Commentaire de l'incipit de l'Adversaire d'Emmanuel Carrère

Auteur de La classe de neige (1995), de L’Adversaire (2000) ou encore du Royaume (2014), Emmanuel Carrère développe dans la plupart de ses romans, de manière très précise et argumentée, une interrogation portant sur l’identité, l’être et le paraître ou l’illusion. Offrant une vision intéressante de l’homme, de la société et du regard des autres, l’Adversaire retrace l'histoire de Jean Claude Romand et les crimes dont il a été l'auteur en 1993. Ainsi, l’extrait que nous allons étudier est l’incipit de ce roman. Nous pouvons donc nous demander comment Emmanuel Carrère parvient à déstabiliser et à surprendre le lecteur grâce à son incipit. Nous étudierons dans un premier temps la construction originale du texte grâce aux différents procédés stylistiques puis le parallélisme entre les vies de Jean-Claude Romand et Emmanuel Carrère.

Tout d’abord, nous pouvons constater que la grammaire du texte est particulière, puisqu’au lieu d’apparaître dans les propositions principales, les événements importants apparaissent dans les propositions subordonnées. Par exemple, dans la proposition circonstancielle de temps « pendant que Jean-Claude Romand tuait sa femme et ses enfants » (l.1, 2) contenant l’action principale, l’auteur décrit le fait avec un air détaché, comme quelque chose de banal. C’est également le cas pour la proposition subordonnée relative « qu’il a tués après le repas » (l.5, 6). En effet, ce qu’il écrit est dénué de tout commentaire, de toute émotion et le fait de parler de cette scène aussi froidement rend la scène encore plus choquante. Ainsi, nous pourrions même aller jusqu’à dire que, pour l’auteur, le fait est si dénué d’intérêt qu’il pourrait presque être mis entre parenthèses.

D’autre part, nous pouvons également dire que l’auteur et le narrateur se confondent. En effet, le « je » de l’auteur est aussi le « je »  du narrateur. Par exemple, le « je » (l.2) employé ici : « j’assistais avec les miens à une réunion pédagogique » (l.2, 3), est utilisé en parallèle avec le « il » qu’emploie le narrateur: « qu’il a tués après le repas » (l.5, 6). Nous pouvons donc penser que ceci renvoie à un récit biographique ou autobiographique.

 Enfin, le texte s’achève sur la mention d’un article de presse du journal « Libération » (l.12) qui souligne le fait que le crime de Jean-Claude Romand soit  devenu « l’affaire Romand » (l.12). Toutefois, nous pouvons aussi dire que cet article est implicitement présenté comme étant le déclencheur de l’écriture du livre sur Jean-Claude Romand. D’ailleurs, nous retrouvons le champ lexical du livre avec « biographie » (l.8), « livre » (l.8), « romancier » (l.9), « chapitre » (l.9) et « article » (l.11). Emmanuel Carrère se pose ainsi en romancier et dit en évoquant la biographie de Philippe K. Dick, qu’il va écrire celle de Jean-Claude Romand.

Ainsi, avant d’entamer son récit, l’auteur, écrit une forme d’avant-propos ou d’avertissement dans lequel il révèle son projet d’écrire un livre sur Jean-Claude Romand.

De plus, nous avons dans ce texte un parallèle entre les vies de celui qui parle, et de celui dont on parle.

En effet, Emmanuel Carrère semble se mettre sur le même plan que Jean-Claude Romand puisque dès la première phrase, « pendant que Jean-Claude Romand tuait sa femme et ses enfants » (l.1, 2), Emmanuel Carrère était avec les siens. Puis, à la deuxième phrase, « Gabriel » (l.3), le fils du narrateur, « avait cinq ans, l’âge d’Antoine  Romand. » (l.4) et dans la troisième phrase, lorsqu’Emmanuel Carrère déjeunait « chez [ses] parents », Jean-Claude Romand tuait « les siens » (l.5). Il y a donc une simultanéité des actions menées par les deux hommes ; l’auteur développe un parallèle rigoureux entre son emploi du temps et celui de Jean-Claude Romand.

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