Étude de la Cabale Contre Phèdre de Jean Racine

LA CABALE CONTRE "PHEDRE"

Donnée le 1er janvier 1677, la "Phèdre" de Jean Racine va être victime d'une cabale retentissante, qui divisera le public et affectera profondément le dramaturge, au succès jusque là incontesté.

Depuis dix ans, les tragédies de Jean Racine triomphent à la ville comme à la Cour. Le dramaturge est devenu l'ami des Grands, mais son ambition forcenée et ses flatteries vis à vis du pouvoir ne vont pas sans susciter de controverses. Début octobre 1676, la nouvelle se répand, sous la plume du critique et philosophe Pierre Bayle, que "Racine travaille à la tragédie Hyppolite, dont on attend un grand succès". L'auteur tragique Jacques Pradon, dont Pyrame et Thisbé a été un grand succès en 1674 et Tamerlan un échec retentissant l'année suivante, se lance un défi : écrire en trois mois une tragédie sur le même sujet, "témérité inouïe", reconnaît-il dans sa préface.

Certains Grands, que Racine agace, appuient son entreprise : ainsi du duc Philippe de Nevers, poète à ses heures, et de sa soeur, la duchesse Marie Anne de Bouillon, qui tient un salon littéraire et mondain très couru dont les habitués, tels la poétesse Antoinette Deshoulières et ses amis, attiseront la polémique.

Cette hostilité se traduit par une cabale savamment orchestrée depuis l'hôtel de Bouillon. Racine ne manque pas d'ennemis, et nombreux sont ceux qui envisagent sans déplaisir que l'on remette un peu en place ce courtisan sans vergogne. Le public se passionne pour ce duel, et l'audace de Pradon suscite une certaine sympathie. D'autant que Racine et son ami Nicolas Boileau sont accusés par leurs adversaires des manoeuvres les plus déloyales. Prédon prétend qu'ils ne reculent devant rien pour essayer "d'étouffer" sa pièce. Selon les "ligueurs", ils tentent d'obtenir que les pouvoirs publics fassent pression sur le théâtre Guénégaud, où doit se tenir la Phèdre de Pradon, pour que la création soit retardée de deux ou trois mois et n'ait lieu qu'après une série de représentations de celle de Racine : la concurrence serait ainsi évitée et l'oeuvre de Pradon jouée à un moment défavorable, en fin de saison.

"Lorsqu'ils virent que par la bonté et la justice du roi, Sa Majesté avait permis qu'on jouât la mienne dans le même temps que celle de monsieur R..., ces messieurs, dis-je, voyant qu'ils ne pouvaient plus apporter d'obstacles à ma Phèdre du côté de la Cour par des bassesses honteuses (...) empêchèrent les meilleures actrices d'y jouer", accuse encore Pradon. Certes les deux actrices qu'il sollicite pour le rôle titre répondent successivement par la négative, mais La Gazette d'Amsterdam s'interroge sur ces dérobades, ne sachant si elles adviennent "par intrigue ou par caprice".

La Phèdre de Racine est créée le 1er janvier 1677, celle de Pradon le 3. Compte tenu des rebondissements précédents, le public se précipite. Les deux représentations se traduisent par un double succès, ce qui n'est pas à l'avantage de l'auteur unanimement reconnu qu'est Racine.

Mais l'affrontement est inégal, et le talent finit par l'emporter. Bien que la première de Pradon attire un peu

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