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La dispute, La dispute

Commentaire de texte : La dispute, La dispute. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  31 Mai 2019  •  Commentaire de texte  •  5 437 Mots (22 Pages)  •  2 144 Vues

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EXPLICATION DE TEXTES

Cet extrait est tiré de la scène 4 de la comédie en un seule acte et en prose : La Dispute, de Marivaux, datée de 1747 pour la parution, mais de 1744 pour la première représentation. Qu’est-ce que la dispute ? Il faut prendre le terme ici dans son étymologie latine, du verbe disputare qui a le sens de discuter, débattre en raison du préfixe –dis, mais surtout du verbe putare, donc penser. Ce n’est qu’au XVIIè siècle que le terme prend le sens de « se quereller ». Nous pouvons imaginer que le dramaturge ici, ait pu vouloir le sens premier, étymologique, puisqu’il s’agit d’une œuvre qui se déroule autour d’une expérience entreprise par le Prince : celle d’élever trois couples d’enfants dans un château au fond d’un bois, qui ne bénéficient d’aucune communication entre eux, afin de pouvoir déterminer si l’inconstance en amour proviendrait de l’homme ou de la femme. Ces quatres enfants sont Adine, Mesrin, Eglé, Azor, et à la toute fin surviennent Meslis et Dina. Pour situer notre extrait, nous sommes au début de la scène quatre, alors que dans la scène trois, nous avons la narration d’Eglé qui découvre le monde pour la première fois. Notre extrait est occupé par le jeune homme Azor, et la jeune femme Eglé qui se rencontrent pour la première fois, tout en rencontrant un autre « être humain » à la fois.

Lecture du texte.

Nous pouvons établir l’architecture de l’extrait en un premier mouvement qui s’étend de la première ligne à la réplique d’Eglé jusqu’à la fin de sa même réplique, qui constitue à elle seule la toute première réaction d’Eglé non seulement mais dans l’expérience mise en place par le Prince. Puis il est possible de repérer un deuxième mouvement de la réplique suivante d’Azor, à la didascalie « il vient », qui englobe la suite de la découverte de l’Autre, entre regards et gestes timides, et enfin un dernier mouvement progressant de l’interjection d’Eglé « ah ! la voilà ! » jusqu’à la fin de notre extrait.

De ce fait, nous voyons se dessiner ici une tension de ce qui pose un paradoxe dans notre extrait. De quelle manière Marivaux arrive-t-il à détourner le topo littéraire de la première rencontre autour d’un jeu entre dialogue et tension dramatique ?

Nous étudierons dans un premier temps comment la rencontre de l’Autre, et la rencontre amoureuse, mènent à la rencontre de soi. Ensuite, nous pourrons suivre le fil conducteur de l’exploration du langage dans cet extrait, l’exploration des sens, et enfin, comment Marivaux exploite la méthode du dialogue, de l’échange, de la théâtralité, mis au service de ses deux protagonistes.

La rencontre amoureuse, la rencontre de l’Autre passe par la rencontre de soi tout d’abord. C’est ce qu’il se produit dans notre extrait, avant de rencontrer Azor, Eglé s’est retrouvée seule un instant, pour s’admirer dans un miroir. Le stade du miroir est important dans le développement psychique d’une personne, or Marivaux passe cet élément de la construction innée par une Eglé qui s’observe dans un ruisseau. Ce qui n’est pas sans nous rappeler le mythe de Narcisse dans l’Antiquité, nous pouvons rapprocher Eglé et Narcisse. Elle se contemple « continuant et se tâtant le visage », non seulement elle apparait en première sur scène, mais Azor lui-même est construit en miroir par rapport à elle. L’un sans l’autre, déjà, ils ne sont littéralement rien, alors qu’ils ne se connaissent pas. Azor est dit placé « vis-à-vis » d’Eglé, dans une phrase où la construction elle-même laisse penser à un miroir : Azor parait / vis-à-vis / d’elle. Azor est en tête de la didascalie, le pronom féminin « elle » qui désigne Eglé est en fin de phrase. On a ensuite une Eglé qui non seulement se contemple encore mais qui utilise le toucher pour se contempler, elle est « se tâtant » le visage. L’utilisation ici d’un participe pour désigner le geste d’Eglé en didascalie participe à la découverte qu’elle fait d’elle-même et à laquelle le spectateur assiste en même temps. Elle développe pour elle seule un amour propre, : « je ne me lasse point de moi » ; le pronom personne « je » apposé à la négation « ne … point » qui renforce le trait égocentrique d’une jeune fille qui s’admire, et qui se croit seule. Elle observe Azor par rapport à elle toujours : « on dirait qu’elle m’admire », si on fait ici l’étymologie du verbe à l’infinitif « admirer » du latin admirari, occurrence chez Cicéron qui décrit l’étonnement provoqué devant quelqu’un, on remarque bien qu’Eglé se construit en rapport à Azor et inversement, en miroir toujours. La reconnaissance de l’autre devient la reconnaissance d’un autre soi-même. Doublé à cette idée, survient naturellement l’idée d’étonnement, de peur de ce qu’on ne connait pas, de peur de l’inconnu : « Et puis, apercevant Azor avec frayeur », la frayeur est même l’idée la plus extrême presque de la peur, en effet le latin fragorem a donné la racine de freor en ancien français, avec l’idée donc de vacarme, la notion de bruit éclatant. On trouve au sens plus moderne en revanche la définition : trouble véhément causé à l’idée d’un mal imaginaire. Ici, Eglé est en train de se contempler lorsque brusquement elle aperçoit quelqu’un d’autre non seulement, elle prend conscience de sa propre existence car elle constate qu’elle n’est finalement plus la seule, mais surtout qu’il y a en face d’elle quelqu’un de différent, qu’elle ne saura pas de suite nommer d’ailleurs. Nous découvrons Azor par les yeux d’Eglé, qui elle-même passe de sa propre image dans le ruisseau, à la présence de l’autre. Toutefois « n’approchez point », avec l’impératif tiré de la peur qu’Eglé perçoit, est une didascalie interne presque, puisqu’en réaction à ceci, Azor « étendant les bras d’admiration et souriant », n’a toujours pas parlé, ne fait qu’articuler quelques gestes. Il y a un jeu entre les deux qui s’établit sur scène entre Eglé qui parle, comme si Azor lui répondait, alors qu’il ne lui répond que par des regards (il l’admire) ou par ses gestes. C’est à la fin de sa réplique que la peur se dissipe, on voit qu’elle laisse Azor se rapprocher d’elle, elle accepte, le spectateur imagine que le dialogue amoureux va de suite s’en suivre. La théâtralité de la rencontre en les deux est importante ici car elle se transforme par la suite en rencontre amoureuse, en effet ce n’est pas vraiment un coup de foudre sur scène auquel le spectateur assiste mais un jeu de gestes, de la part d’Azor qui essaie un rapprochement, et de regards de la part d’Eglé qui se contemple elle, qui se comprend, et qui, en conséquence, essaie de comprendre l’Autre par la suite. On lit : « ses regards sont pourtant bien doux… », avec l’adjectif doux qui vient qualifier son regard, intensifié par l’adverbe « bien » et « pourtant », qui impliquent tous deux que ce propos ait pu être contré, accompagné de points de suspension, ce qui prouve l’hésitation d’Eglé, on la voit hésiter face à Azor, elle laisse place à la crainte, mais tout doucement. Elle fait même un aparté au public « attendez… », elle s’est adressée à elle-même, au spectateur mais toujours pas à Azor. L’adjectif « doux » est assimilé à « ses regards » on a l’introduction d’une des tensions du texte à savoir le parler ou le regarder. Elle use de la parole pour décrire les regards, tandis qu’Azor use des regards, des gestes, pour décrire ce qu’il pourrait lui dire. C’est enfin à ce moment-là qu’elle s’adresse à lui en le questionnant : « savez-vous parler ? » ce qui implique qu’elle accepte une réponse de sa part, qu’elle la désire même car, elle l’a laissé approcher juste avant. Les points de suspension ajoutent de la tension dramatique dans la découverte car il s’agit du moment clé de la scène, c’est la rencontre amoureuse, Azor est en attente d’Eglé, le spectateur encore plus. On constate dès le départ un décalage entre les deux protagonistes, par rapport à la scène amoureuse typique, ici la figure féminine est d’abord en quête de reconnaissance de soi, avant de reconnaître face à elle, un autre. Et cet autre lui plaît uniquement parce qu’il la regarde, et que la manière dont il la fixe la charme. Or, on le sait, Azor est la première autre personne plutôt semblable à elle qu’elle rencontre, on peut se demander comment interpréter les regards d’Azor vis-à-vis d’Eglé ? Sont-ils uniquement curieux ou directement intéressés ? On a l’impression que dès le début, Azor était déjà présent à l’observer à cause du début de didascalie « et puis ». Eglé, trop occupée à se contempler, se rend compte de la présence d’Azor et prend peur. L’encontre, ou la rencontre, in et contra, soit en face, impose la notion de regard. La rencontre a donc été éprouvante d’abord pour Eglé, mais pour Azor ? Par son calme olympien, son rire qui accentue son côté enfantin « la personne rit… » on peut supposer qu’il subsiste debout et cherche du regard à croiser celui de sa belle. Sans animaliser ni Azor ni Eglé, on peut surement trouver à cette rencontre quelque chose d’assez bestial, ou de trivial. En effet, on a « m’admire », puis « savez-vous parler » ce qui permet au spectateur l’identification des deux, mais aussi aux personnages. Cela leur permet de s’identifier face à quelqu’un, l’un par rapport à ce qu’est l’autre. La première parole d’Azor commence par : « le plaisir » dont l’objet est « vous voir ». Auparavant, il riait. Alors, comment interpréter ce rire par rapport à cette première réplique ? Là est le décalage du topos, où Marivaux s’amuse à faire endosser la responsabilité à Eglé d’être inconstante. Le champ lexical de la douceur, de la beauté, n’est évoqué dans la bouche d’Eglé pour le moment que lorsqu’elle parle d’elle-même, et dans la bouche d’Azor pour parler d’Eglé. Eglé semble être au centre de l’attention du spectateur et de celle d’Azor. Jusqu’à ce que finalement, nous avons la didascalie « gaiement ». Elle est presque un soulagement pour Azor, c’est un pas encore vers lui de sa part, même si elle ne le nomme encore que par la neutralité du nom commun « la personne ». On peut lire « et si agréablement », où le « et » annonce une fin de phrase inattendue, comme une intonation donnée en didascalie interne, « agréablement » ici est un adverbe, par sa forme invariable elle s’applique d’une manière plus globale qu’un adjectif, il est plus valorisant de dire qu’Azor s’exprime agréablement, que de façon agréable, qui a un caractère éphémère. Nous avons une gradation dans le champ lexical de la douceur : « bien doux » / « le plaisir » / « si agréablement ». Le langage est partie prenante dans cette rencontre amoureuse, après le regard.

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