Qu'est-ce que la gouvernance ?
Analyse sectorielle : Qu'est-ce que la gouvernance ?. Recherche parmi 300 000+ dissertationsPar dissertation • 4 Octobre 2013 • Analyse sectorielle • 8 709 Mots (35 Pages) • 713 Vues
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QU’EST-CE QUE LA GOUVERNANCE ?
Gouvernance : le grand public ne sait pas trop ce dont il s’agit, mais les hommes politiques
ne parlent plus que de cela. Tout récemment encore, Jacques Chirac, désireux de créer une
Organisation des Nations-Unies pour l’Environnement, lançait un « appel à la gouvernance
mondiale », tandis que, face à Hubert Védrine, qui le rappelait aux exigences d’une politique
étrangère réaliste, Alain Juppé se félicitait d’assister à « l’émergence d’une conscience
internationale et de mécanismes de gouvernance mondiale »1. « En quelques années, constate
Daniel Bourmaud, le mot, d’abord limité au domaine du management des organisations, [est
devenu] l’alpha et l’oméga du pouvoir, tant du côté des acteurs que du côté des analystes. Un
régime s’appréhende et se jauge à sa gouvernance […] La gouvernance s’inscrit aujourd’hui
dans le lexique presque génétique des institutions nationales ou internationales, et plus
récemment dans le langage des hommes politiques »2.
Alors que se multiplient colloques et séminaires – à l’initiative de l’Alliance pour refonder
la gouvernance en Afrique, un forum a même été organisé à Addis Abeba en novembre 2005
–, peu de gens semblent réaliser ce qu’est la gouvernance, comment elle se met en place et à
quel point le processus est d’ores et déjà engagé. Quant à l’étude de la gouvernance, bien
avancée en Allemagne et dans les pays anglo-saxons3, elle reste encore relativement
marginale en France, où le phénomène, bien souvent, n’est même pas analysé.
On rencontre le mot « gouvernance » dans la langue française du XIIIe et du XIVe siècles
avec le sens d’« art de gouverner ». Son équivalent anglais, governance, est attesté pour la
première fois en 1380, avec le même sens. Son usage s’estompe ensuite, notamment en
France où il restera longtemps associé à l’Ancien Régime. Il resurgit avec force au XXe siècle,
dans les pays de langue anglaise, puis s’impose partout.
Le terme de governance a commencé à être utilisé par les économistes dans les années
1930, pour fonder une analyse stratégique de la gestion des grandes sociétés industrielles et
commerciales. Il apparaît ainsi en 1937 dans un célèbre article (« The Nature of the Firm »)
écrit par l’économiste américain Ronald Coase. La « gouvernance d’entreprise » (corporate
governance) se définit alors, dans le sillage des théories néo-institutionnalistes inspirées de
Coase, comme une méthode de gestion non hiérarchique des entreprises associant davantage
les salariés dans une perspective plus ou moins postfordiste. Parallèlement, l’idée se fait jour
que la gouvernance, prise dans une acception plus large, peut aussi bien qualifier la façon dont
les individus et les institutions gèrent leurs affaires communes.
A la fin des années 1960, l’interrogation sur la « gouvernabilité » des sociétés
démocratiques suscite des travaux significatifs, comme ceux de Karl Deutsch, Robert Dahl ou
David Easton. Pour Robert Dahl, le pluralisme politique n’est supportable que s’il met en
présence des groupes sociaux dont les intérêts ne sont pas incompatibles, mais au contraire
susceptibles d’un marchandage débouchant sur un compromis. Le développement
économique ayant déjà résorbé, dans une certaine mesure, l’antagonisme des classes sociales
au bénéfice de la classe moyenne, il en conclut que le bon gouvernement est celui qui laisse
s’établir entre tous les agents, et notamment les groupes organisés, un jeu comparable à celui
du marché, où tout le monde a intérêt à trouver une solution commune sous peine d’être
perdant – perspective consensuelle, qui revient déjà à gommer ce qu’il y a d’irréductiblement
conflictuel dans la vie politique.
Au plan politique, précisément, la thèse selon laquelle les démocraties deviennent
« ingouvernables » lorsqu’elles sont « surchargées » d’exigences populaires a d’abord été
cultivée dans des milieux relativement restreints, comme la Commission Trilatérale. Au début
des années 1970, les théoriciens de la Trilatérale, au premier rang desquels figure Samuel
Huntington (l’actuel doctrinaire du « choc des civilisations »), s’interrogent sur la difficulté de
gérer des sociétés dont les membres se comportent de manière « irrationnelle » et, en tout état
de cause, imprévisible. Les membres de la Trilatérale sont au nombre d’environ 300. La
plupart d’entre eux sont des chefs d’entreprise, conscients de l’interdépendance croissante des
économies, qui s’inquiètent ouvertement des « excès de démocratie » que représenteraient les
grèves, les droits syndicaux, les acquis sociaux ou la liberté d’opinion. Leur conclusion est
que la « crise » de la démocratie
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