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La légende de Jacques Vaché

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Par   •  7 Avril 2013  •  Commentaire de texte  •  2 941 Mots (12 Pages)  •  680 Vues

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lexicales (« merdre », « oneilles »).

Désinvolte, ne s’embarrassant pas d’arguments ni de cohérence interne, telle est la voix de Vaché, annonçant celle des Dadas, jusque dans la lettre : comme la leur, sa syntaxe est disloquée, notamment par le recours inhabituel au tiret qui marque une suspension arbitraire du souffle ou de la pensée. Malgré la faiblesse argumentative et le caractère très allusif, crypté, de ces formules, le reproche principal que Vaché, comme Tzara, adresse aux artistes, est de se prendre trop au sérieux, de se prendre au jeu social, au lieu de soumettre toutes choses au crible de « l’umour » ; ainsi, « Max Jacob- très rarement- pourrait être umoreu – mais, voilà, n’est-ce pas, il a fini par se prendre au sérieux lui-même » (LG 69).

Pour expéditives qu’elles soient, les vues de Vaché entrent en résonance avec les préoccupations du jeune André Breton et le séduisent par leur radicalité, par leur excès même. Quand Vaché dit apprécier Lafcadio, le personnage de Gide, parce qu’il « ne lit pas », Breton répond, comme en écho « je n’ai pas grande estime pour l’érudition ni même, à quelque raillerie que cet aveu m’expose, pour la culture » (CD p 194).

La dérision violente, la volonté d’ « abaisser les hauteurs imaginaires » de l’art, selon la formule de Tristan Tzara[25], font de Vaché « un Dada à distance ». Du moins est-ce l’idée que développe André Breton, véritable mythographe de Jacques Vaché.

Vaché mythifié/mystifié

La légende de Jacques Vaché

À de nombreuses reprises, Breton rapproche son ami de ses personnages littéraires de prédilection. Il le compare ainsi au Monsieur Teste de Valéry, de façon implicite, comme dans ce petit portrait anecdotique : « Il arrivait qu’en vous croisant il ne semblât pas vous reconnaître et qu’il continuât son chemin sans se retourner. Vaché ne tendait la main pour dire ni bonjour ni au revoir. » (PP p. 200) qui évoque immanquablement le personnage de Teste, dont on sait qu’il hante à cette époque l’imaginaire de Breton. Jugeons-en par ce passage de la nouvelle de Valéry : « Quand il parlait, il ne levait jamais un bras ni un doigt : il avait tué la marionnette. Il ne souriait pas, ne disait ni bonjour ni bonsoir ; ne semblait pas entendre le « Comment allez-vous ? »[26]

Le rapprochement entre les deux est parfois explicite, comme ici : « [Vaché] eût très bien pu se donner pour le petit-fils de M.Teste s’il n’avait eu une vue aussi désinvolte de la famille que du reste. » (E n°2, p. 440)

Plus que tout autre, Vaché, malgré son double mépris de la « famille » et de la « culture », s’inscrit dans une lignée de figures littéraires, et non d’écrivains, ce qui montre bien la spécificité de son cas. Il y côtoie le Des Esseintes de Huysmans, le Lafcadio de Gide et le Teste de Valéry.

Quoique très différents les uns des autres, ces personnages possèdent tous trois des traits du dandy, figure cruciale pour Breton, puisqu’elle résulte d’une confusion des signes (de la vie et de l’art) poussée à l’extrême. C’est sans doute aussi parce qu’Alcibiade est l’un des « types éclatants » du dandysme (selon Baudelaire[27]) que Breton affirme sans détour : « Vaché, c’était pour sûr Alcibiade ».[28] En faisant de son style de vie, de son vêtement, de ses émotions mêmes, une œuvre d’art, en se créant un personnage avec autant d’ingéniosité qu’un romancier, le dandy, vu par les Surréalistes, porte sérieusement atteinte à cette frontière entre l’imaginaire et le réel qu’ils rêvent d’abolir. Mais, s’il fait du dandy un élément à charge supplémentaire dans le procès instruit contre le principe de réalité, Breton abandonne en revanche d’autres traits discriminants de cette figure. Ainsi, sur le plan idéologique, la fin d’un âge esthétique, loin d’être dénoncée comme une décadence artistique, devient chez lui la chance d’un essor radicalement renouvelé. C’est sans doute la raison pour laquelle il ne valorise guère la mélancolie[29], qui est pourtant l’une des tentations majeures du dandy[30], mais lui préfère la provocation, le défi lancé à la face du monde, « le plaisir aristocratique de déplaire »[31], qui en est une autre.

Au dandy passif, maladif et passéiste d’À Rebours, Breton préfère les dandies « actifs », à l’instar de Jacques Vaché, véritable « Des Esseintes de l’action » (E n°2, p. 439), qui, riches d’une « intelligence subtile de tout le mécanisme moral de ce monde »[32], rejettent les modèles que la société leur propose pour définir un « héroïsme de la vie moderne »[33], dans lequel l’humour noir tient une place prépondérante. C’est pourquoi, en ajoutant à l’impassibilité de Teste le goût de la « plaisanterie funèbre », Lafcadio deviendra pour Breton, l’aboutissement logique, actif, moderne, de la conception du dandysme, tel que Vaché aussi se le figurera.

Pourtant intraitable dans son exigence anti-artistique, Vaché aussi a un faible pour ce personnage, auquel il emprunte la distinction entre les « subtils », dont le nombre est « décidément très infime » et les « tapirs », encore appelés les « crustacés », qu’il s’agit de laisser « dans une demi-ignorance étonnée jusqu’à quelque manifestation satisfaisante et peut-être scandaleuse » (LG 79). Dans ce style suggestif et bizarrement elliptique qui est le sien, il salue l’avènement d’un dandy moderne, meurtrier potentiel, mais qui aurait remplacé l’hystérie baudelairienne par un ton «humoreux », « sec un peu », comme celui de Teste, son grand-père spirituel dans la généalogie fantasmatique que lui imagine Breton.

Plus troublant encore, Breton met sur le même plan « le Coup de dés, l’Ève future, les Spéculations, la vie de Jacques Vaché »[34]. Cette vie faite texteillustre à merveille ce que Breton appelle « cette poésie au besoin sans poèmes » (CD, p. 198) qu’il appelle de ses vœux. Dans cette perspective, la vie peut être analysée avec les mêmes outils intellectuels que la lecture, ce qui peut avoir des conséquences assez inquiétantes.

Breton hanté par Vaché

Une affirmation saisissante de Breton définit son rapport avec le jeune homme : « Vaché est surréaliste en moi »[35]. Le plus simplement, elle peut signifier : « en mon souvenir, dans la mémoire que j’en garde ». Sous l’angle théorique, elle pourrait être paraphrasée comme suit :

« par la façon dont il abordait la vie, par l’humour noir et la posture existentielle

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