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Aménagement du territoire

Fiche : Aménagement du territoire. Recherche parmi 302 000+ dissertations

Par   •  4 Mai 2025  •  Fiche  •  3 985 Mots (16 Pages)  •  13 Vues

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Steven Doribé                           Commentaire de documents                         Séance 11/2025

 « Je cherchais quelque lieu sauvage dans la forêt, quelque asile où nul tiers importun ne vînt s’interposer entre la nature et moi » écrit Rousseau dans sa Lettre à M. de Malesherbes. Derrière cette quête d’isolement, c’est une volonté de renouer avec la nature dans sa forme la plus pure, loin de toute domination humaine. Ce rapport sensible et profond au monde naturel est au cœur du romantisme, courant littéraire apparu à la fin du XVIIIe siècle en Allemagne et en France, qui s’oppose à la rationalité classique et à l’idée de maîtrise de la nature, en exaltant au contraire les émotions, la solitude et l’harmonie avec le vivant. À l’opposé, la dystopie, forme moderne de la contre-utopie née au XIXe siècle, décrit souvent un monde futuriste où la technique a triomphé, parfois au prix de la nature elle-même, et où l’humanité vit sous le joug d’une organisation froide, artificielle, voire destructrice.
 Le corpus étudié illustre cette bascule : cinq documents littéraires et visuels composent un trajet du romantisme à la dystopie. Vigny et Goethe, deux figures majeures du romantisme, chantent la nature comme refuge et miroir de l’âme. Face à eux, les auteurs utopistes Émile Souvestre et Albert Robida, à travers des récits d’anticipation critiques, mettent en scène un monde mécanisé, où la nature est effacée ou remplacée. Enfin, Rosny Aîné, influencé par les sciences de son temps, livre dès 1912 une vision prophétique et désespérée de la Terre : désertée, brûlée, elle n’abrite plus que les derniers hommes.
 Ces textes, situés entre rêve et avertissement, permettent de comprendre l’évolution d’un imaginaire. Il semble donc intéressant de se demander comment est-ce que les représentations de la nature dans la littérature des XIXe et XXe siècles passent-elles d’un refuge idéalisé à un symptôme de crise et d’effondrement civilisationnel ?
 Pour y répondre, nous verrons tout d’abord comment la nature est pensée comme un refuge existentiel dans l’imaginaire romantique, puis comment elle est rationalisée et instrumentalisée dans les projets utopiques, et enfin comment sa disparition devient le signe d’un effondrement civilisationnel dans les dystopies écologiques.

  Tout d’abord, dans La Maison du Berger, Alfred de Vigny propose une vision de la nature comme un refuge essentiel face à un monde moderne perçu comme oppressant. Dès le début du poème, il appelle à fuir les villes, à les laisser derrière soi, car elles ne sont plus que des lieux d’ « esclavage humain » et de soumission. Le rejet de la ville, associée à la société industrielle, souligne que les romantiques s’opposent au productivisme, à la domination de l’homme par la technique, à l’éloignement progressif de la nature. Chez Vigny, la nature devient un espace de silence et de reconquête intérieure. Ce « silence austère » permet de se recentrer, de penser, d’exister en dehors du vacarme social. On retrouve ici l’influence directe de Rousseau, précurseur du romantisme, pour qui la solitude en pleine nature est le seul moyen de renouer avec sa vérité intime. Mais Vigny ne se contente pas de se retirer du monde : il sacralise la nature. Lorsqu’il évoque les lys qui balancent « comme des encensoirs », il transforme le paysage en une liturgie silencieuse, où chaque élément naturel devient un geste sacré. Cette spiritualité diffuse s’oppose à la froide rationalité des Lumières et à l’idéal classique. Car le romantisme, naît précisément d’une opposition au classicisme : les règles strictes, la logique, l’ordre sont rejetés au profit de la liberté d’expression, de l’émotion, de la subjectivité. Alors que le classicisme valorisait la civilisation, l’ordre social et l’idée cartésienne selon laquelle l’homme est maître et possesseur de la nature, le romantisme, lui, choisit la proximité, l’humilité face à elle. Ce geste d’évasion n’est donc pas seulement poétique, il est existentiel. La nature est la seule à accueillir l’homme tel qu’il est, avec ses contradictions, sa solitude, son besoin d’absolu. Elle devient une nouvelle forme d’évasion littéraire, un espace où la modernité est suspendue. Chez Vigny, comme dans les œuvres picturales romantiques : Le voyageur contemplant une mer de nuages ou Le radeau de la Méduse, l’homme s’éloigne de la maîtrise et retrouve sa vulnérabilité. Ce retrait annonce déjà, chez d’autres auteurs romantiques comme Goethe, un rapport encore plus intime et fusionnel avec la nature.          

  Ensuite, dans Les souffrances du jeune Werther, Goethe illustre une forme d’expérience radicale de la nature, vécue non plus comme un simple refuge, mais comme une puissance cosmique dans laquelle le moi se dissout. Le narrateur n’observe pas la nature de l’extérieur, il s’y fond complètement, jusqu’à se sentir devenir elle. Lorsqu’il affirme que le sentiment est si plein et si chaleureux qu’il croit « presque devenir Dieu », il exprime un moment d’extase panthéiste, où la frontière entre l’individu et le monde s’efface. Ce rapport intense, fusionnel, à la nature, est au cœur du romantisme allemand, né à la fin du XVIIIe siècle, notamment dans le mouvement Sturm und Drang, littéralement “tempête et passion”, fondé sur la supériorité du sentiment sur la raison. Werther, submergé par l’émotion, décrit la lumière du soleil, les collines, le chant des oiseaux, mais tout cela ne reste pas extérieur à lui : il dit qu’il absorbe le monde, qu’il le reçoit dans son cœur enflammé, et que son âme s’élargit dans les vapeurs de l’univers. Ce langage lyrique, parfois mystique, s’oppose totalement aux principes classiques : ici, aucune distance, aucune règle, aucune mesure. On est dans un moment de communion émotionnelle totale, qui rejoint cette volonté romantique de libérer l’art des contraintes imposées par la tradition classique. Alors que les classiques valorisaient la raison, la retenue, l’équilibre, Goethe donne au contraire toute sa place à l’excès, à la sensibilité débordante, à la solitude du moi livré à sa passion. Le moi est ici à la fois source et destination du sentiment. La nature devient un miroir de l’âme, mais aussi un espace sacré, presque divin. On retrouve également la même rupture avec l’ordre rationnel que chez Vigny, mais poussée encore plus loin : Goethe ne cherche pas seulement à se protéger du monde, il veut se fondre dans l’univers, comme si la séparation entre l’homme et la nature n’avait jamais existé. Cette vision prolonge celle de Rousseau, comme un pré-romantique : chez lui aussi, la nature permet à l’individu de se chercher en dehors de la société. Mais Goethe va plus loin, jusqu’à faire de la nature un absolu, une source de révélation presque divine. Ce vertige de l’émotion annonce à la fois la grandeur du romantisme et ses dangers : car si la nature nous accueille, elle peut aussi nous submerger.

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