Ecriture d'invention, poésie, réponse à Aragon

Paris, dimanche 10 mai 1957

Monsieur,

En premier lieu, veuillez m'excuser de ma réponse tardive. Je ne voulais point vous donnez une réponse vague, sans de fond ni de forme. Je dois vous avouez avoir réfléchi longuement à vos questions. Quel besoin si pressant ai-je de rimer ? Qui diantre me pousse à me faire imprimer ? Je vais tâcher de répondre le plus justement possible...

Vous même, mon cher, journaliste et critique littéraire, devez connaître la force et la beauté des mots. Mais un discours, un roman, un article etc., tous ces écrits rédigés en prose, n'égaliseront jamais la poésie. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Pourquoi chercher de multiples métaphores, de rimes improbables, afin d'écrire nos pensées pourtant semblables aux vôtres ? Pour moi, la réponse est simple, claire dans mon esprit. La transmettre est cependant plus difficile.

Je pense que la plus insignifiante des réflexion peut avoir un grand impact sur un individu, si les mots choisis le touche au plus profond de lui. La poésie est un art littéraire, jouant sur les sons les rythmes et les images. La poésie est l'art de savoir choisir les mots, l'art de savoir comment les assembler afin de porter un message. Le poète est un artiste, car il sait comprendre ses compères. C'est un artiste, car il prend la liberté d'exprimer tout haut ce que les gens pensent tout bas. Je pourrais donc me contenter de parler joliment en prose. Certains poètes le font. Pourquoi pas moi. Je rajouterai, dans ma définition de la poésie, le fait de rimer. Les rimes définissent un poème. Je n'aurai plus cette passion, si je ne devais pas jouer avec les mots afin de faire rimer mes vers. Le plus grand travail du poète se fait avec elles. Ce sont elles qui le poussent à écrire, pour le défi de composer une œuvre juste, profonde, rimant joliment. J'ai beaucoup d'estime pour ceux qui se sont essayés à la prose. Beaudelaire et Rimbaud, les seuls qui ont réussi à me convaincre. Nuit en enfer, une œuvre qui mérite le nom de poème. Je pourrai citer également Ponge pour sa jolie prose poétique. Pour ma part, ce que j'écris en prose, se nomme : roman. Quel besoin si pressant ai-je de rimer ? J'ai le besoin de m'exprimer, et je ne saurai le faire par le biais de la prose, comme je le fais avec mes vers et mes rimes. Les rimes donnent une force unique à chaque vers, elles les aboutissent, les enjolivent. La beauté du poème est basé sur celles-ci et la beauté du poème sert à toucher les lecteurs. Voilà pourquoi j'ai le besoin si pressant de rimer. Je veux m'exprimer, toucher le lecteur, par le biais de mes vers.

Venons-en à la deuxième question. Qui diantre me pousse à me faire imprimer. Qui ? Je vous avoue avoir beaucoup songé à la formulation de votre question. Puis, je me souvins : ces deux questions sont tirés du Misanthrope, l’œuvre de Molière. Il est vrai que sous la monarchie, des commandes étaient passées par la noblesse. Ainsi, Ronsard publia deux recueil Les Amours et les Sonnets pour Hélène. Pour ma part, je vis au vingtième siècle. Nul ne me dicte ce que je dois écrire. Nul ne me dicte si je dois me faire publier ou non. Ces décisions m'appartiennent. Qui me poussent à me faire imprimer ?

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