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Roméo et Juliette de Shakespeare: un Amour Impossible

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Par   •  6 Avril 2013  •  2 112 Mots (9 Pages)  •  2 401 Vues

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Peu de pièces sont aussi étrangement familières ; aucune, peut-être, n’est aussi méconnue. A force d’en avoir entendu le titre, on croirait presque s’en souvenir... Mais que se rappelle-t-on au juste de Roméo et Juliette ? On sait, bien sûr, que c’est une grande histoire d’amour, et que ce couple-là est l’un des plus absolus, les plus exemplaires de la littérature. Mais à quoi tient que leur tragédie soit à ce point mémorable ? Roméo et Juliette est un mythe. Pourquoi ? La réponse d’Olivier Py tient en un mot : leur amour est impossible, donc il a lieu. «Donc», et non pas «pourtant». C’est en cela qu’il est absolu – et qu’il a partie liée avec la mort, car le monde même ne parvient pas à le contenir. Soyons précis : il est parce qu’il est impossible, et non par simple esprit de contradiction ou de révolte juvénile ; il est, et par là même, il déborde tout...

Beaucoup de lecteurs sont surpris de découvrir, ou de redécouvrir (tant cette pièce diffère des souvenirs qu’on en conserve !) que Roméo en aime une autre avant de voir Juliette – une certaine Rosaline, qui appartient d’ailleurs au clan Capulet. Détail sans doute significatif : on l’a souvent interprété comme l’indice, chez Roméo, d’une certaine propension à chercher les ennuis, ou au moins la difficulté, en matière amoureuse : sinon, comment comprendre ce goût pour les demoiselles du camp adverse ? Le fait est que Roméo, en ce début de pièce, paraît bien rêveur et mélancolique : comme l’a dit Olivier Py, d'accord en cela avec Yves Bonnefoy, il y a déjà du Hamlet dans ce jeune homme-là. Aurait-il des tendances vaguement suicidaires ? A-t-il lu trop de livres et cherche-t-il à se donner un genre intéressant ? Ou serait-ce qu’à son insu, il a choisi de s’éprendre d’une beauté que son appartenance même aux Capulet tient fort commodément hors de sa portée ? Quelle que soit l’explication (que Roméo soit sincèrement épris ou victime d’une illusion, d’un jeu plus ou moins conscient ou complaisant avec ses propres émotions), reste le fait que Shakespeare choisit de nous présenter son amour pour Juliette non pas comme surgissant d’un pur néant sentimental, mais sur fond d’un passé qui permettra de faire ressortir par contraste ce que la passion nouvelle a d’absolument extraordinaire. Et quand bien même le doux prélude que Roméo dédie à Rosaline, par ses tonalités mélancoliques, préfigurerait à certains égards son suicide à venir, ce n’est pas à une telle continuité « psychologique » dans le destin du héros que les lecteurs et les spectateurs sont d’abord sensibles, mais bien à l’éclatante rupture qui l’arrache sans retour à sa vie antérieure. Alors que Rosaline n’avait jamais suscité de la part du héros que rêveries et soupirs, Juliette, en quelques heures, va le conduire irrépressiblement à tout risquer : à se découvrir, se déclarer, s’engager – et à se tuer. Génie de Shakespeare : c’est justement le précédent qui permet de comprendre que cet amour est sans précédent. Essayez a contrario d’imaginer un Roméo jusque-là indifférent, supposez que le bouleversement causé par Juliette ne se détache sur rien : Shakespeare nous aurait peint là un premier amour, touchant, sans doute, et qu'il aurait sans doute su prémunir malgré cela d'une jeunesse et d’une naïveté excessives – mais en tout cas, un amour premier sans plus. Et jamais nous n’aurions été à ce point certains, comme Roméo lui-même, qu’avec Juliette il s’agit désormais de tout autre chose – qu’il est entré dans l’incomparable.

Et Juliette ? Dans son cas, ne s’agit-il donc pas d’un premier amour ? Sans doute. Mais la différence de traitement s’explique suffisamment par celle des rôles sexuels, ainsi que par des considérations dramatiques. A l’époque de Shakespeare (et à cet égard, pour tant de femmes de par le monde, la nôtre est-elle vraiment si différente ?), un jeune homme de l’âge de Roméo est libre d’errer par les rues avec ses camarades ; une jeune femme, en revanche, reste sagement chez elle, ou ne sort que flanquée d’un chaperon. Toutes les scènes de Juliette sont des scènes d’intérieur. De tous les espaces qu’elle parcourt entre le foyer initial et le caveau final – deux espaces familiaux, ce qui n’est évidemment pas dû au hasard –, le fameux balcon d’où elle lance son aveu au ciel et à la nuit (acte II, sc. 1) est ce qui s’apparente le plus à un extérieur. Roméo, au contraire, ne cesse d’arpenter Vérone. Il jouit d’une liberté d’initiative et de mouvement qui sont interdits à sa bien-aimée. L’expression d’une passion, fût-elle fictive, lui est autorisée ; Juliette, elle, doit se soumettre aux volontés paternelles (et dans cette même scène du balcon, c’est uniquement parce qu’elle se croit seule qu’elle se permet de s’adresser à son bien-aimé). Dans le monde fictionnel tel qu’il s’écrivait du temps de Shakespeare, l’homme et la femme (en tant que rôles sociaux et sexuels) ne pouvaient accéder à l’amour par les mêmes voies. Mais Shakespeare a tiré de cette différence imposée un parti dramatique admirable : elle n’en rend que plus sensible l’égalité des amants dans leur monde propre. Tous deux renoncent avec une même résolution à la loi qui présidait jusqu’alors à leur existence – Juliette aux décrets de son père, Roméo à la passion qu’il croyait absolue, et qu’il abjure en termes inoubliables, prêt à réinventer le passé même au nom de son éblouissement : « Mon cour jusqu’à présent a-t-il aimé ? Jurez que non, mes yeux, / Car jamais avant cette nuit je n’avais vu la vraie beauté » (I, 5, 49-50, trad. Jouve et Pitoëff). La rupture, pour l’homme comme pour la femme, est aussi entière. Roméo, voué au dehors, peut être condamné à l’exil, tandis que Juliette, vouée au dehors, consent à se laisser emmurer vive ; mais l’un et l’autre, et l’un pour l’autre, sont désormais prêts à tout – également.

Dans l'amour et par lui, les amants vont se donner l'un à l'autre, dit Roméo auprès du balcon, comme un nouveau baptême – comme si le monde pouvait accepter d'oublier comme eux tout le passé, et jusqu'à leurs propres noms – et donc, comme si pour eux seuls était revenu le temps d'avant la Chute. Or cela, c'est l'impossibilité même. Et c'est pourtant, le temps d'un éclair, l'expérience que partagent les amants. En ouvrant une telle brèche dans la condition humaine, ils ne peuvent que basculer hors

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