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Roman De Tristan Et Iseut

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Par   •  21 Janvier 2014  •  10 765 Mots (44 Pages)  •  1 189 Vues

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PRÉFACE

J’ai le plaisir de présenter aux lecteurs le plus récent des poèmes que l’admirable légende de Tristan et Iseut a fait naître. C’est bien un poème, en effet, quoiqu’il soit écrit en belle et simple prose. M. Joseph Bédier est le digne continuateur des vieux trouveurs qui ont essayé de transvaser dans le cristal léger de notre langue l’enivrant breuvage où les amants de Cornouailles goûtèrent jadis l’amour et la mort. Pour redire la merveilleuse histoire de leur enchantement, de leurs joies, de leurs peines et de leur mort, telle que, sortie des profondeurs du rêve celtique, elle ravit et troubla l’âme des Français du douzième siècle, il s’est refait, à force d’imagination sympathique et d’érudition patiente, cette âme elle-même, encore à peine débrouillée, toute neuve à ces émotions inconnues, se laissant envahir par elles sans songer à les analyser, et adaptant, sans y parvenir complètement, le conte qui la charmait aux conditions de son existence accoutumée. S’il nous était parvenu de la légende une rédaction française complète, M. Bédier, pour faire connaître cette légende aux lecteurs contemporains, se serait borné à en donner une traduction fidèle. La destinée singulière qui a voulu qu’elle ne nous parvînt que dans des fragments épars l’a obligé de prendre un rôle plus actif, pour lequel il ne suffisait plus d’être un savant, pour lequel il fallait être un poète. Des romans de Tristan dont nous connaissons l’existence, et qui tous devaient être de grande étendue, ceux de Chrestien de Troyes et de La Chèvre ont péri tout entiers ; de celui de Béroul, il nous reste environ trois mille vers ; autant de celui de Thomas ; d’un autre, anonyme, quinze cents vers. Puis ce sont des traductions étrangères, dont trois nous rendent assez complètement pour le fond, mais non pour la forme, l’œuvre de Thomas, dont une nous représente un poème fort semblable à celui de Béroul ; des allusions parfois très précieuses ; de petits poèmes épisodiques, et enfin l’indigeste roman en prose où se sont conservés, au milieu d’un fatras sans cesse grossi par les rédacteurs successifs, quelques débris de vieux poèmes perdus. Que faire en présence de cet amas de décombres, si l’on veut restaurer un des édifices écroulés ? Il y avait deux partis à prendre : s’attacher à Thomas, ou s’attacher à Béroul. Le premier parti avait l’avantage d’aboutir sûrement, grâce aux traductions étrangères, à la restitution d’un récit complet et homogène. Il avait l’inconvénient de ne restituer que le moins ancien des poèmes de Tristan, celui dans lequel le vieil élément barbare a été complètement assimilé à l’esprit et aux œuvres de la société chevaleresque anglo-française. M. Bédier a préféré le second parti, beaucoup plus difficile et par cela même plus tentant pour son art et pour son savoir, et plus convenable aussi au but qu’il se proposait : faire revivre pour les hommes de nos jours la légende de Tristan sous la forme la plus ancienne qu’elle ait prise, ou du moins que nous puissions atteindre en France. Il a donc commencé par traduire aussi fidèlement qu’il l’a pu le fragment de Béroul qui nous est parvenu, et qui occupe à peu près le centre du récit. S’étant ainsi bien pénétré de l’esprit du vieux conteur, s’étant assimilé sa façon naïve de sentir, sa façon simple de penser ; jusqu’à l’embarras parfois enfantin de son exposition et la grâce un peu gauche de son style, il a refait à ce tronc une tête et des membres, non pas par une juxtaposition mécanique, mais par une sorte de régénération organique, telle que nous la présentent ces animaux qui, mutilés, se complètent par leur force intime sur le plan de leur forme parfaite.

Ces régénérations réussissent, on le sait, d’autant mieux que l’organisme est moins arrêté et moins développé. C’était bien le cas pour Béroul. Il s’assimilait lui-même des éléments de toute provenance, parfois assez disparates, et dont la disparité ne le choquait ni ne le gênait, d’autant plus qu’il leur faisait souvent subir une sorte d’accommodation qui suffisait à leur donner une homogénéité superficielle. Le Béroul moderne a donc pu procéder de même, sauf à y mettre plus de choix et de goût. Dans le fragment anonyme qui fait suite au fragment de Béroul, dans la traduction allemande d’un poème voisin de celui de Béroul, dans Thomas et ses traducteurs, dans les allusions et les poèmes épisodiques, dans le roman en prose lui-même, il a pris de quoi refaire au morceau conservé un commencement, une suite et une fin, en cherchant toujours, entre les multiples variantes du conte, celle qui convenait le mieux à l’esprit et au ton du fragment authentique. Puis — et c’est l’effort le plus ingénieux et le plus délicat de son art — il a essayé de donner à tous ces morceaux épars la forme et la couleur que leur aurait données Béroul. Je ne jurerais pas qu’il n’a pas écrit tout le poème en vers aussi semblables que possible à ceux de Béroul, pour les traduire ensuite en français moderne avec autant de soin qu’il avait fait pour les trois mille vers conservés. Si le vieux poète revenait aujourd’hui, et qu’il s’enquît de ce qu’est devenue son œuvre, il serait émerveillé de voir avec quelle piété, quelle intelligence, quel travail et quel succès elle a été retirée de l’abîme sur lequel un seul débris surnageait, et remise à flot, plus complète même sans doute, plus brillante et plus alerte qu’il ne l’avait lancée jadis.

C’est donc un poème français du milieu du douzième siècle, mais composé à la fin du dix-neuvième, que contient le livre de M, Bédier. C’est bien ainsi qu’il convenait de présenter aux lecteurs modernes l’histoire de Tristan et d’Iseut, puisque c’est en prenant le costume français du douzième siècle qu’elle s’est emparée jadis de toutes les imaginations, puisque toutes les formes qu’elle a revêtues depuis remontent à cette première forme française, puisque nous voyons forcément Tristan sous l’armure d’un chevalier et Iseut dans la longue robe droite des statues de nos cathédrales. Mais ce costume français et chevaleresque n’est pas le costume primitif ; il n’appartient pas plus à nos héros qu’à ceux de la Grèce et de Rome que le moyen âge en affublait au même temps. On s’en aperçoit à plus d’un trait conservé par les adaptateurs. Béroul, notamment, qui s’applaudit d’avoir effacé quelques vestiges de la barbarie primitive, en a laissé subsister bien d’autres ; Thomas lui-même, plus soigneux observateur des règles de la courtoisie, ne laisse pas de nous ouvrir çà et là d’étranges perspectives sur le véritable caractère de

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