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Roman " Carmen "

Analyse sectorielle : Roman " Carmen ". Recherche parmi 298 000+ dissertations

Par   •  12 Avril 2015  •  Analyse sectorielle  •  10 225 Mots (41 Pages)  •  606 Vues

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PROSPER MÉRIMÉE

CARMEN

J'avais toujours soupçonné les géographes de ne savoir ce qu'ils

disent lorsqu'ils placent le champ de bataille de Munda dans le pays des

Bastuli-Poeni, près de la moderne Monda, à quelque deux lieues au nord de

Marbella. D'après mes propres conjectures sur le texte de l'anonyme,

auteur du Bellum Hispaniense, et quelques renseignements recueillis dans

l'excellente bibliothèque du duc d'ossuna, je pensais qu'il fallait chercher

aux environs de Montilla le lieu mémorable où, pour la dernière fois, César

joua quitte ou double contre les champions de la république. Me trouvant en

Andalousie au commencement de l'automne de 1830, je fis une assez

longue excursion pour éclaircir les doutes qui me restaient encore. Un

mémoire que je publierai prochainement ne laissera plus, je l'espère, aucune

incertitude dans l'esprit de tous les archéologues de bonne foi. En

attendant que ma dissertation résolve enfin le problème géographique qui

tient toute l'Europe savante en suspens, je veux vous raconter une petite

histoire, elle ne préjuge rien sur l'intéressante question de l'emplacement

de Munda.

J'avais loué à Cordoue un guide et deux chevaux, et m'étais mis en

campagne avec les Commentaires de César et quelques chemises pour tout

bagage. Certain jour errant dans la partie élevée de la plaine de Cachena,

harassé de fatigue, mourant de soif, brûlé par un soleil de plomb, je donnais

au diable de bon coeur César et les fils de Pompée, lorsque j'aperçus, assez

loin du sentier que je suivais, une petite pelouse verte parsemée de joncs

et de roseaux. Cela m'annonçait le voisinage d'une source. En effet, en

m'approchant, je vis que la prétendue pelouse était un marécage où se

perdait un ruisseau, sortant, comme il semblait, d'une gorge étroite entre

deux hauts contreforts de la sierra de Cabra. Je conclus qu'en remontant

je trouverais de l'eau plus fraîche, moins de sangsues et de grenouilles, et

peut-être un peu d'ombre au milieu des rochers. À l'entrée de la gorge, mon

cheval hennit, et un autre cheval, que je ne voyais pas, lui répondit

aussitôt. À peine eus-je fait une centaine de pas, que la gorge,

s'élargissant tout à coup, me montra une espèce de cirque naturel

parfaitement ombragé par la hauteur des escarpements qui l'entouraient. Il

était impossible de rencontrer un lieu qui promît au voyageur une halte plus

agréable. Au pied de rochers à pic, la source s'élançait en bouillonnant, et

tombait dans un petit bassin tapissé d'un sable blanc comme la neige. Cinq

à six beaux chênes verts, toujours à l'abri du vent et rafraîchis par la

source, s'élevaient sur ses bords, et la couvraient de leur épais ombrage ;

enfin, autour du bassin, une herbe fine, lustrée, offrait un lit meilleur qu'on

n'en eût trouvé dans aucune auberge à dix lieues à la ronde.

À moi n'appartenait pas l'honneur d'avoir découvert un si beau lieu. Un

homme s'y reposait déjà, et sans doute dormait, lorsque j'y pénétrai.

Réveillé par les hennissements, il s'était levé, et s'était rapproché de son

cheval, qui avait profité du sommeil de son maître pour faire un bon repas

de l'herbe aux environs. C'était un jeune gaillard, de taille moyenne, mais

d'apparence robuste, au regard sombre et fier son teint, qui avait pu être

beau, était devenu, par l'action du soleil, plus foncé que ses cheveux. D'une

main il tenait le licol de sa monture, de l'autre une espingole de cuivre.

J'avouerai que d'abord l'espingole et l'air farouche du porteur me surprirent

quelque peu ; mais je ne croyais plus aux voleurs, à force d'en entendre

parler et de n'en rencontrer jamais. D'ailleurs, j'avais vu tant d'honnêtes

fermiers s'armer jusqu'aux dents pour aller au marché, que la vue d'une

arme à jeu ne m'autorisait pas à mettre en doute la moralité de l'inconnu.

- Et puis, me disais-je, que ferait-il de mes chemises et de mes

Commentaires Elzevir? Je saluai donc l'homme à l'espingole d'un signe de

tête familier et je lui demandai en souriant si j'avais troublé son sommeil.

Sans me répondre, il me toisa de la tête aux pieds ; puis, comme satisfait

de son examen, il considéra avec la même attention mon guide, qui

s'avançait. Je vis celui-ci pâlir et s'arrêter en montrant une terreur

évidente. Mauvaise rencontre ! me dis-je. Mais la prudence me conseilla

aussitôt de ne laisser voir aucune inquiétude. Je mis pied à

...

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