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Selon Vous, Peut-on Dire Que C'est L'acteur Qui Crée Le Personnage ?

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Par   •  10 Janvier 2014  •  2 803 Mots (12 Pages)  •  1 021 Vues

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Introduction

Par le passé, bien des pièces ont été écrites spécialement pour leur interprète principal. Benoît Constant Coquelin, dit Coquelin aîné, est réputé pour son interprétation de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, pièce écrite à sa demande expresse. La grande Mademoiselle Rachel s’est distinguée par ses rôles raciniens, mais aussi par ses apparitions dans des œuvres modernes comme Adrienne Lecouvreur, d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé en 1849. Là encore, cette pièce qui met en scène une autre fameuse tragédienne a été conçue pour elle.

Il est donc légitime de se demander si l’expression « créer le personnage », lorsqu’un acteur interprète un rôle pour la première fois, doit être prise au pied de la lettre.

En quoi l’acteur apporte-t-il une participation essentielle à l’existence du personnage qu’il joue ? Cette manière paradoxale d’envisager les relations entre le concept et sa réalisation ne risque-t-elle pas de reléguer à l’arrière-plan d’autres contributeurs au moins aussi importants que le comédien ? Qui sont donc finalement les ascendants du personnage théâtral ?

S’il est vrai que les premiers créateurs du personnage de théâtre sont l’auteur et, dans une moindre mesure, le metteur en scène, il est non moins évident que l’acteur qui incarne ce rôle lui donne toute son épaisseur. Pourtant c’est bien dans sa réception par le public que le personnage accède à la notoriété du type littéraire.

I. Les premiers parents du personnage de théâtre sont l’auteur et, dans une moindre mesure, le metteur en scène

Il faudrait d’abord définir le terme de création. Créer, c’est tirer quelque chose du néant à la manière de Dieu. En ce sens le personnage de théâtre n’est pas à proprement parler l’objet d’une création. Il vaudrait mieux envisager cette opération comme pour la conception humaine où des parents tirent de leur substance un être issu d’eux-mêmes mais à la personnalité propre. Le personnage de théâtre serait donc engendré comme tout être. Mais conçu dans l’ordre de la fiction, il serait seulement inventé, imaginé bien qu’avec sa propre autonomie. Expliquer l’expression « créer un personnage de théâtre » reviendrait donc à rechercher ses origines, et d’abord ses ascendants multiples.

L’auteur dramatique est le père naturel du personnage théâtral. C’est l’auteur qui, en premier lieu, lui donne une identité. Comme tout père, l’auteur donne un nom à son enfant. Personnage de fiction, le rôle sur scène reçoit souvent un nom symbolique. La commedia dell’arte nous a légué ses Arlequin, Colombine, Pantalon. Molière a souvent choisi Sganarelle pour dénommer ses valets. Le nom du personnage a d’ailleurs le plus souvent un caractère programmatique. Cygne de Coûfontaine dans L’Otage de Claudel annonce une aristocratie de l’honneur qui va jeter son dernier chant, tandis que l’Ysé du Partage de midi laisse présager une servante de l’amour passionné comme son aïeule Yseut. Les noms proviennent de l’histoire ou de la mythologie : Bajazet ou Phèdre, Kean ou Amphitryon… Certains pourront objecter que les acteurs jouent parfois leur propre rôle et qu’ils portent leur nom de ville. Ainsi dans L’Impromptu de Versailles, rencontrons-nous la du Parc, Mademoiselle Béjart, La Grange… Molière ne serait donc pas le père de ces enfants de la balle. Nous pourrions répondre qu’il n’est pas sûr que le rôle soit un portrait fidèle et complet de l’être historique. De plus quand il est joué aujourd’hui ce n’est pas par celui qui a porté cette identité à l’état-civil. Kean de Dumas et Sartre est une recomposition, une recréation de l’acteur qui a porté ce nom. L’appellation renvoie toujours à une fiction, à une illusion de réalité. Comme Minerve était sortie tout armée de la tête de Jupiter, le personnage de théâtre est enfanté par la pensée de l’auteur dramatique.

En effet l’auteur lui prête sa culture, son expérience, ses préoccupations, son habileté dramatique, une manière de s’exprimer bien particulière dont la filiation remonte au style propre de son créateur. Par exemple, il est quasiment impossible que Kean ait pu porter une telle appréciation sur son jeu : « un acteur en train de jouer Kean dans le rôle d’Othello ». Il faut que Sartre lui ait prêté cette analyse réflexive tirée de la psychologie du XXe siècle. De même, Molière confie ses préoccupations de metteur en scène à son propre personnage dans L’Impromptu de Versailles tandis que Rotrou utilise à bon escient sa science de la scène pour rendre crédible cette aventure du Véritable Saint Genest converti par le personnage qu’il interprète en digne émule du Polyeucte de Corneille. Enfin toutes les créations d’un même auteur ont en commun, au-delà des différences de milieu, d’âge, de caractère consécutives à leur utilité dramatique, une certaine manière de s’exprimer qu’elles ont héritée de leur père. Les héros raciniens brûlent ; les personnages de Marivaux s’expriment avec subtilité et légèreté, jouent sur le double sens des mots, déguisent leurs propos ; les rôles hugoliens déclament en antithèses.

À la suite de l’auteur dramatique, le metteur en scène, qui analyse et interprète le texte de ce dernier, façonne à son tour le personnage. En poursuivant notre métaphore de la parenté, nous pourrions affirmer qu’à la filiation naturelle entre le personnage et l’auteur dramatique le metteur en scène superpose une adoption.

Molière, qui remplit les deux fonctions, recommande dans L’Impromptu de Versailles la fidélité au texte originel, d’avoir « toujours [le] caractère devant les yeux, pour en bien faire les grimaces ».

Jacques Copeau, qui a exercé le métier d’acteur, de metteur en scène et de directeur de théâtre pendant la première moitié du XXe siècle, réaffirme lui aussi la fidélité au texte créateur et la place centrale de l’acteur. C’est pourquoi il a été partisan de mises en scène dépouillées, ce qu’il a dénommé le « tréteau nu » dans son Essai de rénovation dramatique de 1913.

Artaud, marqué par le théâtre balinais, rêve d’un théâtre corporel propre à évoquer ses aspirations métaphysiques. Dans Le Théâtre et son double de 1938, il se révolte contre la prédominance du texte et de la parole qu’il véhicule, « les mots arrêtent et paralysent la pensée ». C’est pourquoi il préfère un mélange de gestes et de cris, le recours à la musique, la danse, la pantomime. Le spectateur, renvoyé à un moi primordial, antérieur à toute civilisation, est convié

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