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Qu'est ce que le mauvais goût ?

Dissertation : Qu'est ce que le mauvais goût ?. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  16 Février 2018  •  Dissertation  •  2 922 Mots (12 Pages)  •  2 313 Vues

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QU’EST-CE QUE LE MAUVAIS GOÛT ?

        Issu du latin gustus, le “goût” est au sens propre celui des cinq sens qui permet de percevoir les saveurs. Le goût permet de savourer en distinguant les qualités spécifiques fondamentales des aliments : amer, acide, salé, sucré. Puis, le goût au sens figuré signifiant une préférence, un penchant, une prédisposition, en est venu à désigner par analogie le sentiment du Beau : le goût devient un concept fonctionnant dans le domaine esthétique. Ainsi le goût ralliant d’emblée le beau en vient à s’attribuer le pouvoir de jouir des belles choses et d’en tirer une saveur de plaisir, qualifiant le bon goût; il s’agit de savoir juger du beau, le reconnaître et en porter les couleurs et les attributs. Dans ce cas, le mauvais goût serait une incapacité à distinguer le Beau de l’agréable.

        Cependant, cette capacité n’est pas desintéréssée puisque l’acquisition du bon goût constituerait un instrument de domination sociale: le mauvais goût serait le goût n’ayant pas à voir avec le beau, le goût manifesté comme transgressant les normes instaurées du bon goût par “l’élite dominante”; le jugement classe au moins autant celui qui l'émet que l'individu sur lequel il porte.

        Dès lors, le problème qui se pose consiste à savoir ce qu’est le goût pour en définir sa “dysgueusie culturelle” : Ou bien nous considérons que le goût est une faculté à juger le Beau (objet d’une satisfaction universelle), induisant que le mauvais goût est en quelque sorte une incapacité à déterminer ce Beau. Ou bien nous considérons que le goût est distinction sociale justifiant à travers la légitimité de son goût la domination de la “classe supérieure”, induisant que le mauvais goût est celui désigné comme tel par cette “élite sociale”.

        Issu du grec aisthèsis, signifiant sensation, appréhension sensible au sens large, le concept d'esthétique apparaît en 1750, avec l’oeuvre Æsthetica (Esthétique) d’Alexander Gottlieb Baumgarten (1714-1762), qui fonda sous ce nom « la science de la connaissance sensible ». Kant précise que « Ce qui est simplement subjectif dans la représentation d'un objet, c'est-à-dire ce qui constitue sa relation au sujet et non à l'objet, c'est sa nature esthétique » Critique de la faculté de juger, Introduction VII.

L'esthétique concerne donc la manière dont la sensibilité humaine est affectée par des objets. Elle ne concerne pas l'objet dans sa réalité objective, mais la subjectivité qui est en rapport avec lui. Or bien qu'il en soit ainsi, l'expérience esthétique fait intervenir un jugement, le jugement esthétique ou jugement de goût. Le goût, écrit Kant, est : « la faculté de juger du beau ». Dans une analyse magistrale, Kant montre que le jugement de goût se caractérise par d'apparentes contradictions qu'il analyse en 1790 dans La Critique de la faculté de juger.

        Tout d’abord, lorsque nous disons « c'est beau » nous prononçons un jugement de valeur. Nous reconnaissons une valeur propre à l'objet mais cette valeur ne se fonde pas dans une appréciation objective de la nature de celui-ci. Le jugement de goût n'est pas un jugement de connaissance. Il ne détermine pas son objet, il ne nous apprend rien sur lui, comme par exemple que cette fleur est une rose, qu'elle appartient à telle famille ou fleurit à telle époque. Il me renseigne seulement sur le sujet qui le prononce. Il exprime le plaisir que nous éprouvons à contempler tel objet. En disant : « c'est beau » nous disons que notre perception est heureuse, que « cela nous plaît » et pourtant en prononçant un jugement nous prétendons que ce plaisir doit être celui de tout homme. D'où cette première contradiction : dans la mesure où il fait intervenir la sensibilité, le jugement de goût a une subjectivité irréductible et comme tel, il semblerait qu'il faille admettre sa relativité. Or il prétend à la validité universelle. Il ne dit pas « cela me plaît à nous » mais « c'est beau ». Il parle du beau comme s'il était la propriété de l'objet, reconnaissable par tous. Certes l'universalité revendiquée est une universalité esthétique et non logique, et « le jugement de goût ne postule pas l'adhésion de chacun (...) il ne fait qu'attribuer à chacun cette adhésion » Critique de la faculté de juger §8, reste qu'il récuse son caractère personnel. « Lorsqu'il s'agit de ce qui est agréable, chacun consent à ce que son jugement, qu'il fonde sur un sentiment personnel et en fonction duquel il affirme d'un objet qu'il lui plaît, soit restreint à sa seule personne. (...) Ce serait folie que de discuter à ce propos, afin de réputer erroné le jugement d'autrui, qui diffère du nôtre, comme s'il lui était logiquement opposé ; le principe : « A chacun son goût » (s'agissant des sens) est un principe valable pour ce qui est agréable. Il en va tout autrement du beau. Il serait (tout juste à l'inverse) ridicule que quelqu'un, s'imaginant avoir du goût, songe en faire la preuve en déclarant : cet objet (...) est beau pour moi. Car il ne doit pas appeler beau, ce qui ne plaît qu'à lui. (...) lorsqu'il dit qu'une chose est belle, il attribue aux autres la même satisfaction ; il ne juge pas seulement pour lui, mais pour autrui et parle alors de la beauté comme si elle était une propriété des choses » Critique de la faculté de juger §7.

        De plus, s'ensuit-il que ce jugement, comme tout jugement puisse se justifier par des concepts, des raisons, par une argumentation susceptible d'emporter la conviction d'autrui ? Non répond Kant, car quelles que soient les raisons susceptibles d'être énoncées, il ne se fonde pas sur autre chose que le plaisir ressenti devant l'objet beau.

D'où une nouvelle contradiction : en disant, « c'est beau » nous prétendons que chacun peut partager mon jugement mais nous ne pouvons pas le justifier par des concepts. « Le beau est ce qui est représenté sans concept comme objet d'une satisfaction universelle » Critique de la faculté de juger §6.

        Enfin, si le plaisir ressenti devant l'œuvre belle peut être universalisé, c'est, remarque Kant, que la satisfaction qu'elle donne n'est pas une satisfaction intéressée. Elle n'est pas la satisfaction d'une inclination sensible portant par nature la marque de la particularité d'un sujet : un sentiment esthétique est autre chose qu'une sensation agréable, car comme il a été dit l'agréable est simplement ce qui nous plaît à nous. Il n'est pas non plus ce qui satisfait un intérêt qu'il s'agisse d'un intérêt sensible ou d'un intérêt rationnel. Il ne faut confondre le beau ni avec l'utile ni avec le bien. Car le bien ou l'utile implique une connaissance de l'objet et sont l'objet, l'un d'une satisfaction pathologique, l'autre d'une satisfaction pratique. Le beau, en revanche, ne dépend d'aucun concept déterminé et la satisfaction qu'il donne est pure de tout intérêt. « La satisfaction que détermine le jugement de goût est libre de tout intérêt » (Kant). Il s'ensuit que le beau est paradoxalement l'objet d'une satisfaction désintéressée. C'est ce caractère désintéressé du plaisir esthétique qui fonde, aux yeux de Kant, sa prétention à l'universalité. « Car qui a conscience que la satisfaction produite par un objet est exempte d'intérêt, ne peut faire autrement qu'estimer que cet objet doit contenir un motif de satisfaction pour tous (...) sans que cette prétention dépende d'une universalité fondée objectivement ; en d'autres termes, la prétention à une universalité subjective doit être liée au jugement de goût » Critique de la faculté de juger §6.

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