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Les Mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar

Commentaire d'oeuvre : Les Mémoires d'Hadrien, Marguerite Yourcenar. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  10 Décembre 2020  •  Commentaire d'oeuvre  •  1 483 Mots (6 Pages)  •  1 689 Vues

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LES MEMOIRES D’HADRIEN

Les Mémoires d’Hadrien naquirent « d’une étincelle » alors que la toute jeune Marguerite Yourcenar, à peine âgée de vingt ans, errait dans la villa Adriana. Elles eurent d’abord la forme d’un dialogue, puis d’un essai, et enfin d’un roman. Hadrien, qui avait « restabilisé le monde », l'intéresse pour sa grandeur. et parce qu'il est le premier empereur helléniste amateur de culture grecque. De cet homme qui a attendu quarante ans pour arriver au pouvoir, elle retient la sobriété, la passion de la chasse, et le culte insensé voué pendant neuf ans à un ami mort. Cet ami, c’est le très jeune et très beau Antinoüs, qui l’accompagne dans son séjour en Égypte et avec lequel il va partager quatre années en l’initiant aux activités du corps et de l’esprit et à la chasse. Après l’Afrique, « deux ans plus tôt », où le jeune homme inexpérimenté « n’avait pas reçu la permission d’y figurer en première place », le voici prêt pour une chasse aux grands fauves prometteuse. En quoi le récit d’un souvenir de chasse favorise-t-il une reconstruction apologique du passé ? Nous verrons que c’est à travers le choix d’un épisode grandiose restitué tel un souvenir ému que Marguerite Yourcenar parvient à célébrer les valeurs de l’empereur et de son compagnon. D’emblée le narrateur introduit le lecteur dans un cadre égyptien hiératique. « À quelques jours de marche d’Alexandrie », ville fondée par Alexandre le Grand, deux hommes se rendent dans « l’oasis d’Amon », lieu sacralisé par la référence au dieu égyptien et aux « prêtres » qui révélèrent à l’éminent conquérant « le secret de sa naissance divine ». Le lecteur pressent quelque chose d’exceptionnel et en effet, il apprend « la présence d’un fauve particulièrement dangereux, qui s’était souvent attaqué à l’homme ». Accentuée par les adverbes, la dangerosité du « fauve » attise la hardiesse des chasseurs qui, « au bord du feu de camp », comparent « gaiement (leurs) futurs exploits à ceux d’Hercule ». Aucune inquiétude ne perce et déjà les voilà qui se projettent par la comparaison dans un triomphe aussi éclatant que celui du héros face au lion de Némée. Ayant inscrit la scène sous les meilleurs auspices, le narrateur va dérouler soigneusement et chronologiquement son récit. En dépit de la fébrilité, il faut se contenter de « quelques gazelles », et le restrictif « ne que » suivant l’adversatif « Mais » dépose une once de déception. S’ensuit une sérieuse préparation avant le face-à face avec le fauve : le repérage du point d’eau où il étanche sa soif « au crépuscule », le rabattage sonore rendu par le rythme ternaire le claquement des allitérations en « r » et « c » dans « à grand bruit de conques, de cymbales et de cris». Dans le cadre bucolique de « l’étang des nénuphars rouges encore grands ouverts » débute l’attente sans escorte. Or, « soudain », tout s’accélère et « la bête royale » paraît. L’affrontement est alors décrit en deux temps, trahissant l’impatience de « l’enfant » inexpérimenté, qui une fois ses armes lancées, se retrouve « désarmé ». L’inquiétude du lecteur s’apaise lorsque le narrateur plus avisé qui « avai(t) prévu ce risque » relate sa propre intervention salvatrice et le succès final face non plus à une bête féroce mais au roi du désert magnifié. Ainsi, tout en installant le lecteur dans une auguste oasis, le narrateur le maintien en haleine en déroulant habilement son récit. Le souvenir relaté, pris en charge par un amateur de chasse Le souvenir relaté, pris en charge par un amateur de chasse, procède d’une reconstruction propre aux Mémoires. Le narrateur personnage sait ménager des effets qui agiront sur le lecteur et jongle avec le passé simple, temps de la marche, l’imparfait d’habitude (« Le lion passait pour venir y boire au crépuscule ») ou duratif pour asseoir la quiétude de la longue et sereine veillée, « L’air était lourd et calme », le plus-que-parfait pour rappeler la nécessité d’une action antérieure « Les nègres étaient chargés de le rabattre vers nous ». Lorsque tout est prêt, que le long affût est récompensé, le passé simple est requis pour saisir la fulgurance des mouvements. Introduite par l’adverbe annonciateur du surgissement impromptu « Soudain », « la bête royale parut », et en cascade les actions s’enchaînent, échappant tout d’abord au contrôle du narrateur: « je n’eus pas le temps de retenir l’enfant ». Celui-ci, prompt et impatient, « pressa imprudemment son cheval, lança sa pique » avec réussite puisque « Le fauve transpercé au cou s’écroula ». Deux phrases développent l’affaissement du fauve « transpercé au cou ». Le lecteur respire, l’enfant l’a terrassé et réduit à « une masse rugissante et confuse ». Le répit est bref, la phrase inachevée : « le lion enfin se redressa, rassembla ses forces pour s’élancer sur le cheval et le cavalier désarmé ». La menace enfle avec un concert de sifflantes et, sans l’intervention expérimentée du narrateur (« j’avais l’habitude de ces exercices »), l’enfant ne serait plus. En abandonnant le « nous » initial du duo de chasseurs désaccordé, le narrateur s’empare du « je » pour justifier son intervention, avouer la faille dans son rôle de protecteur « je n’eus pas le temps de retenir l’enfant », le regret qui perce, rapidement détrôné par le geste calculé du grand amateur de chasse capable d’anticiper, « J’avais prévu ce risque », et d’agir sans délai : « J’interposai mon cheval». Chasseur et conteur émérites, il sait imprimer à son récit la tension haletante d’une scène de chasse. Plus qu’une chasse au lion, c’est un triple portrait laudatif, en actes, qui est brossé, celui d’un adversaire « particulièrement dangereux», celui de son ami impulsif, et le sien. Dans l’affrontement, tous trois interfèrent. Lorsque, majestueusement, surgit « la bête royale » annoncée mimétiquement par la fricative « dans un froissement de roseaux foulés », elle paraît à l’unisson avec l’oasis sacrée, comme le suggèrent les adjectifs et superlatifs additionnés, dévoilant « son beau mufle terrible, l’une des faces les plus divines que puisse assumer le danger ». Jusque dans la mort, le lion des sables ne perd rien de sa magnificence, « Le grand chat couleur de désert, de miel et de soleil, expira avec une majesté plus qu’humaine ». Sa dangerosité terrassée, le voici mué en animal sacré d’Égypte, « le grand chat » dont la teinte fauve absorbe l’éclat d’Amon Ré pour s’adoucir dans une triade ocre et moirée et lui emprunter sa noblesse « plus qu’humaine ». Le lion anobli, divinisé, est bien le digne adversaire que recherchaient les deux chasseurs tout aussi valeureux. Sont célébrés dans le récit le courage et la farouche détermination de l’enfant. L’envie de triompher du fauve annule l’attente patiente et génère l’impétuosité imprudente qui arme le jeune bras « avec art, mais de trop près », fougue qui n’échappe pas au narrateur. Lance et javelots ont bien « transpercé au cou » l’animal qui s’effondre, l’enfant n’a pas tremblé, il a défié et fauché momentanément le fauve. La réaction du narrateur est immédiate car mentalement calculée. Aucune flatterie n’effleure la narration à la première personne. Il met en avant leurs montures « admirablement dressées à ces sortes de jeux » et leur concède la préséance. Il ne revendique pas davantage la mise à mort, laissant le prestige à l’enfant : « il ne me fut pas très difficile d’achever le fauve déjà frappé à mort. » Ainsi, cette scène de chasse célèbre l’alliance de l’intrépidité de la jeunesse et de la tempérance, la noblesse, le courage et la dignité. Inscrite dans un temps et un lieu mythiques, cette scène réunit l’éraste et l’éromène1 qui acquiert enfin le « rôle principal dans cette chasse au lion ». Est contenue dans l’épisode l’agreste et instinctive « jeune force » d’Antinoüs sous le regard vigilant et protecteur d’Hadrien. À l’épreuve du courage, le jeune homme ne faillit pas, mais son impétuosité le met en danger. L’œil averti de l’empereur analyse l’erreur commise sans la blâmer et commande son geste salvateur. Reconstruit sous le signe de la grandeur, le souvenir ému s’achève sur la l’évocation de beauté sauvage domptée à ses pied ; dans les dernières pages du roman, il renaît au terme de la vie d’Hadrien, songe bref qui réactive la joie éprouvée dans « l’oasis d’Ammon», résurgence de la figure tant aimée avant « d’entrer dans la mort les yeux ouverts ».

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