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Œuvre de Georges Perec

Commentaire de texte : Œuvre de Georges Perec. Recherche parmi 297 000+ dissertations

Par   •  20 Octobre 2012  •  Commentaire de texte  •  6 294 Mots (26 Pages)  •  975 Vues

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Dans l’œuvre de Georges Perec, le substantif « ironie » et l’adjectif « ironique » n’occupent guère de place : respectivement 6 et 5 occurrences1. En revanche, la notion d’ironie est très présente dans l’épitexte auctorial, tel qu’il a été établi par Mireille Ribière et Dominique Bertelli dans leur édition des Entretiens et conférences2 et cette présence s’affirme d’emblée, dès la publication des Choses, comme un élément central de l’esthétique perecquienne.

1. Ironie esthétique

À Patricia Prunier qui lui demande : « Est-ce que l’ironie que vous avez utilisée dans Les Choses est importante ? », Perec répond : « Elle est tout à fait essentielle3. » Il reviendra sur ce point, en le précisant, lors d’une conférence prononcée le 5 mai 1967 à l’université de Warwick : « Brecht m’a appris une chose très importante qui est la notion de distanciation […]. Cette notion de distanciation, je l’ai trouvée reprise par Lukács […]. J’ai découvert à travers Lukács la notion absolument indispensable d’ironie, c’est-à-dire le fait qu’un personnage peut faire une action ou éprouver un sentiment dans un livre alors que l’auteur n’est pas du tout d’accord avec ce personnage et montre comment ce personnage est en train de se tromper.4 » Quelques années plus tard, il transposera ce même principe au cinéma, lorsqu’il s’agira de choisir le narrateur qui s’exprime en voix off dans le film qu’avec Bernard Queysanne il tire de son roman Un homme qui dort : « La difficulté, c’était de savoir quel type de voix choisir. Finalement, on a demandé à la voix de Ludmila Mikaël d’avoir comme première qualité, disons la douceur. Mais l’exigence principale était la neutralité. Sa voix ne devait jamais donner l’impression de jouer, d’être émue par ce qu’elle disait. Elle devait être toujours un peu loin, parfois avec sécheresse, parfois même avec un peu d’ironie. Dans le livre, on trouve plein de notations ironiques5. » Enfin, au moment de La Vie mode d’emploi, retraçant l’évolution de son écriture, il insistera à nouveau sur l’importance de son premier roman dans la découverte de ce que j’appellerai cette ironie esthétique dont il donne cette définition : « Je pense que c’est là [= dans Les Choses] que j’ai découvert enfin, dans ma pratique, ce que je cherchais en lisant Stendhal par exemple, qui était le sens de l’ironie.

L’ironie, c’était une manière de regarder un petit peu en biais, qui faisait apparaître les choses6. »

Pour Perec, ce regard « en biais7 » constitue le fondement même de toute perception, de toute lecture, qu’il s’agisse du monde extérieur (« Un certain art de la lecture — et pas seulement de la lecture d’un texte, mais de ce que l’on appelle la lecture d’un tableau, ou la lecture d’une ville — pourrait consister à lire de côté, à porter sur le texte un regard oblique8. ») ou de lui-même (« Si je me regarde, il faut aussi que par rapport à moi je fasse un pas de côté de la même manière que lorsque je regarde un objet ou un événement9 »).

2. Ironie rhétorique

Avant d’être une « manière de regarder », une attitude globale, une disposition d’esprit, l’ironie est d’abord et très précisément une figure de rhétorique par laquelle on dit le contraire de ce qu'on veut faire comprendre. Ce recours à l’antiphrase est particulièrement frappant dans le « métatextuel perecquien », cas particulier du « métatextuel », défini « comme l’ensemble des dispositifs par lesquels un texte désigne, soit par dénotation, soit par connotation, les mécanismes qui le produisent10 ». Le plus souvent, le métatextuel perecquien fonctionne par métaphore, donc sur la base de la similitude, comme dans la description bien connue d’une course de chevaux à Longchamp : « Il y avait vingt-six inscrits, donc vingt-cinq partants, Whisky Dix, qui avait un « Cinq » sur son dossard, ayant fait forfait11 » qui évoque la règle lipogrammatique par laquelle l’alphabet de vingt-six lettres se trouve réduit à vingt-cinq, par la suppression du E, lettre qui y occupe le cinquième rang. Mais il arrive aussi que la métaphore soit remplacée par l’antiphrase, produisant alors une « ironie métatextuelle ». J’en propose deux exemples. Le premier, dénotatif, est emprunté à Espèces d’espaces12:

Image1

Comme on le voit, la ligne déposée sur la feuille blanche est tout sauf « strictement horizontale » !

Le second exemple, connotatif, est emprunté à un texte peu connu de Georges Perec, intitulé « Fragments de déserts et de culture13 ». Inspiré des Dépots de savoir & de technique de Denis Roche14, à qui il est dédié, Georges Perec en reprend la contrainte : « La méthode mise au point était simple : répéter à l’infini, en étant libre de m’arrêter à n’importe quel moment, une même longueur de texte — non pas un même texte, mais un même nombre de signes, une même longueur d’écriture déjà faite. […] Ainsi je découpais des lignes qui étaient strictement de même longueur, mais chaque fois prises dans des écrits différents, variés, littéraires ou non15. » Pour son texte, Perec découpe ses fragments dans « des écrits différents, variés, littéraires ou non », mais ayant un thème commun : le désert, puisque tel est le sujet du numéro de la revue auquel il collabore. A l’exception des deux premières et des deux dernières lignes du texte, aucune des lignes contiguës n’offre la moindre continuité, chacune s’interrompant dès que la longueur arbitrairement fixée est atteinte. Voici les cinq dernières lignes de ce texte :

les gisements de fer, de gaz naturel et de pétrole. Un vaste

le soufisme a laissé des traces ici, tant dans les esprits qu

sse de l’air est responsable des forts contrastes de températ

bout et pas de détail : c’est uniforme, sans accidents, sans f

aille, comme le blanc de la page avant qu’on ne commence à éc

Il est évident que si la séquence « sans accidents, sans faille » s’applique parfaitement à l’uniformité d’une surface désertique, elle constitue en revanche, mais cette fois par antiphrase, une non moins parfaite ironie métatextuelle pour désigner un texte fait de fragments disjoints et inachevés multipliant précisément failles et cassures16.

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