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L'incipit de l'éducation sentimentale

Commentaire de texte : L'incipit de l'éducation sentimentale. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  28 Avril 2019  •  Commentaire de texte  •  1 947 Mots (8 Pages)  •  2 496 Vues

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  Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin, la Ville-de-Montereau, près de partir, fumait à gros tourbillons devant le quai Saint-Bernard.
    Des gens arrivaient hors d’haleine ; des barriques, des câbles, des corbeilles de linge gênaient la circulation ; les matelots ne répondaient à personne ; on se heurtait ; les colis montaient entre les deux tambours, et le tapage s’absorbait dans le bruissement de la vapeur, qui, s’échappant par des plaques de tôle, enveloppait tout d’une nuée blanchâtre, tandis que la cloche, à l’avant, tintait sans discontinuer.
    Enfin le navire partit ; et les deux berges, peuplées de magasins, de chantiers et d’usines, filèrent comme deux larges rubans que l’on déroule.
    Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile. À travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d’œil, l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame ; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir.
    M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s’en retournait à Nogent-sur-Seine, où il devait languir pendant deux mois, avant d’aller faire son droit. Sa mère, avec la somme indispensable, l’avait envoyé au Havre voir un oncle, dont elle espérait, pour lui, l’héritage ; il en était revenu la veille seulement ; et il se dédommageait de ne pouvoir séjourner dans la capitale, en regagnant sa province par la route la plus longue. 

Flaubert - L'éducation sentimentale - Incipit

  • Gustave Flaubert (1821-1880), écrivain et romancier, né à l’Rouen
  • auteur de quelques romans qui ont marqué le 19e siècle comme Madame Bovary, Salammbô ou encore L’éducation sentimentale, jusqu’à juvéniles huhygmj publié en 1869
  • proche de Zola et de Maupassant, Flaubert cherche à se placer du point de vue de “uberl’Art pur”, en travaillant beaucoup le style et la beauté de ses romans
  • nous sommes au début du roman : le narrateur commence le récit des aventures de Frédéric Moreau, dont nous allons suivre les péripéties pendant près de 27 ans
  • lecture
  • problématique
  • plan

I / Un incipit traditionnel 

  1. le cadre spatio-temporel 
  • un cadre temporel très précis : “le 15 septembre 1840, vers six heures du matin”
  • un cadre spatial marqué par son réalisme : “le quai Saint Bernard”, la “Ville-de-Montereau” (le bateau prend le nom d’une ville qui se trouve pas loin de Nogent, dans le confluent de la Seine et de l’Yonne), “Nogent sur Seine”, “le Havre” + l’énumération des monuments célèbres de Paris → présence des realia que le lecteur connait, d’autant plus que le cadre temporel est quasi contemporain de la publication du roman (comme un roman publié aujourd’hui qui parlerait des années 1990)
  • le narrateur place les événements dans un contexte : le plus-que parfait permet une analepse (“l’avait envoyé au Havre”) qui explique le détour par Paris (alors qu’il faisait ses études secondaires à Nogent, près de sa mère) et le futur proche est également mentionné, avec le projet pour les années à venir (“faire son droit”)

b) la présentation des personnages

  • on peut diviser l’incipit en deux : 3 premiers paragraphes qui présentent le bateau et l’ambiance qui y règne et deux paragraphes qui présentent Frédéric → un incipit traditionnel qui présente d’abord un cadre puis un personnage (voir, à titre d’exemple, Le rouge et le noir, qui commence par la description de Verrières puis qui  présente M. de Rênal)
  • les informations sommaires qui sont données sont : une périphrase plutôt générale (“Un jeune homme de dix-huit ans”), avec l’article indéfini puisque pour l’instant le lecteur ne le connait pas, un bref portrait physique (“à long cheveux”), le nom du personnage (“Frédéric Moreau”) puis son état (“nouvellement reçu bachelier”) → Flaubert ne donne pas trop de détails sur le physique, c’est une esquisse plus qu’une description détaillée

c) un incipit réaliste 

  • même si Flaubert refuse l’étiquette “écrivain réaliste”, force est de constater que l’esthétique présente ici est avant tout réaliste
  • les noms propres ancrent le récit dans l’illusion du réel ; d’autres realia (= éléments présents qui créent l’illiusion du réel) sont, par exemple, les éléments énumérés “de magasins, de chantiers et d’usines”, susceptibles de se retrouver près d’un bateau
  • les projets de la mère pour Frédéric sont également caractéristiques du réalisme : elle espère récupérer l’héritage d’un oncle, comme l’indique les termes “somme” et “héritage” → le thème de l’argent est omniprésent dans le roman réaliste, ce qui est dû à la volonté des romanciers de ne pas embellir le réel et de le présenter tel qu’il est → les intentions de la mère ne sont donc pas très morales (elle est intéressée par l’argent et non par l’oncle), mais elles sont présentées telles quelles
  • le narrateur omniscient participe également à la création d’une esthétique réaliste ; il accompagne le départ du bateau en suscitant plusieurs sens  : la vue (“fumait à gros tourbillons”, l’énumération “des barriques, des câbles, des corbeilles de linge”, la “nuée blanchâtre”), l’ouïe (“le tapage”, “le bruissement de la vapeur”, “la cloche … tintait sans discontinuer”) → c’est une scène animée qui plonge le lecteur dans cet univers familier
  • l’esthétique réaliste se voit également avec le choix des sonorités : “barriques, câbles, corbeilles de linge” avec une allitération en -k, qui imite le tumulte et le bruit
  • il nous fait vivre cette scène à travers le pronom indéfini “on” et des phrases rapides, entrecoupées par des points-virgules → rapidité
  • enfin, le passage d’un plan d’ensemble (le bateau qui fume au quai) aux détails (§2) est un procédé que l’on peut qualifier de cinématographique et qui renforce le réalisme de la scène  

II / Un incipit, un départ

  1. le départ du bateau
  • le départ du bateau est, en même temps, le départ du roman : “près de partir” puis “enfin le navire partit”, avec le passé simple qui marque le début de l’action
  • on peut donc établir une analogie entre le départ du bateau et celui de Frédéric : si Flaubert choisit de commencer son roman ainsi c’est qu’il veut donner l’impression qu’il s’agit d’un roman d’apprentissage, un roman où l’on suit un jeune personnage dans des aventures nouvelles, à travers lesquelles il apprend à connaitre la société, la vie et lui-même
  • l’imparfait “fumait” n’est pas un imparfait d’habitude, auquel on s’attendrait dans une situation initiale, mais un imparfait de durée → il inscrit la première action dans une continuité, ce qui fait penser à un incipit in medias res : si le bateau fume déjà, c’est qu’il est sur le point de partir (les préparatifs pour le départ avaient donc commencé avant le début du roman)

b) un départ métaphorique

  • la comparaison “les deux berges …  filèrent comme deux larges rubans que l’on déroule” va dans le même sens : c’est le symbole du ruban de la vie qui se déroule et inaugure un nouveau départ
  • l’idée du commencement s’exprime aussi à travers une technique que l’on peut qualifier d’impressionniste, une description faite par des touches → un brouillard présent avec la “nuée” ou encore le “brouillard”  → nous nous attendons à ce que ce brouillard soit dissipé au fur et à mesure du roman
  • le cadre temporel renvoie également à un commencement : nous sommes à l’autonmne, à la rentrée, à six heures du matin → début de la journée, début de l’année scolaire, début d’une nouvelle vie pour Frédéric qui a dix-huit ans ; on peut songer à l’incipit d’Une vie de Maupassant, proche de Flaubert, qui, près de vingt ans plus tard, commence son roman lorsque Jeanne quitte le couvent à 18 ans → le roman d’apprentissage est très fréquent au 19e siècle car il permet aux romanciers de dresser, par le biais du personnage, un tableau de l’époque
  • la fin de l’extrait évoque “la route” : là aussi, on peut voir une métaphore de la vie de Frédéric qui est sur le point de commencer

III / Le regard ironique du narrateur  

  1. la passivité de Frédéric
  • de façon assez ironique, les verbes d’action présents ici n’ont pas Frédéric comme sujet mais les éléments inertes : “la Ville-de-Montereau … fumait”, “le cloche … tintait”,  “le navire partit”, “les deux berges … filèrent”
  • Frédéric est sujet de verbes désignant une réflexion, une contemplation : “il contemplait”, “il restait”, “il se dédommageait” ; la seule véritable action dont il est le sujet est le fait de soupirer → caricatural
  • l’immobilisme de Frédéric est souligné à travers la position détachée de l’adjectif “immobile” en fin de phrase, mise en exergue par la virgule qui le précède : : “un jeune homme de dix-huit ans … immobile”
  • cette immobilité” est soulignée par le lieu où elle s’exerce : “près du gouvernail” → le gouvernail, métaphoriquement, est l’endroit où l’on dirige le bateau ou, ici, sa vie ; or, Frédéric y adopte une attitude passive
  • l’activité principale de Frédéric pour l’été est de … languir
  • cette passivité se voit également dans le fait que c’est sa mère qui est à l’initiative de son séjour au Havre ; on comprend également que c’est elle qui lui impose le retour à Nogent car le verbe “se dédommageait” signifie qu’il aurait préféré rester à Paris → il n’est pas maître de sa vie

b) un romantisme tourné en dérision ?

  • les rares informations physiques sont : “à longs cheveux” → à l’époque, les cheveux longs sont souvent une marque des jeunes romantiques, désireux de rompre avec les codes traditionnels de la société bourgeoise
  • la présence de l’album sous la main peut faire penser à des dessins réalisés par le jeune homme → joint aux cheveux longs, ce détail peut également faire penser à un jeune romantique, qui se rêve artiste
  • l’air contemplatif parachève ce tableau d’un jeune homme romantique, sauf que Flaubert choisit de mettre en valeur surtout l’inaction du personnage et le décalage entre les rêves poétiques, artistiques etc. (on voit, quelques paragraphes plus loin, qu’il déclame des vers mélancoliques, qu’il pense à des plans de drame et à des thèmes pour des tableaux) et le plan de sa mère pour l’héritage
  • l’expression “faire son droit” est mise en italique → une prise de distance du narrateur par rapport à cette information : veut-il nous dire qu’il s’agit d’une banalité ? d’une prétention ? d’un projet dont Frédéric ne veut pas mais le fait puisqu’un jeune de son âge est censé passer par là ?
  • grâce au point de vue interne, peu présent dans l’extrait, nous savons que Frédéric ne connait pas les grands monuments parisiens, y compris, Notre-Dame ; or, cette cathédrale est célébrée par les romantiques et les contemporains → montrer un futur artiste romantique qui ignore Notre-Dame est, de la part de Flaubert, un moyen de se moquer de lui
  • lorsqu’on sait que Flaubert lui-même a l’âge de Frédéric en 1840 et qu’il était lui-même romantique, il est difficile de ne pas voir dans cet incipit une sorte d’autodérision : un regard rétrospectif et quasi amusé de l’auteur sur lui-même

Conclusion

  • rappel de la question
  • un incipit traditionnel qui développe une esthétique réaliste mais qui contient également une dimension métaphorique importante
  • l’ironie de Flaubert est bien visible à travers cet incipit : le personnage fait l’objet d’un regard assez moqueur qui annonce l’échec de cette éducation sentimentale
  • ouverture : le Roman comique avec un incipit qui commence, au contraire, par un point de vue externe qui éloigne le lecteur des personnages

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