poème, rédigé certainement entre mai et août 1899, est l’un des derniers de Nelligan. Plusieurs de ses amis avaient le pressentiment de la tragédie qui se préparait, et lui-même l’a entrevue, si l’on en juge par ce poème. Le titre lui fut sans doute inspiré par un passage du dernier texte d’Une saison en enfer, « Adieu » : « Un grand vaisseau d’or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin.[1] »

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