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Jacottet, l'effraie

Commentaire de texte : Jacottet, l'effraie. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  20 Juin 2017  •  Commentaire de texte  •  1 796 Mots (8 Pages)  •  3 251 Vues

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[Amorce] La poésie lyrique se nourrit de thèmes récurrents, notamment les rapports de l’homme avec l’écoulement du temps et les moyens d’y résister.

[Texte et thèmes] Jaccottet, après Baudelaire dans « Recueillement », rassemble dans son sonnet « Sois tranquille, cela viendra… » écrit en 1954, presque un siècle plus tard, les trois sujets favoris du lyrisme : mort, amour et poésie.

[Annonce des axes] Ainsi ce sonnet remplit la fonction traditionnelle de la poésie : faire partager ses sentiments, méditer sur la vie et la mort… Mais, au-delà, il propose une réflexion sur le rôle de l’écriture, de la poésie et, plus profondément, sur la réécriture.

I. Un sonnet dans la tradition du lyrisme poétique

1. Une énonciation de la confidence, mais ambiguë

• La méditation du poète prend la forme originale d’une adresse directe (présence dès le premier vers de l’interlocuteur sous la forme de la 2e personne du singulier « tu » et du mode impératif). Mais, étrangement, l’identité de l’interlocuteur reste mystérieuse : le poète, par dédoublement, s’adresse-t-il à lui-même (le « tu » est souvent un déguisement du « je » dans la poésie lyrique) ? à un autre – mais alors, à qui ? En tout cas, le « tu » est créateur d’intimité : il ouvre (v. 1) et ferme (v. 14) le poème, qui se referme sur lui-même pour former un espace littéraire clos.

• Cependant, certains indices personnels sont étranges : au lieu de la première personne du pluriel attendue, qui engloberait le poète et son interlocuteur (ou interlocutrice), Jaccottet emploie la 2e personne du pluriel (« vos [quatre bras] », « vous deux », v. 12), comme si, un instant, il voyait ces « deux » (le couple) du dehors, comme s’il n’en faisait pas partie.

• Pourtant, le poème évoque un espace restreint, intériorisé et une proximité propice à la confidence. Le lieu intime et sensuel est suggéré par les « quatre bras » noués, par la mention de « l’obscurité » (v. 11), par le champ lexical de la proximité (« approches » / « proche » à la rime mis en valeur par leur place) et par l’opposition avec le dehors, où l’on ne s’attarde pas (« de très loin », « venir de »). Finalement le danger (la mort) vient du dehors (strophe 4) pour entrer dans l’espace intime.

2. Un sonnet de l’apaisement, une parole sécurisante

• La confidence est rapide – l’espace d’un sonnet – et s’efforce d’apporter le calme, comme en témoigne le vocabulaire de l’apaisement : l’adjectif « tranquille » (v. 1 et 11) encadre le sonnet et, implicitement, renvoie à une angoisse préalable. Mais les antithèses entre l’angoisse et l’apaisement (« cris doux… / … serrer avec force ») et la répétition du mot « doux » semblent donner la « victoire » à l’apaisement. Le jeu sur les sonorités (strophe 1) contribue à cet effet : dures au début (« tranquille / viendra / Tu te rapproches / tu brûles / sera… »), elles sont progressivement mêlées à des sonorités qui les atténuent, notamment le m, plus feutrées, plus douces (« poème / premier / mort / chemin »).

• D’autres éléments viennent rassurer l’interlocuteur. Le statut de guide du poète se marque par l’impératif (v. 1, 5) qui implique le savoir, l’autorité sécurisante et par l’emploi du futur « cela viendra », signe de certitude. L’indétermination du démonstratif « cela » est aussi rassurante, car ne pas nommer le danger, c’est déjà l’atténuer. Enfin, l’humanisation de la mort la banalise, la fait participer à notre monde : elle « ne s’arrête pas en chemin », elle pourrait « s’endormir », « elle vient », « reprend souffle », elle marche, respire… Tout cela la rend plus proche du lecteur.

• Certaines allusions renvoient à l’enfance, monde protégé, où le jeu a sa place : « tu te rapproches, tu brûles », « brûlante », suggèrent les jeux enfantins. La répétition, comme un refrain, du verbe « venir » agit comme un bercement rassurant et crée l’accoutumance : il semble que la mort pourrait venir tenir compagnie, comme une mère. Enfin, la construction cyclique du poème (v. 1, 12 et 14 : « viendra/vient » ; v. 2-3 et 14 : effets d’échos « mot… / d’un à l’autre mot ») donne l’impression d’une boucle qui se referme : tout est déjà annoncé, donc pas de surprise (cf. Montaigne : il faut s’accoutumer à la mort pour l’accepter, la nommer, pour en faire une intime).

• Mais cette combinaison étrange de linéarité et d’idée de cycle nous dit que le temps avance.

3. Un poème d’amour : l’amour comme antidote à la mort ?

Contre cette marche inéluctable du temps, le poète oppose la peinture de l’amour.

• L’évocation de l’amour est empreinte de sensualité physique : la femme est peinte par touches (un peu comme dans un blason), par des éléments chargés d’érotisme : « la bouche » (v. 7) ; « les bras, les cheveux » (strophe 3). Le poète met le poème sous le signe du couple en créant des effets de reprise (« bouche / douce bouche / doux »), en construisant un système d’échos qui casse la solitude, en jouant sur le passage du « tu » au « vous » dans les tercets (« Vous deux », v. 12, désigne le poète et la femme aimée).

• L’amour est peint comme à la fois « doux » et fort à travers des images et des termes forts (« serres avec force », « brûlante », strophe 3) et l’antithèse « douce » / « cris » (v. 8). Il est aussi sous le signe de l’ambiguïté : « tu brûles ! » suggère le feu de l’amour (métaphore traditionnelle) et l’image de la vie qui se consume ; « tu serres le nœud » évoque la mort mais aussi l’enlacement amoureux ; les « cris » (v. 9-10) rappellent la souffrance ou le plaisir amoureux.

[Transition] Par une énonciation complexe, le poète s’adresse autant à lui qu’à son lecteur et à la femme aimée. Il inscrit aussi sa destinée dans une condition humaine commune, affrontée avec calme et lucidité.

II. Réécriture et tradition

1. Une réécriture du sonnet « Recueillement » de Baudelaire

• Jaccottet affiche sa dette envers Baudelaire, transparente

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