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Étude de l'article Autorité Politique de Denis Diderot

Mémoire : Étude de l'article Autorité Politique de Denis Diderot. Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  11 Mai 2013  •  3 179 Mots (13 Pages)  •  1 482 Vues

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AUTORITÉ POLITIQUE. Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. Si la nature a établi quelque autorité, c’est la puissance paternelle : mais la puissan¬ce paternelle a ses bornes, et dans l’état de nature elle finirait aussitôt que les enfants seraient en état de se conduire. Toute autre autorité vient d’une autre origine que de la nature. Qu’on examine bien, et on la fera toujours remonter à l’une de ces deux sources : ou la force et la violence de celui qui s’en est em-paré, ou le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou supposé entre eux et celui à qui ils ont déféré l’autorité.

La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation, et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi qui a fait l’autorité, la défait alors : c’est la loi du plus fort.

Quelquefois l’autorité qui s’établit par la violence change de nature c’est lorsqu’elle continue et se maintient du consentement exprès de ceux qu’on a soumis ; mais elle rentre par là dans la seconde espèce dont je vais parler ; et celui qui se l’était arrogée, devenant alors prince, cesse d’être tyran.

La puissance qui vient du consentement des peuples suppose nécessaire-ment des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avanta-geux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites : car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, dont le pouvoir est toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits, et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société, que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux : mais il veut que ce soit par raison et avec mesu¬re, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du Créateur. Toute autre soumission est le véritable crime d’idolâ¬trie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n’est qu’une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le cœur et l’esprit ne se soucie guère, et qu’il abandonne à l’institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d’un culte civil et politique, ou d’un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l’esprit de leur établissement qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un Anglais n’a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémo¬nial ne signifie que ce qu’on a voulu qu’il signifiât ; mais livrer son cœur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au caprice d’une pure créature, en faire l’unique et le der-nier motif de ses actions, c’est assurément un crime de lèse-majesté divine au premier chef : autrement ce pouvoir de Dieu, dont on parle tant, ne serait qu’un vain bruit dont la politique humaine userait à sa fantaisie, et dont l’esprit d’irréligion pourrait se jouer à son tour ; de sorte que toutes les idées de puissance et de subordination venant à se confondre, le prince se jouerait de Dieu, et le sujet du prince.

La vraie et légitime puissance a donc nécessairement des bornes. Aussi l’Écriture nous dit-elle : « Que votre soumission soit raisonnable », sit rationabile obsequium vestrum. « Toute puissance qui vient de Dieu est une puissance réglée », omnis potestas a Deo ordinata est. Car c’est ainsi qu’il faut entendre ces paroles, conformément à la droite raison et au sens littéral, et non conformément à l’interprétation de la bassesse et de la flatterie, qui prétendent que toute puissance, quelle qu’elle soit, vient de Dieu. Quoi donc, n’y a-t-il point de puissances injustes ? n’y a-t-il pas des autorités qui, loin de venir de Dieu, s’établissent contre ses ordres et contre sa volonté ? les usurpa¬teurs ont-ils Dieu pour eux ? faut-il obéir en tout aux persécuteurs de la vraie religion ? et pour fermer la bouche à l’imbécillité, la puissance de l’Antéchrist sera-t-elle légitime ? Ce sera pourtant une grande puissance. Énoch et Élie qui lui résisteront, seront-ils des rebelles et des séditieux qui auront oublié que toute puissance vient de Dieu, ou des hommes raisonnables, fermes et pieux, qui sauront que toute puissance cesse de l’être dès qu’elle sort des bornes que la raison lui a prescrites, et qu’elle s’écarte des règles que le souverain des princes et des sujets a établies ; des hommes enfin qui penseront; comme saint Paul, que toute puissance n’est de Dieu qu’autant qu’elle est juste et réglée ?

Le prince tient de ses sujets mêmes l’autorité qu’il a sur eux ; et cette autorité est bornée par les lois de la nature et de l’État. Les lois de la nature et de l’État sont les conditions sous lesquelles ils se sont soumis, ou sont censés s’être soumis à son gouvernement. L’une de ces conditions est que n’ayant de pouvoir et d’autorité sur eux que par leur choix et de leur consentement, il ne peut jamais employer cette autorité pour casser l’acte ou le contrat par lequel elle lui a été déférée : il agirait dès lors contre lui-même, puisque son autorité ne peut subsister que par le titre qui l’a établie. Qui annule l’un détruit l’autre. Le prince ne peut donc pas disposer de son pouvoir et de ses sujets sans le consentement de la nation, et indépendamment du choix marqué dans le con-trat de soumission. S’il en usait autrement, tout serait nul, et les lois le relève-raient des promesses et des serments qu’il aurait pu faire, comme un mineur qui aurait agi sans connaissance de cause, puisqu’il aurait prétendu disposer de ce qu’il n’avait qu’en dépôt et avec clause de substitution, de la même manière que s’il l’avait eu en toute propriété et sans aucune condition.

D’ailleurs le gouvernement, quoique héréditaire dans une famille, et mis entre les mains d’un seul, n’est pas un bien particulier, mais un bien public, qui par conséquent ne peut jamais être enlevé au peuple, à qui seul il appar¬tient essentiellement et en pleine propriété. Aussi est-ce toujours lui qui en fait le bail : il intervient toujours

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