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Analyse d'un extrait d'Amers de Saint-John Perse : Les tragédiennes

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Par   •  24 Février 2024  •  Commentaire de texte  •  2 282 Mots (10 Pages)  •  149 Vues

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Amers de Saint-John Perse

Analyse d’un extrait de la suite III « Les Tragédiennes sont venues… »

Ijjou CHEIKH MOUSSA

        

Les Tragédiennes sont venues, descendant des carrières. Elles ont levé les bras en l'honneur de la Mer : « Ah! nous avions mieux auguré du pas de l'homme sur la pierre !

« Incorruptible Mer, et qui nous juge !... Ah ! nous avions trop présumé de l’homme sous le masque! Et nous qui mimons l’homme parmi l'épice populaire, ne pouvions-nous garder mémoire de ce plus haut langage sur les grèves ?

« Nos textes sont foulés aux portes de la Ville -porte du vin, porte du grain -. Les filles traînent au ruisseau nos larges perruques de crin noir, nos lourdes plumes avariées et les chevaux s'empêtrent du sabot dans les grands masques de théâtre.

« Ô Spectres, mesurez vos fronts de singes et d'iguanes à l'ove immense de nos casques, comme au terrier des conques la bête parasite... De vieilles lionnes au désert accablent les margelles de pierre de la scène. Et la sandale d’or des grands Tragiques luit dans les fosses d'urine de l’arène

« Avec l'étoile patricienne et les clefs vertes du Couchant. »

Saint-John Perse, Amers.

Introduction

Depuis l’Odyssée d’Homère, la mer a toujours fasciné les poètes.  Baudelaire, dans « L’homme et la mer », voit dans l’espace maritime le miroir de l’âme humaine ; Paul Valery, dans « Le Cimetière marin »,  fait de la mer un lieu de méditation sur la vie et la mort,  et pour Paul Claudel la mer symbolise l'élément originel de la Création divine, mais Amers de Saint-John Perse est vraiment nourri de la mer, c’est un chant, une « Poésie pour accompagner la marche d’une récitation en l’honneur de la Mer ». Dans une Lettre à sa mère, Saint-John Perse dit le lien étroit qui le lie à la Mer : « ce n’est pas du sang que vous avez mis dans mes veines, mais de l’eau de mer »[1], et il réitère son dire dans une Lettre à Joseph Conrad  : « la mer est pour moi chose élémentaire, comme mêlée à mon sang même. »[2].

Hanté par la mer, Saint-John Perse est aussi influencé par le théâtre antique. Dans sa « Note pour un écrivain suédois sur la thématique d’Amers », il utilise des termes empruntés au domaine du théâtre pour qualifier son poème de la Mer:  

 « La Mer, notre apparente frontière, vers qui se hâtent toutes impatiences et toutes croissances, m’est apparue, au cœur du chant, comme l’arène solitaire et le centre rituel, "l’aire théâtrale" ou la table d’autel du drame antique, autour de quoi se déroule l’action, et se disposent d’abord les figurants et protagonistes, comme des fragments d’humanité représentant la vieille terre des hommes, à jamais mise en cause. » [3]

Et il a conçu l’architecture globale de son chant suivant la composition de la tragédie grecque :   Prologue, Episode, Chœur et Exode deviennent dans Amers :Invocation, Strophe, Chœur et Dédicace. « Strophe », à laquelle appartient l’extrait soumis à notre analyse et dont le poète a évoqué le sens étymologique : « une évolution du chœur autour de l’autel »[4],  est une gravitation hymnique en l'honneur de la mer. Elle met successivement en scène des protagonistes allégoriques qui viennent faire allégeance à la Mer dans l’espoir de retrouver l’unité perdue.

Après le chant des Villes qui dressent leur architecture frontalière dans l’attente de l’alliance avec la Mer et après celui du Maître d’astres et de navigation qui va guider la foule vers l’espace des retrouvailles avec la Mer, le troisième chant est celui des Tragédiennes qui se hâtent vers la Mer pour lui rendre hommage, déplorant l’avilissement des textes dramatiques et demandant à la Mer une « faveur nouvelle pour la rénovation du drame », celle de l’arrivée d’un  nouveau  Sophocle qui renouvellera la tragédie.

Développement

Le discours des Tragédiennes comprend sept tirades séparées les unes des autres par un astérisque en milieu de page. L’extrait à analyser constitue la première tirade et sert d’introduction à toute la suite.  Sur le plan métrique, il est formé d’une laisse de 5 versets, chiffre de l’homme ; sur le plan sémantique, il est constitué de deux parties : un bref récit suivi du discours entre guillemets des Tragédiennes.

- Le récit :

Le poème débute avec le récit du narrateur qui annonce l’entrée sur scène des Tragédiennes. Ce récit joue le même rôle que la didascalie dans l’œuvre théâtrale, il sert à introduire les personnages. Les Tragédiennes sont saisies dans leur mouvement :« descendant des carrières », et dans leur gestuelle  : « Elles ont levé les bras en l’honneur de la Mer », gestuelle théâtrale qui témoigne tout d’abord du respect qu’elles éprouvent vis-à-vis de la Mer. Les deux verbes de mouvement « descendant » et « ont levé » inscrivent aussi un cheminement en deux temps : descendant puis ascendant, et c’est le cheminement même des mystiques :  pour s’élever vers le divin il faut descendre, s’abaisser ; les Tragédiennes s’abaissent devant la grandeur de la Mer.

Deux espaces s’opposent, le lieu d’origine des Tragédiennes et la Mer. Pour désigner leur lieu d’origine le poète a employé le mot « carrières ». Ce terme mis à la place de « amphithéâtre» a un double sens : d’un côté, il fait allusion au fait que le théâtre grec antique était construit à flanc de colline (d’où le verbe « descendant ») sur des terrains d’anciennes carrières de pierre ou de calcaire ; d’un autre côté, il a une connotation dépréciative, il traduit l’état d’abandon de cet espace, qui a perdu tout son prestige.  C’est donc un espace de non-vie par opposition à l’espace de la Mer qui est un espace « incorruptible », toujours doué de vie.

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